Les firmes québécoises sont assises sur un coussin de 110 milliards de dollars de liquidités, selon une l’étude de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (ISIS) publiée en janvier 2015. Elles ne semblent cependant pas pressées d’investir ce trésor dans leurs opérations ou dans des placements.
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Pendant que les revenus des ménages canadiens ont plutôt tendance à stagner et que leur endettement progresse de 7,7% (pour atteindre 1529 G$ fin 2014), les entreprises au pays ont accumulé un confortable coussin de liquidités.
L’auteur de l’étude de l’IRIS, Éric Pineault, estime que ce phénomène découle directement de la baisse du taux d'imposition des sociétés canadiennes, passé de 38,1% en 1988 à 26,5% en 2010.
« Si les sources de revenus qui ont nourri cette accumulation proviennent d’un taux de profit avant impôts demeuré stable à environ 9 %, ce sont les baisses d’impôts consenties aux entreprises pendant les années 1990 et surtout à la fin des années 2000 qui ont augmenté significativement le flux de revenus », estime-t-il dans l’enquête.
Cette manne d’argent frais s’avère clé pour certains secteurs de l’économie, comme la fabrication, la production ou le domaine des transports, qui doivent régulièrement investir dans le renouvellement de leurs équipements ou de leur flotte de véhicules.
Toutefois, la plus grosse partie du coussin est le fait de grandes entreprises, pour la plupart des divisions de multinationales et quelques entreprises du Québec Inc, constate l’étude, qui a passé au crible le montant des liquidités amassées par 92 grandes entreprises québécoises.
On remarque que 6 d’entre elles se partagent à elles seules 50 % de l’épargne accumulée. Elles oeuvrent principalement dans les secteurs des hautes technologies, de l’industrie pharmaceutique, de la manufacture et des services de distribution.
Des actionnaires heureux
Les diminutions de l’impôt sur les sociétés avaient avant tout été mises en place pour favoriser l’investissement. Elles n’ont cependant pas eu l’effet escompté. En effet, le taux d’investissement au sein des entreprises canadiennes n’a grimpé que de 2% entre les années 1990 et 2010. Il représente ainsi aujourd’hui 12% du PIB du pays.
« Le phénomène de la surépargne est une tendance lourde qui déjoue les stratégies d’incitation fiscale à l’investissement », note Eric Pineault.
C’est surtout la redistribution des gains aux actionnaires qui a bondi, passant de 3 % à 7% du PIB depuis les années 90. Une bonne chose pour les caisses de retraite, qui sont souvent des actionnaires de ces sociétés.
Reste toutefois à comprendre pourquoi les grandes entreprises canadiennes jouent les écureuils et accumulent des liquidités de manière aussi spectaculaire. Et quelles sont les conséquences de cette pratique aux plans politique et macro-économique ?
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Mode de gestion protecteur
Pour Nicolas Marcoux, associé et leader du groupe Conseils et Transactions chez PwC, la crise économique n’est pas étrangère au phénomène : « Depuis 2008, les chefs d’entreprise ont développé un mode de gestion très protecteur, au détriment même des investissements en innovation et technologie », estime-t-il.
La récente dégringolade des prix des ressources naturelles sur les marchés n’a pas aidé, suscitant des craintes envers les produits de placement risqués. Patrick Thibault, associé en Conseils financiers à la firme Deloitte, remarque que « les entreprises ne sont plus tentées par les placements à long terme et par les environnements volatiles ».
Des occasions à saisir
Reste que pour Fabien Major, conseiller en sécurité financière chez Major Gestion Privée, les entreprises québécoises qui ont pêché par trop de prudence ont manqué une belle opportunité d’investir, il y a quelques mois.
« Pendant que leur encaisse grossissait et que le dollar était haut, les entreprises québécoises avaient un plus fort pouvoir d’achat pour acquérir des équipements à l’étranger», souligne-t-il.
Certaines ont toutefois su saisir le momentum pour réaliser des acquisitions stratégiques, comme le groupe Metro qui a fait l’été dernier l’acquisition de Première Moisson, ou encore Genivar et Agropur, qui ont réalisé des investissements aux États-Unis en 2013 et 2014.
« Nous sommes devant une bonne fenêtre pour investir dans la croissance et le développement des affaires », estime Patrick Thibault, associé en Conseils financiers chez Deloitte.
En raison de la faiblesse des taux d’intérêts actuels dans le domaine des prêts bancaires, mieux vaut parfois solliciter un prêt à faible taux et placer ses liquidités intelligemment dans un produit qui rapporte un peu plus, plutôt que de payer comptant, considère pour sa part Lynda Coache, chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT).
« Souvent, les entreprises les mieux gérées sont celles qui ont investi toute leur vie pour être à la fine pointe de la technologie, afin de ne jamais être en retard », ajoute-t-elle.
Les 10 entreprises canadiennes concentrant le plus de liquidités (2012) (En millions de dollars US)
Ericsson Canada / 11 337 / 11,9 %
Novartis Canada / 8 119 / 8,5 %
United Parcel Service / 7 924 / 8,3 %
Rio Tinto Alcan / 7 082 / 7,4 %
GlaxoSmithKline / 6 838 / 7,2 %
Walmart /6 550 / 6,9 %
PepsiCo Breuvages Canada / 6 619 / 6,9 %
Costco /4 854 / 5,1 %
Georges Weston / 3 727 / 3,9 %
SAP Canada / 3183 / 3,3 %
Source : IRIS
292 %: Progression de l’épargne de Bombardier de 1999 à 2012. Il s’agit de l’entreprise québécoise possédant le plus de liquidités, avec des actifs liquides totalisant 2896 millions de dollars US. Source : IRIS
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