Les sociétés minières doivent faire preuve d'ingéniosité pour boucler leur montage financier, quitte à faire appel à des instruments financiers sophistiqués et à diversifier leurs sources.
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Le 8 juillet 2014, Stornoway Diamond bouclait le plus important financement jamais réalisé par une société publique diamantifère : un montage complexe de 946 millions de dollars, soit suffisamment pour assurer le développement de son projet Renard jusqu'à la production commerciale, prévue pour 2017.
Cette gigantesque opération incluait de nombreux acteurs, dont le fonds privé new-yorkais Orion Mine Finance, Ressources Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec, dans un savant mélange de souscriptions au capital-actions, de prêts, de financement d'équipement et de ventes à terme. Le tout a été complété par une émission d'actions ordinaires sur les marchés publics.
«On a tout fait en même temps, souligne Matt Manson, président et chef de direction à Stornoway. Chacun savait d'où venaient le financement et les ententes.»
L'exemple de Stornoway Diamond pourrait bien devenir un cas d'école, tant il met en lumière les principales tendances du financement de projet. Comment une société d'exploration dont la capitalisation boursière ne dépassait pas 130 M$ en est-elle venue à établir un record historique dans un contexte financier aussi morose ?
«Une des clés des marchés publics pour une émission aussi importante, c'est que l'ensemble du montage financier soit bien ficelé», estime Nicolas Brunet, directeur, banque d'affaires et services bancaires aux sociétés, de BMO Marchés des capitaux.
Stornoway a exploité presque tous les instruments financiers. Outre les prêts garantis et non garantis ainsi que les émissions d'actions, l'élément le plus novateur est sans aucun doute la vente à terme de 20 % de la production de la mine à Orion et à la Caisse de dépôt, en échange d'un paiement anticipé de 250 M$. Stornoway n'est certes pas la seule à s'être résignée à la vente à terme : Euromax a conclu en mars une entente similaire avec Royal Gold en échange d'un financement de 175 M$ pour développer sa mine Ilovitza (or et cuivre), en Macédoine.
À l'avantage des investisseurs
Les ventes à terme et les redevances sont devenues une sorte de passage obligé dans le secteur minier, en raison du resserrement des marchés traditionnels. Les sociétés spécialisées dans ce genre d'ententes, telles Royal Gold, Silver Wheaton et Franco-Nevada, jouent désormais un rôle crucial dans le financement de projets (la capitalisation boursière de ces trois sociétés atteint 20 milliards de dollars).
«La valeur marchande des sociétés de royautés [redevances] dans le secteur minier est plus de six fois ce qu'elle était en 2006», note M. Brunet.
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Ces ententes sont clairement à l'avantage des investisseurs : elles leur permettent d'investir dans une matière première sans s'exposer aux risques liés aux dépassements de coût ou à l'allocation du capital.
André Gaumont, président et chef de direction de Mines Virginia, en sait quelque chose. L'acquisition de sa société par Redevances aurifères Osisko - conclue en février - a donné naissance à la quatrième société de redevances en importance de l'Amérique du Nord, d'une valeur de 1,4 G$. Grâce à ses redevances de 5 % sur Canadian Malartic et de 2,2 % sur Élénore, le nouveau géant québécois prévoit acheter et générer de nouvelles redevances, en développant et vendant ses propres projets, entre autres.
«Le fait que les marchés soient difficiles contribue à bien nous positionner», souligne M. Gaumont.
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Pour les sociétés minières en revanche, les redevances indiquent «une certaine faiblesse», juge Éric Lemieux, analyste, mines et exploration, chez PearTree Securities. Selon lui, les redevances tendent à gruger le potentiel de hausse pour les actionnaires, même si elles constituent une forme de validation du projet auprès des marchés.
Les fonds privés, une autre solution
Les fonds de capitaux privés traditionnels, habituellement peu présents, profitent eux aussi du retrait partiel des marchés financiers. Si bien qu'aux côtés des fonds spécialisés comme Orion, Sentient et Magris Resources (qui a racheté en octobre la mine Niobec), on a vu s'ajouter les Apollo Global Management, KKR ou Blackstone Group. Ces fonds devront toutefois s'adapter à la réalité du secteur, affirme M. Brunet. «Ils cherchent souvent à sortir de leur investissement après cinq ans, dit-il. Mais dans le secteur minier, il faut être capable d'avoir une perspective à plus long terme.»
Selon l'agence Bloomberg, les fonds privés ont levé pour 12 G$ au cours des deux dernières années, mais seulement 2 G$ ont été dépensés en 2014.
Les firmes de génie-construction s'impliquent
Il est un dernier acteur que la disette des marchés pousse à s'impliquer dans le financement des projets, aux côtés des équipementiers : les contractants d'ingénierie, d'approvisionnement et de construction (IAC), auxquels les sociétés minières en mal de financement offrent des participations dans le capital-actions des projets. Le phénomène est encore rare dans le secteur, mais il pourrait prendre de l'ampleur si les marchés restent moroses.
«C'est aussi un moyen de s'assurer que le contractant IAC a des intérêts alignés sur ceux de la société minière, note Christopher Langdon, associé chez McCarthy Tétreault. C'est une façon d'atténuer les risques dans le développement. Avec un contrat forfaitaire à prix fixe, le projet devient plus attrayant pour les autres investisseurs.»
C'est le cas de la mine Ambatovy au Madagascar, une coentreprise dans laquelle SNC-Lavalin a investi. Le contractant d'ingénierie, d'approvisionnement et de gestion de construction y a pris une participation de 5 %. Les sociétés asiatiques comme POSCO et NFC, en manque de contrats à la maison, sont particulièrement intéressées par ce genre d'ententes.
12 G$: Les fonds privés ont levé 12 milliards de dollars depuis deux ans, mais seulement 2 G$ ont été réellement dépensés en 2014. Source : Bloomberg
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