Les fiducies ne sont pas réservées qu'aux Coutu, Desmarais et Molson de ce monde. Un capital d'environ un demi-million de dollars est suffisant pour profiter de leurs avantages, dans certains cas. Les Affaires vous présente les principales utilités de la fiducie pour les entrepreneurs et les épargnants nantis.
Brisons un mythe d'entrée de jeu. Vous ne pouvez pas mettre votre capital à l'abri du fisc dans une fiducie. Les fiducies sont imposées au plus haut taux d'imposition des particuliers, soit 49,97 %. Les fiducies testamentaires sont les seules à être imposées au taux progressif, mais cet avantage disparaîtra en 2016.
Les fiducies sont des entités distinctes de la personne qui les a mises en place (le constituant) et distinctes des personnes qui en reçoivent des revenus (les bénéficiaires). Elles sont séparées en deux grandes familles. Les fiducies entre vifs, soit celles formées par un acte de fiducie du vivant du constituant. Et les fiducies testamentaires, dont les modalités sont prévues au testament. Ces dernières prennent forme au moment du décès du constituant.
La fiducie est utilisée pour différentes raisons, résume Francys Brown, fiscaliste et associé de Corporation fiscalité financière FBSA. «On peut réduire l'imposition de certains revenus en les attribuant à d'autres personnes, protéger certains actifs d'un éventuel litige, faciliter la transmission d'une entreprise à des successeurs ou encore avoir plus de flexibilité sur la façon dont notre capital sera distribué après notre décès.» Voici comment en profiter.
1. Fractionner les revenus
Même en étant imposées au taux le plus élevé, les fiducies peuvent vous permettre de réduire votre facture fiscale : il s'agit d'attribuer les revenus de la fiducie à un conjoint ou à un enfant majeur, dont le taux d'imposition est inférieur.
Francys Brown, de Corporation fiscalité financière FBSA, donne l'exemple d'une fiducie dont le capital génère 40 000 $ de revenus par an. Pour un client fortuné, ce flux monétaire serait imposé à 49,97 %. Si cette somme était imposée à un taux inférieur sur la déclaration de revenus des enfants et de la conjointe, la facture d'impôt pourrait s'en trouver réduite.
Vérifiez bien les lois fiscales avant de fractionner votre revenu avec un enfant mineur. Selon nos lois, il est très difficile de fractionner son revenu avec un enfant mineur en raison de la kiddie tax, ou impôt des enfants mineurs, prévient Caroline Rhéaume, avocate et fiscaliste. Le législateur a adopté des dispositions qui font en sorte que certains revenus sont imposés au taux marginal maximal s'ils sont déclarés par un mineur.
De plus, le fractionnement de revenu n'est pas qu'une action théorique. Si on attribue certains revenus à un bénéficiaire, ce dernier doit avoir reçu l'argent, précise l'avocate, auteure de plusieurs ouvrages professionnels sur la fiducie.
2. Multiplier les gains en capital
Une fiducie permet également de multiplier vos économies d'impôt sur le gain en capital réalisé lors de la vente d'une petite entreprise. Rappelons que seulement 50 % du gain en capital est imposable à votre taux marginal d'imposition. L'exonération maximale cumulative pour les gains en capital est de 800 000 $ en 2014. Après ce seuil, le gain en capital est imposé comme un revenu.
En plaçant les actions d'une société dans une fiducie, le gain en capital peut être réparti entre plusieurs bénéficiaires. Autrement dit, chaque bénéficiaire aura droit à l'exonération de 800 000 $, à moins qu'il n'ait vendu une petite entreprise auparavant.
3. Fractionner par prêt
Toujours dans une optique de fractionner les revenus, vous pourriez faire un prêt à une fiducie dont le bénéficiaire est votre conjoint.
Le prêt est consenti au taux prescrit par l'Agence du revenu du Canada (ARC). Celui-ci est de 1 % au deuxième trimestre de 2014. Le constituant sera imposé sur le montant du remboursement du prêt. Les bénéficiaires, pour leur part, seront imposés sur les revenus tirés de la fiducie.
Pour que la stratégie soit avantageuse, il faut que le rendement des biens placés en fiducie satisfasse l'investisseur après en avoir soustrait le remboursement du prêt et les frais de gestion.
Le contexte de faibles taux d'intérêt rend cette stratégie attrayante. Les modalités du prêt resteront en vigueur jusqu'à l'échéance, même si le fisc fédéral augmente le taux minimal prescrit. «Si vous songez à cette stratégie, ça peut valoir la peine de créer la fiducie avant que les taux d'intérêt n'augmentent», note Caroline Rhéaume.
4. Protéger ses actifs
En mettant certains biens en fiducie, vous pouvez les protéger en cas de poursuite ou de faillite. Les fiducies de protection d'actifs peuvent être utiles pour les particuliers qui sont exposés à des risques plus élevés de voir leur responsabilité professionnelle mise en cause. Les professionnels travaillant aux États-Unis, où les poursuites sont plus courantes et coûteuses qu'au Québec, font partie des constituants de fiducies de protection d'actifs.
Évidemment, cette fiducie doit être formée de manière préventive, et non pas au moment où vous vous trouvez dans l'eau chaude. Elle ne vous permet pas de fuir votre responsabilité civile. «Les entrepreneurs oeuvrant dans les secteurs où les poursuites sont légion, comme le secteur de la construction, et qui craignent pour leur patrimoine personnel font partie des particuliers qui pourraient avoir intérêt à mettre en place une fiducie de protection d'actifs», donne en exemple Joël Carrier, vice-président et directeur régional des services fiduciaires de BMO Banque privée Harris. «Toutefois, si votre nom vient d'être cité à la commission Charbonneau, il y a des risques qu'il soit trop tard.»
Une fois mis en fiducie, le patrimoine ne peut plus servir de garantie pour obtenir un prêt personnel, rappelle Caroline Rhéaume. «Vous ne pouvez pas mettre en garantie 10 M$ de capital pour obtenir un prêt auprès d'une banque et mettre ce même capital en fiducie de protection d'actifs par la suite. En fait, si vous transférez vos actifs donnés en garantie à une fiducie de protection d'actifs, vous pourriez être en défaut sur le prêt.»
5. Transmettre la croissance à autrui
Le gel successoral est une autre stratégie qui permet de transmettre à ses héritiers ou à un employé stratégique la plus-value que générera son entreprise après la création d'une fiducie discrétionnaire, dans laquelle le fiduciaire a un mandat flexible.
Cette stratégie revêt l'avantage de faciliter la passation du contrôle d'une entreprise, explique Joël Carrier, de BMO Banque privée Harris.
Par exemple, Robert, 50 ans, possède une entreprise valant 2 M$. Il prévoit que la valeur de celle-ci atteindra 3,5 M$ dans 10 ans. L'entrepreneur gèle la valeur de sa participation en convertissant ses parts en actions privilégiées, qui peuvent être accompagnées d'actions à droit de vote multiple. Il émet de nouvelles actions ordinaires d'une valeur nominale de 0 $ qu'il place en fiducie.
Toute appréciation de la valeur de son entreprise entraînerait une appréciation des actions ordinaires détenue en fiducie, tandis que les actions privilégiées conserveraient la même valeur. Ainsi, dans 10 ans, sa participation vaudrait toujours 2 M$, mais la fiducie, dont les enfants seraient bénéficiaires, détiendrait un capital de 1,5 M$. «Cette stratégie peut encourager les enfants à s'intéresser à l'entreprise familiale», soutient M. Carrier.
L'entrepreneur peut garder le contrôle sur la société en s'accordant des actions à droit de vote multiple et en étant le seul fiduciaire de la fiducie. Il limite son gain en capital futur à l'actif gelé. Comme la fiducie est discrétionnaire, il peut également prendre des dispositions pour changer le bénéficiaire de la fiducie en vue de favoriser un enfant au détriment d'un autre si ce dernier montre finalement peu d'intérêt pour l'entreprise, assure le spécialiste de BMO.
L'autre avantage est de réduire l'investissement requis par les successeurs, puisqu'ils sont déjà les détenteurs indirects d'une partie de l'entreprise. «Dans certains cas, la fiducie pourrait remettre le capital de la fiducie, soit les actions de l'entreprise, aux bénéficiaires sur une base de roulement fiscal, souligne M. Carrier. Le gain en capital sur la participation des bénéficiaires pourrait ainsi être reporté au moment de la vente ou du décès des bénéficiaires.»
Déterminer la valeur d'une entreprise ne se fait pas sur un coin de table, prévient Caroline Rhéaume. La démarche doit être effectuée par un évaluateur agréé. «Le fisc pourrait contester la valeur que vous avez attribuée à votre entreprise. Vous devrez donc être en mesure de la justifier.»
Qu'arriverait-il si la valeur de votre entreprise baissait ? «La valeur des actions détenues par l'entrepreneur diminuera et celles des titres détenus en fiducie ne vaudront rien, répond Pierre Allard, avocat et associé du cabinet BCF. D'où l'importance d'avoir une entreprise dont les possibilités de croissance semblent prometteuses lorsqu'on choisit la stratégie du gel successoral.»
21 ans - Après 21 ans, il y a disposition présumée des actifs détenus à l'intérieur d'une fiducie. Vous paierez ainsi le gain en capital sur les actifs qui se sont appréciés. Autrement dit, après 21 ans, on «remet les compteurs à zéro».
Un document juridique à rédiger avec soin
La constitution d'une fiducie est un acte juridique qu'il faut préparer avec minutie. Sinon, vous pourriez vous condamner à subir les contraintes d'une entité qui ne remplit pas la mission que vous visiez au départ. «On ne change pas un acte de fiducie facilement», prévient Caroline Rhéaume, avocate et fiscaliste. L'experte précise qu'il faut se présenter devant un juge pour y apporter des modifications.
D'où l'importance de recourir à des professionnels expérimentés. «J'ai vu des clients arriver avec des fiducies mal rédigées, raconte la spécialiste. C'est très difficile de réparer les dommages par la suite.»
Pour cette raison, il faut essayer d'être le plus souple possible lorsqu'on rédige un acte de fiducie, dit Pierre Allard, avocat du cabinet BCF. «Dans l'acte de fiducie, il est possible de faire référence à des documents externes, comme un testament, qu'on peut changer plus facilement», dit-il.
Dans certains cas, le manque de souplesse peut provoquer des situations inattendues. «Prenons une fiducie testamentaire qui a le mandat de répartir le versement de l'héritage au cours de toute la vie des enfants, donne en exemple sa collègue Natasha Girouard, avocate du même cabinet. Si le fils est atteint d'un cancer et a besoin de soins aux États-Unis, on peut penser que le père aurait souhaité que son enfant touche une partie de son héritage plus tôt afin d'être soigné, mais il est possible que la fiducie ne le permette pas.»
Pierre Allard conseille également à ses clients d'ajouter un paragraphe où le constituant explique les buts et les objectifs qui ont motivé la création d'une fiducie. «S'il y a une zone grise relativement au libellé de la fiducie, un juge sera en mesure d'analyser les intentions exprimées.»
Bien désigner le bénéficiaire
Le fiduciaire est l'administrateur qui gère les biens de la fiducie. Il peut y avoir plus d'un fiduciaire. Au moins l'un d'eux doit être indépendant, c'est-à-dire n'être ni le constituant ni le bénéficiaire. Le fiduciaire peut être un professionnel ou un proche.
Vous devrez choisir votre fiduciaire avec soin. Dans une fiducie discrétionnaire, celui-ci peut avoir plus de marge de manoeuvre pour prendre des décisions. Au contraire, le mandat confié au fiduciaire peut être très strict, si c'est la volonté du constituant.
Il est important que les fiduciaires fassent au minimum un suivi annuel des activités de la fiducie. En ne remplissant pas tous les documents nécessaires, vous pourriez avoir de la difficulté à vous défendre si le fisc interprète différemment les activités de votre fiducie.
Natasha Girouard note que les fiduciaires des grandes institutions sont parfois mieux outillés pour composer avec certaines situations complexes, comme la dépendance d'un enfant à la drogue.
Les fiducies testamentaires ont toujours leur raison d'être
Les fiducies testamentaires ont perdu un important avantage fiscal. À partir de l'année d'imposition 2016, elles ne seront plus imposées à un taux progressif, mais au plus haut taux d'imposition, comme c'est le cas des autres fiducies.
Dans son dernier budget, Ottawa a annoncé que cet avantage sera aboli, une décision reconduite par Québec. Seules les fiducies au profit d'un héritier handicapé conserveront le taux progressif. Le bénéficiaire doit être admissible au crédit d'impôt fédéral pour personne handicapée.
En 2014 et 2015, les fiducies testamentaires seront encore imposées à un taux progressif - aux mêmes paliers que l'impôt des particuliers. Ainsi, les premières tranches de revenus générées à l'intérieur d'une fiducie testamentaire sont moins imposées que si elles étaient versées à un bénéficiaire soumis au plus haut taux d'imposition.
Cela peut avoir des répercussions importantes sur le plan fiscal. Par exemple, une fiducie dont le capital génère 150 000 $ en revenus d'intérêt paiera 55 629 $ en impôt. Si les revenus sont versés immédiatement à un bénéficiaire imposé au plus haut taux, celui-ci paiera plutôt 79 955 $.
La flexibilité demeure un atout
La fiducie testamentaire ne perd pas sa raison d'être pour autant, dit Francys Brown, fiscaliste et associé chez Corporation fiscalité financière FBSA. «Une des raisons de l'utiliser est qu'elle procure plus de flexibilité pour planifier la distribution du capital.»
M. Brown donne l'exemple d'un homme léguant son patrimoine à sa fille unique. «Au décès, le capital se trouve entre les mains de l'héritière. Lorsque celle-ci meurt quelques années plus tard, le capital peut se retrouver entre les mains du conjoint s'il est l'héritier de madame. Le gendre pourrait décider de ne pas léguer l'héritage aux petits-enfants, même si c'était le souhait implicite de l'entrepreneur. Avec une fiducie, le capital reste dans la fiducie et est versé aux personnes souhaitées.»
Une fiducie impose aussi certaines modalités sur le versement de l'héritage, par exemple en fonction du moment ou de l'âge des bénéficiaires.
Pierre Allard, avocat et associé du cabinet BCF, croit lui aussi que la décision d'Ottawa ne changera pas l'attrait de la fiducie testamentaire, qui est davantage utilisée pour exercer un contrôle posthume sur le patrimoine légué.
Les particuliers viennent toutefois de perdre une excuse pour éviter de froisser leurs proches, admet l'avocat, visiblement amusé. «J'ai vu des entrepreneurs qui ont instauré une fiducie car ils doutaient des capacités de gestion de leur épouse, raconte M. Allard. Avant, quand ils mettaient en avant les économies d'impôt, ils ménageaient les susceptibilités.»
Les particuliers dont la principale raison de prévoir la création d'une fiducie testamentaire à leur décès était de réduire leur facture d'impôt devront vraisemblablement réviser leur testament, note Caroline Rhéaume, avocate et fiscaliste spécialiste des fiducies. Cette dernière est également convaincue que les changements adoptés par Ottawa ne feront pas de la fiducie testamentaire un outil démodé.