Depuis 1984, une brochette des plus brillants esprits de la planète convergent chaque année vers Palm Springs, puis Édimbourg, pour présenter des conférences de 18 minutes où ils parlent sans script de leur passion. Le cocréateur des conférences TED (Technology Entertainment Design), Richard Saul Wurman s'apprête, encore une fois, à révolutionner l'univers des conférences.
DIANE BÉRARD - Avez-vous réinventé la formule des conférences parce que celles-ci vous ennuyaient ?
Richard Saul Wurman - Presque tout m'ennuie : me brosser les dents, certaines conversations, de nombreuses émissions de télé... Mais j'ai accepté l'ennui, il fait partie de ma nature. Je n'ai donc pas réinventé les conférences pour contrer l'ennui, mais en réaction à la frustration.
D.B. - Quels conférenciers vous frustrent le plus ?
R.S.W. - Ceux qui répètent la même "cassette", ceux qui ne font qu'énoncer tout ce qu'ils ont accompli, les donneurs de leçons...
D.B. - Comment le concept TED est-il né ?
R.S.W. - En 1983, je voyageais beaucoup. À force de parler avec mes voisins de siège, j'ai découvert que les gens les plus intéressants proviennent de l'univers de la techno, du design ou du divertissement. Et que ceux qui affichent des réalisations particulièrement intéressantes intègrent des éléments des deux autres disciplines dans leur travail.
D.B. - Quel était votre public cible ?
R.S.W. - Moi ! J'ai créé TED pour que les gens les plus merveilleux de la planète me distraient avec leur intelligence et me donnent accès à leur inspiration. Je ne me suis jamais soucié de plaire à l'auditoire. Tout ce que j'accomplis est pour moi et personne d'autre. Toutefois, j'essaie de réaliser le meilleur travail possible, et je sais que cela aura un effet sur les autres. La nuance est importante. Je ne sais pas si vos lecteurs peuvent comprendre ce qui m'anime. Les gens d'affaires sont trop ambitieux. Ils travaillent pour plaire. C'est ainsi que la plupart d'entre nous fonctionnons : nous voulons satisfaire notre patron, les autres participants à la réunion. On hoche la tête en prétendant comprendre, alors qu'on n'a rien saisi...
D.B. - Parlons de TED...
R.S.W. - Je voulais créer les meilleures conférences du monde, pas changer le monde. Si vous aspirez à changer le monde, vous demandez à vos conférenciers de parler de bonnes oeuvres (do-gooder things). Pour organiser les meilleures conférences du monde, vous visez "l'immersion intellectuelle". Vous demandez aux conférenciers de parler de leur passion, pas de leur entreprise, d'être vulnérables et de ne jamais redonner une conférence déjà présentée. Et s'ils sont ennuyeux, vous les éjectez de la scène !
D.B. - Comment vous décririez-vous à quelqu'un qui ne vous connaît pas ? Que faites-vous dans la vie ?
R.S.W. - Ma vie se compose d'un amalgame de hobbies. J'ai écrit 82 livres, tous sur des sujets que je ne comprenais pas et pour lesquels je ne trouvais aucun livre pertinent. J'ai désigné ma vie à partir du fait que je ne sais rien faire et que je n'ai aucun talent particulier. Ce qui explique les livres et les conférences TED, c'est-à-dire me permettre d'apprendre ce que je ne sais pas et comprendre ce que je ne comprends pas. Habituellement, les livres et les projets naissent de l'expertise de l'auteur. Les miens jaillissent de mon ignorance.
D.B. - Vous avez vendu le concept TED à la Sapling Foundation en novembre 2001 et vous vous apprêtez aujourd'hui à lancer un autre projet, www.www.
R.S.W. - Encore une fois, je crée un format de conférence auquel j'ai envie d'assister. Il s'agira de 50 conversations, chacune entre deux personnes exceptionnelles. Le tout sera entrecoupé de prestations musicales. Parfois, le duo évoluera dans le même univers, parfois pas. Il n'y aura aucune question ni entrevue. Je vais donner à chaque duo une réflexion de départ qui fera vibrer leurs passions respectives et amorcera la conversation. Je les laisserai parler aussi longtemps que je jugerai la conversation intéressante, et nous passerons au prochain duo ou aux musiciens. Je vais improviser, sans horaire.
D.B. - Et quel en est le modèle d'affaires ?
R.S.W. - Je ne vendrai aucun billet. Personne ne peut venir, sauf les "conversionalistes", les commanditaires, leurs invités et les musiciens. Pour les autres, il faudra acheter l'application. Les conversations ne seront pas offertes en ligne gratuitement, contrairement aux présentations de TED.
D.B. - Comment évaluez-vous le risque du projet www.www ?
R.S.W. - Il est élevé. Ma nouvelle formule comporte un niveau élevé d'improvisation, donc de terreur. Mais celle-ci est mon amie.
D.B. - Y a-t-il encore des gens que vous aimeriez rencontrer ?
R.S.W. - [Long silence] E.O. Wilson, expert des fourmis, avec qui j'ai passé une soirée et que j'aimerais revoir. Warren Buffett, à qui j'ai déjà serré la main. Geoffrey West, du Sante Fe Institute. C'est tout. Les autres sont morts !
"Je ne me suis jamais soucié de plaire à l'auditoire. Tout ce que j'accomplis est pour moi et personne d'autre. Toutefois, j'essaie de réaliser le meilleur travail possible, et je sais que cela aura un effet sur les autres."
Le contexte
Richard Saul Wurman a cassé le moule des conférences traditionnelles. Pour y arriver, il s'est fié à ses besoins plutôt qu'à ceux de son auditoire. Une stratégie à contre-courant qui l'a bien servi. Peut-elle être transposée dans d'autres secteurs ?
Saviez-vous que...
Richard Saul Wurman ne regarde aucune émission en direct, pas même le football, pour pouvoir sauter à loisir les séquences qui l'ennuient !