CONSTELLATION SOFTWARE (Tor., CSU, 247,04 $)
Dans le coin gauche, la torontoise Constellation Software multiplie les acquisitions. Dans le coin droit, Avigilon, de Vancouver, comble une myriade de besoins pointus dans le domaine de la sécurité. Quel titre privilégient les analystes ?
Marchés de niche tous azimuts
Quand est arrivé le moment de baptiser l'entreprise, le nom n'a pas été tiré d'un chapeau. Le modèle d'affaires de Constellation Software consiste à acquérir de petites boîtes informatiques opérant sur des marchés verticaux. La constellation est ainsi formée d'une multitude de sociétés qui oeuvrent dans des secteurs aussi nichés que diversifiés : la gestion d'approvisionnement d'une cafétéria à la gestion de taxes municipales, aux abonnements d'un club de golf, etc.
Fondée en 1995 par son président actuel, le discret Mark Leonard, la société de Toronto fonctionne à la manière d'une société de gestion. Les entreprises acquises restent indépendantes, tandis que leurs flux de trésorerie sont dirigés vers l'acquéreur, pour financer de nouvelles acquisitions.
En 2013, Constellation Software s'est établie avec succès dans de nouveaux marchés, dont celui des bibliothèques scolaires, de la gestion événementielle et de la distribution de pneus. La société est désormais active dans 62 secteurs différents, et aucun de ses clients ne contribue à plus de 2 % de ses ventes annuelles.
« C'est un modèle d'entreprise fantastique », affirme Martin Ferguson, gestionnaire chez Mawer Investment Management, dont les fonds possèdent 11 % de Constellation.
Les logiciels sont spécialisés et essentiels pour les clients. Cette situation rend ces derniers captifs.
« Lorsque tous les employés d'une PME reçoivent la formation et développent leurs compétences pour un logiciel en particulier, l'entreprise ne voudra pas changer de fournisseur », souligne Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille adjoint chez Medici, qui n'hésite pas à qualifier Constellation Software « d'entreprise fétiche ».
Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille pour Lombard Odier Gestion (Canada), apprécie la stratégie de l'entreprise qui lui assure « une bonne récurrence et une solide diversification des revenus, en provenance des secteurs public et privé. »
Du capital « gratuit »
L'entreprise parvient même à facturer ses clients avant d'avoir livré des services. « Elle profite de capital financier à coût nul », s'anime Pierre-Olivier Langevin. En faisant ainsi payer hâtivement les clients en échange des futures mises à jour de ses solutions logicielles, la société se dote donc d'une structure de financement gratuite... pour ensuite maximiser ses bénéfices pour chaque dollar de capital utilisé, explique le gestionnaire.
Cet avantage prend toute son importance lorsqu'on sait que l'entreprise multiplie les acquisitions pour assurer sa croissance. La société digère présentement celle de l'européenne Total Specific Solutions au coût de 327 millions de dollars effectuée en 2013. Lors de cette seule année, elle a bouclé 29 acquisitions supplémentaires pour un total de 262 M$, soit une moyenne de 9 M$ par achat. Cela se compare aux 35 acquisitions réalisées en 2012 à un prix moyen de 5,1 M$ par transaction.
Au dernier trimestre, la société dirigée par le « meilleur dirigeant d'entreprise du Canada », selon Pierre-Olivier Langevin, a conclu six acquisitions à un coût total de 18,5 M$, un rythme moindre que celui auquel les actionnaires sont habitués. L'analyste Thanos Moschopoulos, de BMO Nesbitt Burns, s'attend d'ailleurs à des acquisitions de l'ordre de 150 M$ et de 200 M$ en 2014 et en 2015, respectivement.
Constellation Sotfware surveille plus de 10 000 cibles d'acquisitions potentielles, à la recherche d'entreprises qui dominent leur créneau respectif, qui font face à une faible concurrence et qui génèrent un minimum de 1 M$ annuellement en bénéfices avant intérêts et impôts.
M. Leonard cible des sociétés exceptionnelles dirigées par des gestionnaires de talent pour faciliter ainsi une intégration parfaite à son modèle très décentralisé. La nouvelle entité greffée continue d'opérer de façon indépendante, avec les dirigeants en place : Constellation Software participe très peu à la gestion quotidienne de ses filiales.
Une quinzaine de personnes pilotent les dossiers de fusions et d'acquisitions à l'interne.
Résultats sous les attentes
Les résultats du premier trimestre n'ont pas été à la hauteur de certaines attentes, comme c'est parfois le cas avec les entreprises à forte croissance. Les revenus trimestriels ont bondi de 54 %, à 395 M$, tandis que les analystes avaient prévu 402 M$.
Le bénéfice ajusté par action a crû de 60 %, à 2,52$, mais les analystes avaient misé sur un bénéfice ajusté de 2,84$ par action.
Thanos Moschopoulos reste neutre à l'égard du titre, avec une cible de 280 $, ce qui représente néanmoins un gain potentiel de 14,3 % par rapport au cours actuel de 245$.
Même conclusion de la part de Stéphanie Price, analyste de Marchés mondiaux CIBC, qui fixe sa cible à 275$, soit un multiple de 19 fois le bénéfice ajusté par action prévu de 14,64$ en 2015.
Pierre-Olivier Langevin, de Medici, préfère de son côté parler de valeur intrinsèque, soit le prix par action qu'il serait disposé à payer pour acquérir l'entreprise entière et en tirer un rendement raisonnable de 10 % à 12 % par an. Il situe cette valeur intrinsèque à 275 $.
Pour sa part, Mario Zaccardelli qualifie le titre de « valeur attrayante », mais soulève néanmoins l'importance pour la société de continuer à réaliser des acquisitions judicieuses et à prix raisonnable pour soutenir la croissance du titre en Bourse.
Les analystes surveillent aussi de près les décisions entourant la répartition de capital que l'entreprise pourrait prendre. Le président Mark Leonard a évoqué la possibilité de réduire ou d'éliminer le dividende si une occasion d'acquisition intéressante l'obligeait à procéder ainsi. Un changement dans la distribution aux actionnaires pourrait peser sur le titre à court terme.
« Tant que Constellation obtient un rendement élevé sur ses acquisitions, elles sont une meilleure utilisation de son capital que le versement d'un dividende », dit Martin Ferguson, qui commente la possibilité que Constellation réduise son dividende pour financer de plus grosses transactions.
POINT POSITIF
Les intérêts des actionnaires alignés sur ceux de la direction
Les dirigeants et les administrateurs - qui sont d'ailleurs dans l'obligation d'investir 75 % de leurs bonis annuels dans l'achat d'actions de Constellation Software et de conserver celles-ci sur une période s'échelonnant jusqu'à 5 ans - possèdent environ 13 % du capital-actions de la société torontoise.
POINT NÉGATIF
Une révision de la politique du dividende en vue ?
La loi des grands nombres fait en sorte que Constellation Software doit viser et financer de plus importantes acquisitions pour soutenir sa croissance en matière de rentabilité. La société canadienne pourrait réduire ou éliminer le dividende si une occasion d'acquisition se présentait. L'entreprise est également à la recherche de sources de financement supplémentaires.
+ 29,6 % - Hausse annuelle composée de ses revens depuis cinq ans. Avec sa valeur boursière de 5,2 G$ et ses revenus de 1,2 G$ US, Constellation est une doyenne de la croissance et des acquisitions depuis 1995.
+ 1 535 % - Son action a procuré un rendement de 1 535 % depuis son entrée en Bourse en 2006, jusqu'au 31 mars 2014, en incluant les dividendes. Cela représente un rendement annuel composé de 43 %.
+ 98 % - Ses logiciels étant essentiels à la conduite des 60 industries qu'elle sert, ses revenus bénéficient d'un taux de renouvellement de 98 %.
+ 30 % - Le meilleur repère de rendement pour ce fournisseur de logiciels aux revenus récurrents est le ratio qui compare ses flux de trésorerie excédentaires à l'avoir des actionnaires. Il atteint environ 30 % depuis 10 ans. AVIGILON (Tor., AVO, 22,80 $)
Croquer dans une tarte globale
Contrairement à Constellation Software qui vise à combler une myriade de besoins pointus, Avigilon table sur un marché unique et mondial. Le fonds de commerce de l'entreprise de Vancouver : la peur. La peur du terrorisme, du vandalisme, du vol, de la défaillance... bref, un marché immense.
Fondée en 2004, trois ans après l'attentat des tours jumelles à New York, l'entreprise conçoit des systèmes intégrés de vidéosurveillance de haute résolution et de contrôles d'accès.
Elle se targue d'offrir le système « le plus puissant et le plus facile à utiliser du monde ». Ses produits se retrouvent dans les aéroports, les banques, les hôpitaux, les casinos et sur les sites d'infrastructures critiques.
La société ne cesse d'impressionner par la croissance de ses revenus, qui ont explosé de 66 % au premier trimestre, sans l'effet des acquisitions. Le bénéfice ajusté par action a doublé à 0,19$, 46 % plus élevé que prévu grâce à une hausse de la marge brute à 57 %.
À la faveur d'un réseau de distribution efficace, les revenus ont augmenté dans la dernière année de 114 % et de 116 % dans les régions de l'Asie-Pacifique et d'Amérique latine, respectivement. L'Amérique du Nord demeure la vache à lait de l'entreprise, avec une croissance trimestrielle de 68 % des ventes.
La direction compte d'ailleurs pouvoir tripler ses revenus à 500 millions de dollars, de 2013 à 2016.
Et il ne s'agit là que d'une petite part d'une tarte énorme. Selon la firme américaine de recherche IHS, le marché mondial pour les équipements de surveillance (en excluant le service) s'élèvera à 23 milliards de dollars américains en 2016, près de deux fois la taille qu'il avait en 2012.
Des départs qui inquiètent
Si les conditions de marché sont favorables à Avigilon, il en va autrement à l'intérieur de l'entreprise. Le 6 mai, la direction a confirmé le départ pour des raisons de santé du chef des finances Bradley Bardua, après seulement 30 mois de service. L'annonce est venue porter ombrage à ses solides résultats, incitant les investisseurs à larguer leurs actions. Le titre s'est effondré de 16,5 % le 7 mai, et de 26 % lors de la seule semaine terminée le 9 mai.
Il s'agit en effet du quatrième dirigeant à quitter le navire en six mois. Même la nomination intérimaire de l'un des actionnaires fondateurs, Wan Jung, actif depuis 2004 au sein de l'entreprise, n'a pas réussi à rassurer les investisseurs.
« Tous les titres technologiques qui se négocient à de hauts multiples en ont pris pour leur rhume récemment », nuance Mario Zaccardelli, gestionnaire chez Lombard Odier Gestion, pour expliquer la réaction violente des investisseurs.
Michael Urlocker, de GMP Valeurs mobilières, juge aussi la réaction des investisseurs excessive. « Ça contraste avec les forts résultats annoncés et avec nos observations de l'industrie, qui suggèrent une poursuite de la forte croissance de l'entreprise », dit-il.
D'ailleurs, plusieurs hauts dirigeants ont profité de la chute récente du titre pour acheter des actions supplémentaires. Le président Alexander Fernandes, le nouveau chef des finances Wan Jung et le viceprésident exécutif Danny Kam ont tous trois acheté des dizaines de milliers d'actions chacun en mai, à des prix variant de 19,25$ à 21,80$.
Malgré la chute de 39 % du titre depuis son sommet historique de 34,50$ le 23 janvier, les analystes demeurent optimistes face aux perspectives de l'entreprise de Vancouver. La Financière Banque Nationale continue de prévoir pour le titre une performance supérieure à celle de la Bourse canadienne et fixe son cours cible à 40$, soit 30 fois les bénéfices prévus en 2015.
De son côté, Michael Urlocker recommande chaudement l'achat du titre qu'il voit rebondir de 81,6 % à 37,50$, d'ici un an.
Steve Arthur et Anthony Jin, analystes chez RBC Marchés des Capitaux, sont moins enthousiastes. Ils abaissent leur cours cible de 32$ à 29$, parce que la forte croissance d'Avigilon taxe les ressources de l'entreprise. Entre autres, des centaines d'emplois sont à pourvoir au sein de l'entreprise, dont plusieurs à des positions clés en finance, ressources humaines et marketing. Au premier trimestre seulement, le nombre d'employés a bondi de 22 %, à 556.
MM. Arthur et Lin estiment que les inquiétudes soulevées par le départ de M. Bardua risquent de freiner la progression du titre et son évaluation en Bourse. Bien qu'elle dispose d'un avantage technologique, Avigilon n'est pas seule dans une industrie mondiale concurrentielle.
Il est possible qu'une autre technologie dépasse celle de l'entreprise de Vancouver d'ici quelques années. Les grands acteurs des télécommunications pourraient aussi offrir leur propre service de surveillance, comme le fait le câblodistributeur américain Comcast par son service de sécurité Xfinity.
POINT POSITIF
Des revenus en forte croissance à l'international
Grâce à un réseau de distribution bien ficelé, les revenus ont augmenté dans la dernière année de 114 % et de 116 % dans les régions de l'Asie-Pacifique et d'Amérique latine, respectivement. En ce qui a trait aux dollars, l'Amérique du Nord reste la vache à lait de l'entreprise, avec une croissance annuelle de 68 % des ventes.
POINT NÉGATIF
Un risque opérationnel à surveiller
Avec le départ successif de quatre hauts dirigeants en six mois, les investisseurs se demandent si la société pourra soutenir sa croissance fulgurante. Il y aurait notamment des centaines d'emplois à pourvoir au sein de l'entreprise.
+ 49,9 % - Avigilon est la championne canadienne de la croissance. L'entreprise de Vancouver s'est classée en tête du classement annuel de Profit Magazine en 2013, grâce à une croissance annuelle de 49,9 % de ses revenus depuis cinq ans.
+ 40 % - La société vise des revenus de 500 M$ d'ici 2016, ce qui exige une croissance annuelle composée de 40 % d'ici là.
160 M$ - La société de Vancouver a émis pour 160 M$ de nouvelles actions à deux reprises depuis novembre 2013, pour financer sa croissance rapide.