«Bienvenue à la plus populeuse assemblée annuelle de l'histoire de Daily Journal (Nasdaq, DJCO, 177,70 $ US). Il y a une infime quantité d'actionnaires présents et de nombreux groupies parmi nous. Je me réjouis de vous voir tous ici rassemblés, y compris les groupies !» C'est de cette façon humoristique que Charlie Munger, célèbre investisseur et partenaire de Warren Buffett, a entamé la dernière assemblée de la société d'édition juridique dont il préside le conseil d'administration. Contrairement à l'assemblée annuelle de Berkshire Hathaway, à Omaha, - où l'on dénombre souvent plus de 40 000 participants - la salle de Los Angeles ne compte que 250 places assises.
François Rochon et moi avons écouté religieusement les propos de Charlie (comme il se fait communément appeler). Il a répondu à de nombreuses questions tous sujets confondus, des méandres de la comptabilité moderne à l'optimisme inexorable de son vieux compère Warren Buffett. Charlie nous a aussi dévoilé une primeur quant au prochain rapport annuel de Berkshire. Il s'agira d'un rapport marquant le 50e anniversaire de la prise de contrôle de Warren Buffett, qui tente de répondre à deux questions : comment Berkshire est-elle devenue une si grande réussite. Celle-ci pourra-t-elle se poursuivre dans le futur ? Notre curiosité a été piquée au point de tenter de faire l'exercice par nous-même, du moins pour la première partie de l'interrogation. Berkshire est sans doute l'une des plus grandes réussites de toute l'histoire du capitalisme. La valeur comptable du conglomérat a crû à un rythme annuel avoisinant les 20 % depuis 1965, et le titre a récemment touché un sommet historique en se négociant à plus de 213 000 dollars américains par action (de catégorie A). La valeur boursière de Berkshire, qui n'était que de quelques millions à la fin des années 1960, est aujourd'hui de plus de 339 milliards de dollars américains.Humilité et discipline
A priori, on serait porté à croire que la grande intelligence de Warren Buffett a été le facteur déterminant dans cette réussite. Bien que cela soit certainement un ingrédient, l'intelligence n'est pas suffisante à elle seule pour arriver à un tel accomplissement. M. Buffett a déjà mentionné - avec son humour raffiné - que l'investisseur possédant un Q.I. de 150 devrait en vendre 30 à quelqu'un d'autre, car rien au-dessus de 120 n'est nécessaire pour réussir en Bourse. Dans ce cas, quel est ce mystérieux ingrédient de l'Oracle d'Omaha, celui qui transforme le plomb en or ?
À notre avis, il s'agit de l'humilité. Cette qualité est l'engrais d'un esprit en constant état d'apprentissage. Au dire de M. Munger, même à plus de 84 ans, Warren Buffett est une vraie machine à apprendre. «Il est toujours sur le mode de l'évolution, et il apprend constamment de ses erreurs». Sa quête d'amélioration est plus forte que l'orgueil, l'apanage courant de bien des gens d'affaires ayant réussi.
L'humilité est aussi à la source de la discrimination. M. Buffett sait ce qu'il connaît bien et ce qu'il comprend moins. L'humilité lui permet de rester discipliné, même - et surtout - quand un secteur est à la mode, comme les titres technologiques à la fin des années 1990. Il a ainsi défini son cercle de compétence et en connaît bien les limites. Cela ne l'empêche toutefois pas d'évoluer et de l'élargir.
L'industrie ferroviaire en est un bon exemple. Il y a quelques années, Berkshire a fait l'acquisition de Burlington Northern Santa Fe. Pourtant, MM. Buffett et Munger ont détesté l'industrie ferroviaire pendant une bonne partie de leur carrière. Ce secteur requiert d'abondants investissements en immobilisations et est très réglementé. Ainsi, l'industrie fut longtemps affligée par de faibles rendements de ses capitaux propres. Cependant, lors de la dernière décennie, elle a connu d'importantes transformations qui ont modifié son modèle d'entreprise. MM. Buffett et Munger ont eu la sagesse de surmonter leurs préjugés et d'y discerner une occasion d'investissement.Une entreprise durable
Au-delà de l'humilité, il y a aussi un autre ingrédient présent : la quête de pérennité. Pour Warren Buffett, Berkshire Hathaway est l'équivalent de sa chapelle Sixtine. Il la peint pour les générations futures : toutes les décisions sont prises en fonction d'un horizon à très long terme. M. Buffett aurait pu arrêter de peindre avec ardeur lorsque l'entreprise valait deux ou trois milliards et ralentir le tempo de croissance. Toutefois, sa passion et le désir de créer, plus encore qu'une entreprise, une oeuvre d'art d'exception, lui ont permis de continuer de faire bourgeonner Berkshire et d'ainsi multiplier l'entreprise par cent. Peu d'êtres humains ont un tel horizon temporel et cela lui donne un avantage concurrentiel unique.
Il est simpliste de prétendre expliquer l'immense succès de Berkshire grâce à cette chronique de quelques centaines de mots. Cependant, l'humilité de M. Buffett, conjuguée à sa passion de bâtir à long terme, pourrait expliquer une bonne partie de cette réussite. Nous en aurons le coeur net lors de la sortie de sa lettre annuelle, en mars 2015.
Jean-Philippe Bouchard est gestionnaire de portefeuille chez Giverny Capital.