Faire 100 fois son argent en Bourse, mission impossible? Notre chroniqueur Bernard Mooney croit au contraire que les investisseurs peuvent y arriver, à condition de suivre un plan de match bien précis.
C'est un lecteur de Québec qui m'a mis sur la piste du livre 100 to 1 in the Stock Market, de Thomas W. Phelps, il y a deux ans.
Ce lecteur disait avoir payé 100 $ pour ce livre publié en 1972, qu'il considérait comme un classique.
Ayant lu un très grand nombre de livres sur la Bourse, j'étais sceptique. J'ai réussi à dénicher un exemplaire sur le site Amazon.com. Il s'est avéré être un livre exceptionnel, qui mérite vraiment le qualificatif de classique.
Thomas Phelps a eu un parcours qui ressemble au mien. Il a été journaliste au Wall Street Journal de 1927 à 1936, avant de devenir éditeur pour Barron's. Par la suite, il a été analyste, conseiller financier et investisseur. Ses 40 années dans le monde du placement lui ont permis de se rendre compte qu'une grande partie de son travail de journaliste et de chroniqueur, qui consistait à écrire sur la possibilité de correction, de la fin du marché haussier ou sur un autre thème du genre, était contraire au placement intelligent.
Et que les investisseurs qui tentaient de répondre à ces questions perdaient leur temps.
Ainsi lui est venue l'idée de décrire la stratégie ultime pour s'enrichir en Bourse, dans le but de multiplier par 100 son capital initial. Au coeur de sa stratégie : acheter et ne jamais vendre ! Pour répondre à ceux qui pensent que cela est impossible, l'auteur a repéré des centaines de titres dont la valeur a été multipliée par 100, ce qui signifie qu'un placement de 10 000 $ a été transformé en un million de dollars. Il publie une liste de 365 titres de sociétés actives dans tous les secteurs de l'économie. La liste est vieille de plus de 40 ans, mais vous y retrouvez de nombreux noms connus, comme Walt Disney, Merck, Johnson & Johnson, Baxter, etc.
Plusieurs ont mis 40 ans pour multiplier leur valeur par 100, d'autres 30 ans et certains, plus rares, seulement 10, voire 5 ans.
«La principale raison pour laquelle si peu d'investisseurs réussissent à multiplier par 100 leur capital est qu'ils n'ont jamais essayé, écrit Thomas Phelps. Dans un sens, ils ont subi un lavage de cerveau qui les poussait à rechercher des types d'informations qui n'ont rien à voir avec le fait de multiplier son investissement par 100 et à agir en fonction de ces informations.»
Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela est juste. Je me rappelle qu'en 2001, alors que j'étais rédacteur en chef d'un site financier, j'ai fait un sondage dans lequel je demandais aux lecteurs après quel pourcentage de gain ils vendaient leurs titres. Selon ce petit coup de sonde, 49 % des lecteurs réalisaient leurs bénéfices après un gain variant de 10 % à 25 %, et 31 % d'autres lecteurs, de 25 % à 50 %.
Pour ces investisseurs, il est impossible de multiplier leur capital par 100 avec un placement, puisqu'ils ont vendu leurs titres bien avant !
Ne jamais vendre
Ironiquement, selon Thomas Phelps, les investisseurs qui cherchent à multiplier leur capital par 100 courent moins de risque que ceux qui tentent de faire des gains de 10 %, 20 % ou même de doubler leur mise. Lorsqu'on achète avec l'idée de faire 100 fois son placement initial, ce qui n'est réalisable que sur un grand nombre d'années, on fait ses devoirs attentivement et on privilégie la qualité plus que tout.
Cela permet d'éviter la spéculation... et les désastres.
La méthode de Thomas Phelps est solide et attrayante, mais ne croyez pas qu'elle soit facile à appliquer concrètement. En étudiant les 365 titres qui ont réussi l'équation de 100 pour 1, il observe quatre catégories de grands gagnants.
Il y a d'abord les titres qui progressent, principalement en raison d'une reprise des cours extrêmement déprimés au bas d'un grand marché baissier, comme en 2009. Il y a ensuite les titres qui croissent surtout en raison d'un changement dans le ratio de l'offre et de la demande d'une matière première, changement qui se reflète dans le prix beaucoup plus élevé de cette ressource.
Il y a aussi ces sociétés qui profitent de longues périodes de croissance économique pour maximiser l'effet de levier de leur structure du capital. Enfin, il y a ces entreprises qui s'apprécient parce qu'elles réussissent à réinvestir leurs bénéfices à des taux de rendement substantiellement plus élevés que la moyenne pendant de nombreuses années.
C'est cette catégorie de titres qui devrait intéresser l'ensemble des investisseurs, car elle repose davantage sur des éléments qu'ils maîtrisent. Par exemple, vous ne maîtrisez pas le fait que la Bourse soit ou non extrêmement déprimée.
D'ailleurs, M. Phelps explique avec doigté que c'est une erreur de miser sur le timing.
«Même si une personne savait comment la Bourse allait performer, il pourrait être plus rentable d'oublier cela et de s'appliquer à tenter de cibler le bon titre à acheter.»
Ce qui revient à dire que l'essentiel est d'acheter le bon titre. «Prenez le temps d'être sûr de choisir la bonne entreprise. Il est plus important d'avoir raison que d'être rapide.»
L'auteur cite l'exemple du titre d'ADP. En moins de cinq ans à partir du début de 1965, l'action du géant des services de la paie a été multiplié par 100. Pourtant, en septembre 1961, le titre se vendait à 4,25 $, et à la fin d'octobre 1962, il était à environ 1 $, après avoir perdu 70 % de sa valeur lors de ses 13 premiers mois en Bourse.
Même ceux qui ont payé plus de 4 $ au sommet de septembre 1961 ont fait 156 fois leur argent en 1971.
«La conclusion semble inéluctable : ce qu'on achète en Bourse est nettement plus important que le moment où on achète.»
L'autre facteur clé, c'est d'avoir la patience de conserver ses titres pendant de nombreuses années. Pour faire de l'argent en Bourse, «vous devez avoir la vision nécessaire pour repérer les titres intéressants, avoir le courage de les acheter et la patience de les conserver». L'auteur précise que la patience est la plus rare de ces trois qualités.
On peut penser que chaque fois qu'on vend un titre, on confesse une erreur. «Moins longtemps le titre a été conservé, plus l'erreur est palpable.»
Comment choisir ses titres
Il faut avant tout admettre qu'investir dans le but de multiplier son argent par 100 est un projet ambitieux. Vous trouverez peu de gens qui ont réussi un tel exploit. Mais c'est faisable. La première condition, comme Thomas Phelps le rappelle, est d'y croire assez pour le viser.
Pour multiplier votre capital par 100 sur 40 ans, vous devez avoir une appréciation de 12,2 % par année composée. Si vous voulez multiplier votre argent plus rapidement, vous devez réussir une appréciation plus élevée, soit de 14 % en 35 ans, 20 % en 25 ans et 36 % en 15 ans.
Afin d'obtenir une telle croissance pendant une si longue période, il est impératif d'investir dans des entreprises de petite taille. Il est en effet impossible pour une société comme IBM, dont la valeur boursière est de 200 milliards de dollars américains et les revenus, de près de 100 G$ US, de croître de plus de 10 % par an au cours des 20 prochaines années.
Concrètement, si vous avez des actions d'une société et que vous voulez multiplier votre capital par 100 sans miser sur une expansion du ratio cours/bénéfice, la croissance annuelle des profits doit être égale à l'appréciation visée. Ainsi, lorsque vous analysez les titres potentiels, vous devez estimer les chances qu'ils augmentent leurs bénéfices à des taux composés allant de 12 % à 36 %. Ce qui est exceptionnel sur un grand nombre d'années.
«Vous devez avoir une barrière pour protéger ce taux élevé de rendement, explique M. Phelps, en exprimant une idée fondamentale derrière la réussite et la fortune de Warren Buffett. Cette barrière peut être un brevet, l'innovation incessante, les marques de commerce, etc.»
L'auteur précise que vous devez évaluer les forces concurrentielles de la société. Pas ce qu'elles sont aujourd'hui, mais ce qu'elles seront dans six ou huit ans, lorsque l'entreprise sera trois ou quatre fois plus grande. «Pour réussir en Bourse, comme aux échecs, vous devez penser au moins un coup avant les autres.»
M. Phelps recommande d'étudier les données financières des 10 dernières années et non seulement le plus récent exercice, sur une base à la fois absolue et relative (par rapport au marché dans son ensemble et surtout par rapport à son secteur). Vous voulez cibler une société qui a une plus forte croissance et une meilleure rentabilité que la moyenne, de même qu'une performance supérieure aux sociétés équivalentes.
Il faut de plus établir une différence entre les bénéfices en tant que tels et la capacité bénéficiaire à long terme. «La capacité bénéficiaire, c'est la force concurrentielle. Elle se reflète dans des taux de rendement du capital, des marges bénéficiaires et une croissance des revenus supérieurs à la moyenne.»
Pour arriver à déceler ces sociétés exceptionnelles, l'auteur Thomas Phelps conseille aux investisseurs de ne pas se limiter aux chiffres et aux données financières.
«Pour trouver votre placement qui se multipliera par 100, n'achetez pas des entreprises dont le seul objectif est de faire de l'argent. Pariez sur des hommes et des organisations qui brûlent de zèle de satisfaire les besoins et les buts des êtres humains, qui sont remplis d'enthousiasme pour résoudre les problèmes de l'humanité.»
Où trouver les 100 pour 1?
«Chaque problème humain représente une occasion de placement si vous êtes capable de prévoir la solution», écrit Thomas W. Phelps dans son classique sur la Bourse, intitulé 100 to 1 in the Stock Market. Cela est la piste générale à suivre pour les investisseurs qui cherchent à repérer des titres dont la valeur sera multipliée par 100.
Plus précisément, M. Phelps mentionne ces sept thèmes comme réponse à la question «où trouver ces titres ?» :
1. Les inventions qui nous permettent de faire les choses que nous avons toujours voulu faire, comme l'automobile, l'avion et la télévision. On pourrait ajouter Internet et d'autres découvertes modernes.
2. Les nouvelles méthodes ou les nouveaux équipements nous permettant de faire ce qu'on a toujours dû faire, mais de le faire plus facilement, plus rapidement ou à plus faible coût. Des exemples : les ordinateurs, les équipements utilisés en agriculture, etc.
3. Les processus ou les équipements qui améliorent ou maintiennent la qualité d'un service tout en réduisant ou en éliminant l'effort qu'il exige habituellement. Exemples : la seringue jetable, les aliments surgelés, le photocopieur, etc.
4. Les nouvelles sources d'énergie plus économiques, comme le kérosène, qui a remplacé l'huile de baleine, etc.
5. Les nouvelles méthodes qui permettent de réaliser des travaux essentiels avec peu ou pas de dommages écologiques (p. ex., des insectes stérilisés pour éliminer de la vermine).
6. De meilleures méthodes ou des équipements pour le recyclage de matériaux essentiels.
7. De nouvelles méthodes ou équipements, par exemple, pour livrer des produits à la maison sans intervention humaine (pensons aux futurs drones d'Amazon).
Thomas Phelps estime qu'en scrutant ce genre de situations, l'investisseur se donne la chance de profiter de l'imprévisible et de l'incalculable. Et c'est un thème fascinant, car ce qui semble une idée anodine ou un développement limité peut prendre des dimensions tout à fait impossibles à prédire à long terme. M. Phelps rappelle qu'en 1905, un économiste avait estimé le marché total pour l'automobile à 500 000 véhicules !
«Choisissez des dirigeants, des produits et des processus qui peuvent, selon vous, aller au-delà de l'imprévisible.»
J'apporte une nuance importante quant aux secteurs à surveiller. Investir dans des technologies révolutionnaires me paraît plutôt difficile. Je préfère des secteurs plus faciles à comprendre et des entreprises qui reposent sur des concepts éprouvés et simples à reproduire.
Le meilleur exemple de cela est le commerce de détail. Lorsqu'un détaillant a développé un concept gagnant, il peut facilement le reproduire à l'extérieur de son marché d'origine.
Deux questions cruciales avant d'investir
Avant de réaliser un placement, Thomas Phelps recommande de se poser deux questions cruciales.
1. La barrière protégeant la société contre la concurrence est-elle assez solide et assez haute ?
Si les autres peuvent entrer dans le domaine de l'entreprise facilement, le rendement supérieur à la moyenne est condamné à diminuer, voire à disparaître.
2. À quel point les perspectives de croissance des ventes sont-elles bonnes ?
Il est important que le potentiel de croissance de l'entreprise, à très long terme, soit quasi sans limites.
M. Phelps décrit très bien le plus grand secret pour faire de l'argent en Bourse, soit acheter des titres de grande qualité et les conserver pendant des décennies. La seule faiblesse à mon avis est qu'il ne parle pas assez de l'importance de la direction dans le processus de sélection. Si j'ai appris une chose dans ma carrière d'investisseur, c'est qu'en plus de disposer d'un modèle d'entreprise gagnant, il faut s'assurer d'avoir des dirigeants exceptionnels. En fait, c'est devenu mon critère le plus important.
Ce n'est pas pour rien que M. Phelps écrit que, pour bien acheter, il faut avoir de la vision et du courage.
Pas facile, certes, mais n'oubliez pas que contrairement au spéculateur qui essaie de réaliser des profits de 10 % à 20 % à répétition, vous avez besoin d'avoir raison seulement une fois ou deux pour faire une fortune.
«Je ne connais aucun système, ni règle ni philosophie qui empêche un investisseur de faire une erreur ou qui le mette complètement à l'abri lorsqu'il se trompe», souligne avec tant de sagesse l'auteur.
100 fois - Oui c'est possible...
Ils sont nombreux, les lecteurs qui doutent quand on leur parle de multiplier leur argent par 100, croyant que la plupart des entreprises ne survivent pas assez longtemps pour rendre ce concept possible.
Ils sont pourtant nombreux les titres qui ont enrichi leurs actionnaires. On les retrouve dans la plupart des secteurs économiques.
Voici des exemples récents et actuels au Québec, au Canada et aux États-Unis.
Dans le secteur technologique, l'exemple classique est Microsoft. Le concepteur de logiciels a fait son entrée en Bourse en mars 1986 au prix de 0,10 $ US, en tenant compte des fractionnements. Un investissement de 10 000 $ US fait à cette époque vaut aujourd'hui près de 4 M$ US, sans compter les dividendes.
La société Illumina, qui se spécialise dans la fabrication d'un séquenceur ADN permettant de décoder le génome humain, a réussi encore plus rapidement. Son titre est passé de 0,90 $ US, en mars 2003, à 133 $ US. En 11 ans, ses actionnaires ont pu multiplier leur investissement par 147 grâce à la société de San Diego.
Rien de plus simple que de vendre des robes à bas prix. C'est ce que fait Ross Stores avec succès depuis de nombreuses années. Le titre a été un coup de circuit en Bourse, passant de 0,20 $ US à la fin de 1987, à 70 $ US aujourd'hui.
Que dire d'Alimentation Couche-Tard, dans le secteur des dépanneurs. Sous la gouverne exceptionnelle d'Alain Bouchard, le titre est passé de 0,33 $ en 1996 à 88 $ aujourd'hui, 266 fois plus.
Fastenal distribue des fournitures industrielles principalement aux États-Unis, mais aussi dans quelques autres pays dont le Canada. Le capital de la société est ouvert depuis le 20 août 1987. Un investissement de 10 000 $ valait, environ 26 ans plus tard, au 31 décembre 2013, près de 5,1 M$ US, ce qui représente un rendement annuel composé de 27,1 %.
La société Fairfax Financial Holdings a réalisé un rendement annuel composé de 19 % depuis que la direction actuelle a pris le contrôle, en 1985. Ce qui signifie que 10 000 $ investis en 1985 dans le conglomérat actif dans le secteur de l'assurance valait au 31 décembre 2013, soit 28 ans plus tard, environ 1,3 M$.
Vous retrouvez de ces gagnants partout. À vous maintenant de les reconnaître et de les acheter !
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Ces titres ont grandement enrichi leurs actionnaires