L'industrie de l'alimentation, jadis considérée comme un refuge tranquille par les investisseurs, s'anime d'un soupçon de piquant. Entre acquisitions, fidélisation de la clientèle et guerre de prix, les trois principaux acteurs du secteur que sont Metro, Loblaw et Empire rivalisent d'audace pour se différencier de Wal-Mart et Target ainsi que protéger leurs marges de profit. Quelle recette pourrait donc profiter à votre portefeuille boursier ?
LOBLAW (Tor., L, 44,10 $)
Le meilleur potentiel de croissance
Cours / bénéfice (2014) : 17,5 x(Bloomberg)
Cours cible moyen 12 mois des analystes sondés par Bloomberg : 53,54 $
Mieux outillée qu'auparavant, Loblaw, qui exploite aussi les enseignes Provigo et Maxi au Québec, est désormais un meilleur détaillant et offre un bon potentiel de croissance. C'est du moins l'opinion de Marie-Ève Savard, gestionnaire de portefeuille chez Investissements Standard Life. «Les nouveaux systèmes informatiques associés à l'inventaire, à la distribution et au transport offrent un excellent potentiel d'économie de coûts», dit-elle. Lors du dernier trimestre, 53 magasins ont migré vers le système SAP, pour un total de 72 pour l'exercice qui s'est terminé fin décembre. Le processus d'implantation devra cependant être optimisé avant d'en accélérer le déploiement, dont la finalité est prévue d'ici le début 2016.
Loblaw a également regroupé ses propriétés immobilières sous la fiducie de placement immobilier (FPI) Propriétés de Choix. «Ces actifs ont longtemps été sous-valorisés par le marché», souligne Mme Savard. L'entreprise pourrait toujours monétiser la seconde tranche de son parc immobilier, initialement exclue au moment du premier appel public à l'épargne (PAPE), dans l'éventualité d'un besoin supplémentaire de liquidités.
La gestionnaire apprécie également le mariage de l'épicier avec le pharmacien Shoppers Drug Mart, qui devrait être officialisé d'ici quelques semaines. «Une union complémentaire qui offre beaucoup de potentiel pour créer de la valeur, sous réserve d'une intégration adéquate.» C'est que Loblaw n'a pas nécessairement l'expérience d'Alimentation Couche-Tard lorsque vient le moment d'intégrer une nouvelle acquisition. «L'équipe de direction actuelle de Shoppers demeure en place pour gérer la société séparément», explique la gestionnaire, qui fixe son cours cible à 52 $.
La révision continue de l'offre des produits, le déploiement du programme de fidélisation PC Plus - qui compte désormais 300 000 membres - et le lancement du concept Provigo Le Marché au Québec sont autant d'éléments catalyseurs potentiels d'une meilleure rentabilité à venir.
Sur le sentier de la guerre
Loblaw a investi 25 millions de dollars pour offrir des prix plus bas au dernier trimestre, une initiative vaine dans l'immédiat. «Il semble évident que les activités promotionnelles se multiplient actuellement», résume Peter Sklar, analyste de BMO Marchés des capitaux, pour illustrer la forte concurrence qui prévaut dans le secteur.
Selon Jim Durran, analyste chez Barclays, cette concurrence serait même plus vive qu'anticipé par la direction de Loblaw. Michael Van Aelst, de TD Valeurs mobilières, abonde dans le même sens. «Des pressions à la baisse sur les prix, un consommateur frugal, l'offre additionnelle de milliers de pieds carrés en superficie et une réponse musclée d'Empire - et dans une moindre mesure de Metro - annoncent un quatrième trimestre 2013 plus difficile qu'anticipé.»
Des propos qui rejoignent également ceux de Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille pour Lombard Odier & Cie. Il souligne que le nombre de magasins sur le marché, toutes enseignes confondues, ne cesse de croître. «Le secteur doit composer avec une augmentation importante de capacité, qui surpasse désormais la croissance de la demande des consommateurs», dit-il. Il reste donc prudent face au secteur de l'alimentation en Bourse. «Lorsqu'un épicier gagne des parts de marché, un autre voit les siennes diminuer d'autant», observe M. Zaccardelli.
À la suite de la présentation des résultats trimestriels du 13 novembre dernier - Loblaw a réduit ses prévisions pour 2013 - le consensus FactSet des analystes se situe désormais à 54,27 $, un rendement potentiel de plus de 23 %.
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Metro (Tor., MRU, 66,10 $)
Peu chère, mais moins bien positionnée
Cours / bénéfice (2014) : 12,7 x (Bloomberg)
Cours cible moyen 12 mois des analystes sondés par Bloomberg : 66,83 $
À défaut d'un catalyseur prochain pour le titre de Metro, qui exploite Super C, Marché Richelieu et Brunet, celui-ci pourrait continuer de se négocier longtemps à prix d'aubaine.
La direction de l'entreprise jongle pourtant à l'heure actuelle avec plusieurs scénarios. «Metro a un bilan très sain, possède une participation dans Alimentation Couche-Tard et peut s'endetter davantage si les dirigeants identifient une cible d'acquisition intéressante», explique Marie-Ève Savard, de Standard Life.
La difficulté réside justement sur ce plan. «Même si la société possède le bilan requis et la volonté de faire une acquisition pour améliorer sa position concurrentielle, nous ne considérons aucune des cibles potentielles comme suffisamment stratégiques pour faire de Metro un véritable détaillant d'envergure nationale en mesure d'accroître sa taille substantiellement face à Wal-Mart, ou pour permettre de réaliser des synergies significatives», écrit Jim Durran, analyste de Barclays.
Malgré le fait que Metro prévoit investir 250 millions de dollars dans son réseau en 2014, procéder à la restructuration de ses magasins en Ontario et augmenter le nombre de succursales Adonis au Québec, cinq chercheurs de l'Université de Guelph craignent que la prochaine année lui soit particulièrement difficile. «L'entreprise sera sûrement à la recherche d'une acquisition, à moins qu'elle ne soit achetée par un concurrent», écrivent-ils dans l'étude intitulée «Food Price Index 2014». À leur avis, la guerre de prix qui prévaut actuellement donnera beaucoup de fil à retordre à la société, dont le pouvoir d'achat s'est érodé à la suite de l'acquisition de Canada Safeway par Empire.
Aucun risque d'intégration
Contrairement à ses rivales Empire et Loblaw, Metro ne fait présentement face à aucun risque d'intégration. De plus, en attendant qu'une occasion d'acquisition se présente, les dirigeants pourraient vouloir récompenser la patience des actionnaires.
Jim Durran estime en effet que Metro pourrait recueillir de 275 M$ à 800 M$ pour mettre en place un programme spécial de rachat d'actions représentant de 4 à 13 millions de titres en circulation, ou payer un dividende extraordinaire oscillant entre 2,93 $ et 8,26 $ par action. «Un programme de cette ampleur vaut de 3 $ à 8 $ par action, mais la valeur du titre intègre déjà ces possibilités», évalue cependant M. Durran.
Tandis que le consensus des analystes se situe à 66,83 $ - un maigre gain potentiel de 6 % au cours actuel -, Mme Savard et M. Zaccardelli se montrent relativement prudents à l'égard du titre de Metro. La première fixe son cours cible à 68 $, pendant que le second considère qu'un bon point d'entrée pour l'investisseur à long terme se trouve sous les 60 $. «Le potentiel haussier me semble cependant limité d'ici les 12 à 18 prochains mois», conclut Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille pour Lombard Odier & Cie.
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Empire (Tor., EMP.A, 72,42 $)
Une juste évaluation
Cours / bénéfice (2014) : 12,1 x (Bloomberg)
Cours cible moyen 12 mois des analystes sondés par Bloomberg : 83,44 $
Le propriétaire de Sobeys, IGA et Boni Soir a volé la vedette à l'été 2013 en mettant la main sur les magasins de Canada Safeway, qui étaient notamment convoités par Metro. «Un excellent coup des dirigeants», avoue Marie-Ève Savard, qui rappelle cependant qu'une acquisition ne s'effectue jamais sans risque.
Empire - «un brillant opérateur», selon la gestionnaire d'expérience - n'en finit d'ailleurs pas de surprendre. La société prévoit investir avec ses partenaires plus de 100 millions de dollars d'ici cinq ans pour appuyer le déploiement de ses nouvelles enseignes IGA Express et IGA Mini, annoncées le 22 novembre 2013.
«IGA Express, c'est un hybride entre un supermarché, un dépanneur et de la restauration rapide, mais dont l'objectif est de mieux faire manger les Québécois sur le pouce. Nous sommes allés voir ce qui se faisait de mieux dans le monde et nous nous en sommes inspirés pour élaborer la meilleure formule pour nos clients», explique Claude Tessier, président de Sobeys Québec.
Les produits de base offerts par les principaux épiciers se ressemblent habituellement beaucoup. «Pour réaliser des profits supérieurs, les épiciers doivent soit se faire concurrence sur le plan des coûts, ou innover au chapitre de l'offre alimentaire», résume Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille adjoint, chez Medici.
À cet effet, nos voisins du Sud semblent avoir une longueur d'avance. «La chaîne Whole Foods Market est reconnue pour son offre de produits très frais et pour sa percée dans le créneau biologique. Les acteurs canadiens pourraient être tentés de reproduire ce modèle», dit-il. C'est que tous les épiciers veulent désormais se différencier de Wal-Mart et de Target. La tendance, indéniable, se dessine : les Canadiens veulent mieux manger. «Metro, Loblaw et Empire élaborent chacun leur concept de produits frais», ajoute Mme Savard.
Malgré ce renouveau d'Empire et sa participation de 42,1 % dans le fonds de placement immobilier Crombie REIT ainsi que dans le promoteur immobilier Genstar, la communauté financière demeure tiède à l'égard du titre. Mme Savard fixe son cours cible à 83 $ et considère la faible présence de l'entreprise dans le segment à escompte comme étant son talon d'Achille.
Le consensus Factset se situe quant à lui à 84,13 $, pour un rendement potentiel plutôt modeste d'environ 10 %.