Le plan de relance du nouveau président de Target Canada, Mark Schindele, a l’allure d’un cours de commerce de détail 101, mais obtient le bénéfice du doute des observateurs.
En poste depuis mai, M. Schindele s’est engagé à améliorer les stocks, à raffiner la stratégie de prix et à bonifier l’assortiment de produits.
Le spécialiste du merchandising promet des progrès tangibles en magasin dès cet automne, mais les experts estiment qu’il faudra deux ans au détaillant pour séduire à nouveau les consommateurs et obtenir un meilleur rendement de sa filiale canadienne.
« Au moins, ils réagissent et s’ajustent. Tout ce qu’ils ont annoncé jusqu’à maintenant indique que la volonté est là pour que ça fonctionne au Canada », dit Terry Henderson, président pour le Québec et l’Atlantique, du consultant J.C. Williams Group.
Matthew McClintock, de Credit Suisse, se dit plus confiant qu’avant que le plan d’action donne d’assez bons résultats pour que Target Canada puisse procéder à la deuxième campagne de lancement que le détaillant a promis, une fois ses problèmes de marchandises réglés.
Ce deuxième départ pourrait avoir lieu à l’automne 2015 pour coïncider avec le lancement d’une nouvelle collection de décoration exclusive conçue par la designer canadienne bien en vue Sarah Richardson.
Jusqu’ici, M. McClintock se demandait plutôt si le nouveau président de la société-mère américaine ne devait pas plutôt envisager de quitter le Canada pour réinvestir son capital dans sa relance américaine, après avoir perdu 1,2 milliard de dollars américains en 15 mois.
Trop tôt et couteux de quitter le Canada
M. McClintock se ravise parce que M. Schindele, un opérateur aguerri par ses 15 ans chez Target, semble avoir les choses bien en mains pour réparer les problèmes d’approvisionnement, qui ont tant nui aux ventes et à la rentabilité de Target Canada jusqu’ici.
Sa marge brute a en effet fondu de 38,4 % au premier trimestre de 2013 au moment de l’achalandage du lancement à 4,4 % au quatrième trimestre de 2013, au moment des soldes pour écouler de la marchandise invendue.
« Il serait prématuré pour Target de se retirer, car sa division canadienne a le potentiel de réaliser des ventes de 4,5 milliards et une marge brute de 30 % et à de doubler à 314 $ ses ventes par pied carré, d’ici 2017, alors qu’il lui coûterait très cher de fermer boutique », note-t-il dans un rapport.
Target Canada a notamment l’occasion de profiter des déboires Sears Canada pour lui ravir ses clientes, ajoute M. McClintock.
Target Canada se donne probablement deux ans pour renverser la vapeur, croit Keith Howlett, de Desjardins Marché des capitaux, qui estime à 50 % ses chances d’y parvenir.
« À ce moment-là, ses baux de cinq ans approcheront de leur échéance et la société pourra alors réévaluer ses options. Le détaillant pourrait aussi réduire le nombre de ses magasins, mais le succès sourit rarement aux détaillants qui rétrécissent », dit-il.
Une première incursion à l’étranger trop ambitieuse
Une première incursion à l’étranger trop ambitieuse
Pour sa première incursion hors des États-Unis, Target Canada a surtout vu trop grand en ouvrant 124 magasins et en recrutant 15 000 employés en 12 mois, note M. Henderson.
Un nouveau système de gestion différent de celui de sa maison-mère, l’impartition des fonctions de logistique et l’absence d’historique de ventes pour aiguiller les commandes ont exacerbé ses difficultés.
Au Canada, par exemple, la gestion des commandes était confiée aux trois centres de distribution.
La même commande minimum était parfois donnée trois fois, obligeant Target Canada à les solder, tandis que dans d’autres cas, il manquait des marchandises sur les tablettes, résultant en des ventes manquées
À l’avenir, chaque fournisseur disposera d’un code unique pour faciliter la gestion des stocks en fonction des ventes, comme c’est le cas aux États-Unis.
Parfois, certains codes universels ne correspondaient pas à ceux dans le système informatique causant un goulot d’étranglement au centre de distribution où les employés devaient trier les stocks.
Target Canada termine d’ailleurs un inventaire manuel des marchandises en magasin pour remettre les compteurs à zéro. Déjà, le niveau des stocks en magasins s’est amélioré, a assuré M. Schindele.
À l’avenir, le détaillant accélérera aussi la fréquence des livraisons des articles à consommation plus fréquente pour la maison.
Après avoir découvert que les prix de 1 000 de ses 20 000 produits n’avaient pas été comparés régulièrement à ceux de son rival Wal-Mart, M. Schindele bonifie la politique du « même prix garanti ».
Dorénavant, Target Canada égalisera les prix des concurrents locaux, incluant ceux sur leur site internet et sur les applications de comparaison reebee et flipp. L’ajustement se fera à la caisse, au lieu du service à la clientèle.
Le défi : convaincre les clients que Target a changé
Le défi : convaincre les clients que Target a changé
Target Canada améliore aussi l’apparence et le contenu de ses circulaires pour mieux faire valoir ses bons prix, ses promotions, et ses articles exclusifs pour attirer des clients en magasin, explique M. McClintock.
Le détaillant mettra ensuite l’accent sur ses collections exclusives et ses vêtements à la mode à petits prix pour se distinguer de Wal-Mart Canada.
« Il est crucial qu’ils bonifient leur assortiment de produits et leurs collectons exclusives pour se différencier et devenir une destination pour les Canadiens. Je ne suis pas sûre qu’ils y arriveront avec une collection plus garnie de vêtements Beaver Canoe de Roots ou le lancement de celle de Sarah Richardson », dit Maureen Atkinson, associée principale chez J.C. Williams Consultants.
En réponse aux demandes formulées par ses clients, Target Canada augmente aussi de 50 % son assortiment de vêtements de maternité, compte offrir une collection de vêtements de grande taille et prévoit élargir son assortiment de cosmétiques de marque e.l.f. et NYX, entre autres.
Cet automne, Target Canada offrira aussi de nouvelles gammes de petits électroménagers dont la collection French Bull, qui allie couleurs vives et désign à bon prix.
Sally Seston, directeur de Retail Category Consultants n’est pas convaincue. « Ils sont presque condamnés à décevoir parce qu’ils ne pourront jamais pas offrir aux Canadiens la profondeur de leur assortiment et les mêmes prix qu’aux États-Unis. Leur application d’achat mobile laisse aussi à désirer », dit-elle.
Leur principal défi sera de communiquer aux Canadiens qu’ils ont changé.
« Ce n’est pas facile de corriger une première mauvaise impression, surtout après avoir trop promis et avoir manqué à ses promesses », fait valoir Mme Atkinson.