La Floride est devenue un terrain de jeu prisé des grandes marques de luxe qui souhaitent se lancer dans l'immobilier. En juillet 2014, la marque italienne Fendi annonçait son projet de Fendi Château Residences, un complexe de 12 étages situé en bord de mer, à Miami. Les acheteurs auront le choix d'ajouter ou non des éléments décoratifs créés par Fendi Casa. Avis aux intéressés, les prix varieront de 5 à 22 millions de dollars américains.
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Non loin de là, l'hyper-luxueuse Porsche Design Tower, dont la construction devrait être achevée pour 2016, est un projet de 560 M$ US qui promet notamment aux acheteurs un ascenseur en verre... pour leur automobile. «Pourquoi quitter sa voiture avant d'être arrivé à son appartement ?» s'amuse à répéter le pdg du Groupe Porsche Design, Juergen Gessler. À terme, elle devrait accueillir 2 % des milliardaires du monde.
Armani n'est pas en reste. En plus de son projet Residences by Armani Casa, toujours en Floride, la marque collabore étroitement à la World One Tower, à Mumbai, en Inde, laquelle deviendra la plus haute tour résidentielle du monde, à près de 442 mètres (1 450 pieds), et dont le design intérieur est signé Giorgio Armani.
«Ce phénomène risque d'aller en augmentant, car les promoteurs immobiliers cherchent par tous les moyens à se différencier, lance Martin Leblanc, associé chez Sid Lee Architecture. En général, un promoteur immobilier n'a pas vraiment d'identité forte. S'associer à une marque de luxe reconnue, c'est un raccourci. Ça permet de transposer les valeurs qu'incarne la marque à son projet immobilier.»
Du costume trois pièces à la tour griffée
«L'idée du branding en immobilier n'est pas nouvelle, surtout du côté du design intérieur. On en trouve d'ailleurs des exemples au Québec», dit Philippe Lupien, professeur à l'École de design de l'UQAM.
En 2008, le créateur de mode québécois Philippe Dubuc a réalisé cinq designs de copropriétés, correspondant à autant de styles de vie, pour le projet Oxford, dans l'arrondissement Ville-Marie. Quelques années auparavant, c'était à l'intérieur des maisons préfabriquées des Industries Bonneville que Jean-Claude Poitras prêtait sa griffe, dans ce qui allait devenir la Poitras Casa. Plus récemment, le projet de Yoo Montréal, dans Griffintown, a mis en avant des intérieurs réalisés par Philippe Starck.
Si on saisit rapidement les avantages de l'opération pour le promoteur, on peut se demander ce que viennent faire dans l'immobilier résidentiel toutes ces marques de mode que l'on associe plus facilement à un sac à main ou à une cravate qu'à un trois chambres à coucher avec vue sur la baie de Biscayne.
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«Il peut y avoir un réel intérêt pour une marque souhaitant assurer une visibilité à long terme dans un quartier bien précis, croit Patrick Gauthier, coach en identité de marque et auteur du premier cours de branding offert à l'Université du Québec à Montréal. Une tour est bien plus visible et pérenne qu'un panneau publicitaire.»
Dans certains cas, comme pour Armani, cela relève d'une véritable stratégie de positionnement. «Depuis 2003, Armani Casa fait un réel travail de design intérieur et entreprend des projets hôteliers et résidentiels, souligne pour sa part Martin Leblanc. Il y a là une véritable intention de développer la marque, notamment dans des marchés friands de luxe comme les pays du Golfe ou asiatiques.»
Mais attention, le projet ne va pas sans risque pour les marques. «Elles ne peuvent se contenter de louer leur nom à un promoteur immobilier, prévient Patrick Gauthier. Une marque de luxe comme Armani ou Fendi promet une expérience, et l'acheteur s'attendra à retrouver dans sa résidence un cachet et des services à la hauteur de l'imaginaire que suscite cette marque.»
Bientôt au Québec ?
Y a-t-il un marché au Québec pour ce genre de projets ?
Patrice Groleau, propriétaire d'Engel & Völkers Québec et de McGill immobilier, où il est également courtier, est loin d'en être convaincu. Il rappelle que le marché immobilier montréalais de luxe reste loin de ceux de Miami, Londres ou Dubaï. Il ajoute qu'un prix est rattaché à la présence d'une marque prestigieuse. «C'est un peu comme la mention LEED, compare-t-il. A priori, tout le monde serait d'accord pour acheter un condo LEED, mais ils sont beaucoup moins nombreux à vouloir assumer la différence de coût !»
De son côté, Patrick Gauthier croit que les Québécois ont moins accès aux grandes marques de luxe et y sont moins exposés. Lors de ses conférences, il constate aussi qu'ils se montrent plus critiques envers elles. «De tels projets immobiliers pourraient susciter de la méfiance chez bien des gens qui n'y verraient que de l'esbroufe», craint-il.
«Si des promoteurs me demandaient mon avis, je leur dirais qu'on a probablement pas besoin de ça, conclut Patrice Groleau. Nous avons d'excellents architectes et designers locaux capables de réaliser des projets de grande qualité.»