Les vacances sont dans le rétroviseur de la plupart des investisseurs ; nous voici maintenant à la rentrée, un bon moment pour revoir son portefeuille. Un fait ne manquera pas de capter leur attention : les titres des banques canadiennes ont perdu 7 % en moyenne depuis le début de 2015.
La grande majorité des investisseurs canadiens détiennent des actions de banques. Depuis plusieurs années, elles comptent parmi les titres à dividende qui ont offert la meilleure performance. Dans ce cas, comment réagir à ce recul ?
Les Affaires a posé la question à plusieurs gestionnaires réputés et à certains analystes qui suivent le secteur depuis longtemps. La plupart croient que les banques canadiennes continueront de bien récompenser leurs actionnaires. Ceux-ci devront toutefois être patients. Les perspectives sont bonnes, mais à long terme. Pour ce qui est de celles à court terme, plusieurs analystes ont exprimé des doutes. La route pourrait bien être cahoteuse, un peu à l'image de ce que connaîtra l'économie canadienne.
La croissance des prêts ralentit
Consentir des prêts reste l'activité première des banques. Pour estimer la capacité de celles-ci à accroître leurs bénéfices, il faut examiner le volume d'affaires et les marges bénéficiaires, explique Claude Boulos, associé et gestionnaire de portefeuille chez Selexia.
La chute du prix du pétrole nuit grandement à l'économie canadienne. Au cours des cinq premiers mois de 2015, le PIB canadien a été négatif.
En ajoutant à cela l'endettement des consommateurs, on peut facilement s'attendre à une croissance moins robuste des prêts. Elle devrait se limiter à 2 ou 3 % au cours des prochains trimestres, estime M. Boulos.
Cela, sans compter l'immobilier, où la hausse des prix constitue une ombre au tableau. Tôt ou tard, ce secteur subira une correction. Quand l'impact se fera-t-il sentir ? «Difficile à dire, mais il pourrait être très négatif éventuellement», indique le gestionnaire. Les marges bénéficiaires, quant à elles, seront sous pression. Au moment où les taux d'intérêt sont déjà très bas, la réduction du taux directeur de la Banque du Canada le 15 juillet laisse peu d'espoir aux banques de profiter de taux plus élevés à court terme.
Cette décision de la banque centrale a accentué la volatilité des prix des actions des institutions financières canadiennes, observe Peter Routledge, analyste à la Financière Banque Nationale. Elles ont chuté de 4 à 7 % durant les deux semaines qui ont suivi l'annonce. Elles ont à peu près tout regagné au cours des sept séances suivantes. Mais elles ont ensuite repris une nette tendance à la baisse.
Provisions pour pertes à un creux
Si la croissance des prêts risque de limiter l'augmentation des bénéfices des banques, les pertes sur prêts pourraient également ajouter au problème. C'est que les provisions pour pertes sont actuellement à des creux historiques, soulignent Denis Durand et Bernard Gauthier, tous deux associés principaux chez Jarislowsky Fraser. «Si l'économie se détériore encore beaucoup à cause du choc exogène que constitue la chute du prix du pétrole, les pertes sur prêts vont augmenter de façon importante», disent-ils.
Est-ce un bon moment pour acheter ?
Compte tenu de la baisse de 7 % des cours des actions des banques canadiennes depuis le début de 2015, les ratios cours/bénéfice sont tombés à des bas cycliques, soit environ 10,3 fois les bénéfices prévus en 2016.
Les dividendes versés par ces institutions, quant à eux, se maintiennent et augmentent même pour certaines d'entre elles, ce qui rend les banques encore plus attrayantes par rapport aux autres titres à dividende.
Par ailleurs, si le Canada est techniquement en récession, les consommateurs ne semblent pas s'en inquiéter outre mesure, note Peter Routledge. «L'indice du prix des maisons Teranet-Banque Nationale est en hausse de 3 % depuis le début de l'année, et les ventes au détail ont augmenté de 3,5 % entre janvier et mai», dit-il.
Alors, si l'évaluation est attrayante, le dividende, généreux, et que l'économie n'inquiète pas, est-ce un bon moment pour acheter ? Pas nécessairement, répond l'analyste de la Financière. «Les prévisions de bénéfices des banques pour la prochaine année ne tiennent pas compte entièrement des coûts de crédit qui vont s'accumuler si la récession technique au Canada se transforme en récession réelle», affirme-t-il. «Nous sommes prudents, car nous croyons que le consensus des prévisions concernant les bénéfices des banques pourrait commencer à se détériorer, ce qui causerait une compression additionnelle sur les ratios cours/bénéfice», ajoute-t-il.
John Aiken, analyste chez Barclays, est du même avis. «Étant donné que le PIB canadien est négatif depuis six mois et que la Banque du Canada a abaissé les taux d'intérêt deux fois, une diminution additionnelle de la croissance des prêts et des marges d'intérêt est à prévoir», dit-il.
Par ailleurs, les titres bancaires ne devraient pas se retrouver dans une spirale à la baisse, note Sohrab Movahedi, analyste chez BMO Marchés des capitaux. Le ratio cours/bénéfice de 10,3 fois les bénéfices prévus des banques actuellement se situe à environ 70 % du ratio de l'ensemble du marché canadien. Un tel escompte est compatible avec un environnement économique où la croissance annuelle est de 0 à 2 %. Les banques ne seraient donc pas vraiment sous-évaluées aux cours actuels. Mais il ne faudrait pas que l'économie canadienne périclite encore plus.
Comment se comportent les autres produits
Bien qu'ils représentent plus des deux tiers des revenus des banques canadiennes, les prêts ne sont pas leurs seules activités. Il y a également les opérations sur les marchés financiers et la gestion de patrimoine.
Les opérations sur les marchés financiers comprennent les activités des banques d'affaires, telles les fusions et acquisitions, les nouvelles émissions d'actions et d'obligations, ainsi que les transactions que la banque effectue pour son propre compte sur les différents marchés financiers, dans le but à la fois de réaliser un bénéfice et de servir ses clients.
Les banques américaines connaissent actuellement une année record en matière de fusions et d'acquisitions, note Stéphane Rochon, directeur de la recherche chez BMO Nesbitt Burns. Mais la situation est différente au Canada, car les importants secteurs des mines et de l'énergie sont en panne sèche relativement aux nouveaux financements. «Les bénéfices provenant des nouvelles émissions et des fusions et acquisitions ont tendance à diminuer lorsque l'économie ralentit», dit M. Rochon.
Par ailleurs, c'est la volatilité des marchés qui permet aux banques d'engranger les bénéfices dans les opérations pour leur propre compte, explique Jean Duguay, chef des placements pour le Groupe Eterna, une société de gestion de portefeuille de Québec. «Comme il y a beaucoup de volatilité sur les marchés actuellement, il ne devrait pas y avoir de diminution de bénéfices dans ce secteur d'activité», précise-t-il.
Les banques diversifient également leurs revenus grâce au secteur de la gestion de patrimoine. Cette activité prend de plus en plus d'importance et assure des revenus stables qui nécessitent peu de capitaux. Toutefois, bien que les entrées de fonds soient très positives, on note une certaine pression sur les prix, principalement à cause du développement rapide des fonds négociés en Bourse, qui s'avèrent une solution simple et peu coûteuse à la gestion de portefeuille, observe Claude Boulos.
Les marges seront également sous pression à cause de la présence d'acteurs mondiaux et des nouvelles règles concernant la façon de produire les rapports envoyés aux clients, soutient le gestionnaire de Selexia.
Aux fins de diversification et parce qu'ils sont à la recherche des meilleures occasions, les individus augmentent leurs investissements à l'étranger. Ce qui n'est pas sans attiser l'intérêt des gestionnaires américains et européens pour la clientèle canadienne.
Quant aux rapports que les gestionnaires doivent fournir à leurs clients, ils devront être très explicites en ce qui concerne les coûts qui sont imputés aux clients, ainsi que les rendements. Des clients mieux informés pourraient devenir plus exigeants. Les banques sont toutefois bien positionnées pour affronter cette situation, croit Claude Boulos. «Mais pour les gestionnaires indépendants, telles les sociétés de fonds communs, ce sera plus ardu», dit-il.
Les meilleures banques
Bien que, de l'extérieur, on pourrait croire que les banques canadiennes se ressemblent toutes, elles constituent plutôt des entités parfois très différentes de l'intérieur. La combinaison (mix) de leurs affaires varie de l'une à l'autre. Quelles sont alors celles que les investisseurs devraient favoriser ?
Les gestionnaires sont unanimes. «Ce sont celles qui ont d'importantes opérations à l'étranger, surtout aux États-Unis», répondent-ils à l'unisson. Les banques Royale et TD sont celles qui répondent le mieux à ce critère, note Jean Duguay.
La Banque Royale est la plus importante des banques canadiennes en ce qui concerne les opérations sur les marchés financiers et la gestion de patrimoine en sol américain. Quant à elle, la Banque TD est la banque canadienne qui exploite le plus grand réseau de services aux particuliers aux États-Unis.
Il y a aussi la Banque Scotia qui se démarque du fait de sa présence au Mexique et en Amérique du Sud. Mais dans ce cas, il faudra probablement être plus patient, car les économies émergentes traversent une période difficile.
Canadiennes ou américaines ?
La facilité de négocier sur tous les marchés boursiers permet aux particuliers d'investir dans le secteur bancaire de leur choix. Toutefois, selon les gestionnaires consultés, ce sont les banques américaines que devraient préférer les investisseurs, et ce, même si le dollar canadien est maintenant relativement bas et que le risque de change pourrait éventuellement s'inverser.
En effet, l'investisseur qui achète les actions d'une banque américaine doit être conscient qu'une remontée du dollar, si elle devait se concrétiser, viendra gruger la valeur de son investissement en dollars américains. Toutefois, la balance ne semble pas pencher de ce côté, du moins à court terme.
«Les banques américaines sont les plus intéressantes, car leurs résultats sont directement corrélés à l'économie», explique Bernard Gauthier, de Jarislowsky Fraser.
Ainsi, la croissance des prêts des banques américaines sera plus forte. De plus, comme la Réserve fédérale s'apprête à hausser les taux d'intérêt, elles bénéficieront d'un avantage quant aux marges d'intérêt, soutient l'associé principal chez Jarislowsky Fraser.
Si les institutions financières américaines semblent plus intéressantes actuellement, c'est que plusieurs vecteurs d'analyse leur sont nettement favorables, selon Claude Boulos. «Les consommateurs américains sont moins endettés, la croissance économique est en nette reprise, et le secteur manufacturier connaît une embellie intéressante», déclare-t-il.
«C'est sûr que les américaines sont le meilleur choix», renchérit Stéphane Rochon. Il note également qu'elles sont moins chères en général, si on se fonde sur la valeur comptable.
Parmi les grandes banques américaines, les préférées des gestionnaires sont Wells Fargo (NY, WFC), la banque de Warren Buffett, et JP Morgan Chase (NY, JPM), la plus importante et celle qui a le mieux traversé la crise financière.
Bien que les banques américaines aient la cote auprès des gestionnaires, leurs contreparties canadiennes ne doivent quand même pas être laissées pour compte, selon eux. «Elles font face à des défis de taille, mais il n'y a pas lieu de paniquer, car elles sont solides, bien capitalisées et ont de bonnes pratiques d'affaires, dit Claude Boulos. Bien sûr qu'elles peuvent corriger à court terme, mais elles ne sont certainement pas une mauvaise proposition à long terme», conclut-il.
De bons résultats
Une croissance des prêts de 5 % par rapport au troisième trimestre l'an dernier et un bénéfice par action qui a progressé de 5 %. Les banques ont bien performé au trimestre qui s'est terminé le 31 juillet. Voyons comment les titres ont réagi aux résultats.
Banque Nationale (Tor., NA)
Le titre s'est apprécié de 5 % à la suite de la publication des résultats. Le bénéfice par action pour le trimestre a été de 1,28 $, tandis que le consensus des analystes était de 1,19 $.
Banque CIBC (Tor., CM)
Des résultats qui ont surpassé les attentes et une hausse du dividende ont eu un effet spectaculaire sur le titre. Après être tombé aussi bas que 83 $ le 24 août, le titre a clôturé le 28 août à 96,34 $, un retournement de 16 %. Le bénéfice par action de la CIBC a atteint 2,45 $ au dernier trimestre, en hausse de 10 % par rapport au résultat du même trimestre l'an dernier.
Banque Royale (Tor., RY)
La plus importante banque canadienne a rehaussé son dividende de 0,03 $ à 0,79 $ par action. Les résultats du trimestre ont été conformes aux attentes. Résultat : le titre a peu bougé.
Banque de Montréal (Tor., BMO)
Le bénéfice par action, à 1,86 $, a dépassé les prévisions des analystes (1,73 $). Le lendemain de l'annonce du 24 août, le titre a gagné 3 %.
Banque TD (Tor., TD)
Elle a réalisé un bénéfice intéressant au troisième trimestre, soit 1,20 $ par action par rapport à 1,15 $ pour la même période l'année dernière. Cela a permis au titre de maintenir les gains enregistrés plus tôt durant la semaine.
Banque Scotia (Tor., BNS)
La Scotia a légèrement surpassé les attentes des analystes et a augmenté son dividende trimestriel de 0,02 $ à 0,70 $ par action. Le titre a fait du surplace à la suite de la publication des résultats : il a d'abord progressé pour ensuite reculer, à l'image de l'ensemble du marché.
FORTE CONCURRENCE DE LA PART DES FIRMES DE FONDS COMMUNS
Les stratégies de croissance musclées des banques ont modifié substantiellement le secteur de la gestion de patrimoine, entre autres en ce qui a trait à la distribution de fonds communs. Avec leurs propres familles de fonds et leurs larges réseaux de distribution, les banques canadiennes ont accaparé une grande partie de ce marché.
Du côté de l'industrie des fonds, les principaux manufacturiers dont les actions se négocient en Bourse, comme AGF Management (Tor., AGF.B), IGM Financial (Tor., IGM) et CI Financial (Tor., CIX), font face non seulement à une concurrence de tous les instants de la part des banques, mais aussi à la croissance rapide des fonds négociés en Bourse (FNB).
Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que la performance boursière de ces trois titres ait laissé à désirer au cours de la dernière année. Et les perspectives demeurent peu encourageantes, selon les analystes qui suivent de près le secteur.
Lors du dernier trimestre, les six grandes banques ont dominé au chapitre des flux de fonds, en s'emparant de 56 % des ventes de fonds à long terme, indique Tom MacKinnon, analyste chez BMO Marchés des capitaux. «Quant aux indépendants, les deux plus importants, CI et Fidelity, ont connu de bonnes entrées de fonds, mais les sociétés de taille moyenne ont dû composer avec des sorties de fonds», écrit l'analyse dans son dernier rapport.
Les banques et les FNB font la vie dure aux sociétés de fonds communs, constate également Paul Holden, analyste chez Marchés mondiaux CIBC, qui vient d'amorcer la couverture du secteur. Au cours du deuxième trimestre, la création de FNB a presque égalé les ventes nettes de fonds communs, mentionne l'analyste. Les FNB ont grossi de 1 228 milliards de dollars, alors que les ventes nettes de fonds communs ont totalisé 1 261 G$.
Comment se classent-elles ?
CI Financial est la préférée de la plupart des analystes, dont Tom MacKinnon. Elle domine le secteur au chapitre des entrées de fonds et gère bien ses coûts. L'analyste lui accorde la cote «surperformance» et établit son cours cible à 37 $ (le titre se négocie actuellement à 31,50 $), ce qui représente 10,6 fois le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissement (BAIIA) des 12 prochains mois.
Pour sa part, Shubha Khan, analyste à la Financière Banque Nationale, croit que CI est bien placée pour générer une croissance de ses actifs sous gestion supérieure à ses concurrents. Il estime cependant que le cours du titre reflète déjà en bonne partie cette croissance, et il limite son cours cible à 35 $.
Chez Financière IGM, les ventes de fonds de Groupe Investors sont bonnes, mais celles de Mackenzie le sont beaucoup moins. Au cours des 12 derniers mois, les ventes nettes ont augmenté de 895 millions de dollars chez Investors, alors qu'elles diminuaient de 651 M$ chez Mackenzie. Shubha Khan émet un cours cible de 42 $ pour le titre qui se négociait à 53 $ il y a un an.
Quant à AGF Management, le titre a perdu la moitié de sa valeur depuis septembre dernier, et les analystes estiment qu'il faudra du temps pour renverser la situation. La firme fait l'objet d'examens de l'Agence de revenu du Canada concernant certains aspects de ses opérations, ce qui ajoute au risque à la baisse, selon Shubha Khan.
> 1 228 G$ : Au cours du deuxième trimestre, la création de fonds négociés en Bourse (FNB) a presque égalé les ventes nettes de fonds communs, selon Paul Holden, de Marchés mondiaux CIBC. Les FNB ont grossi de 1 228 milliards de dollars, alors que les ventes nettes de fonds communs ont totalisé 1 261 G$.