Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Et les autres, par les temps qui courent, comprennent les Québécois.
C'est une des principales conclusions de l'exercice de prévisions pour l'année 2015 auquel se sont livrés trois économistes réputés, le 30 janvier, devant un auditoire de la Chambre de commerce de l'Est de Montréal (CCEM). Il y avait bien 250 personnes venues écouter François Dupuis, Sébastien Lavoie et Stéfane Marion, économistes en chef respectivement du Mouvement Desjardins, de la Banque Laurentienne et de la Banque Nationale.
Je me trouvais aux premières loges, puisque j'avais l'honneur, pour la cinquième année, de servir d'animateur délégué par Les Affaires pour cet événement couru autant par les manufacturiers que par les professionnels, les financiers et les fournisseurs de services.
La CCEM couvre un vaste territoire qui s'étend du boulevard Saint-Laurent à la pointe de l'île. Et ses membres se sentent, comme tout le monde, plutôt incertains face aux bouleversements rapides que connaît l'économie depuis quelques semaines. On fonce ou on se cache ?
Les trois économistes sont d'accord : même si la chute du prix du pétrole, et celle de l'ensemble des ressources, chambarde bien des projections et risque de mettre à mal bien des pays, elle sera ultimement profitable au Québec, d'autant qu'elle s'accompagne d'un important repli du dollar canadien. En résultera un rééquilibrage de l'économie canadienne.
L'Alberta perdra son statut de locomotive, du moins à moyen terme. En revanche, les provinces manufacturières et exportatrices, au premier chef l'Ontario et le Québec, prendront du galon. Déjà, faisait remarquer Stéfane Marion, les exportations québécoises ont retrouvé en 2014 le niveau enregistré en 2007, avant la crise. Et ce n'est pas fini.
Pourquoi ? Parce que même si, globalement, l'économie canadienne souffre de l'écroulement du prix des ressources, l'économie américaine, elle, file pleins gaz, bien que le rythme débridé de la croissance du troisième trimestre (5 %) se soit adouci au quatrième (2,6 %). Les Américains ont beau redevenir protectionnistes, ils restent nos principaux clients. En outre, avec une différence du taux de change qui atteint maintenant 25 %, les exportateurs québécois aventureux et efficaces auront beau jeu.
Autrement ? «L'économie mondiale sera sous le signe de la morosité», souligne François Dupuis. La déflation s'installe en Europe, ce qui n'augure rien de bon. On présente maintenant des obligations à taux négatif en Allemagne... parce qu'on craint que les prochaines à être offertes sur le marché soient encore plus minimes. C'est dire d'une économie réputée pour être la plus solide en Europe. De plus, en raison de l'effritement des cours du brut, il faut s'attendre à des tensions géopolitiques un peu partout dans le monde, avertit-il.
Sébastien Lavoie, à qui on avait demandé de regarder de plus près l'économie canadienne, est clair : elle sera à la remorque de l'économie américaine. Il a d'abord évoqué une «collision» entre les économies de l'ouest et de l'est du pays, reconnaissant un renversement du rapport de forces. Reste que l'excellent momentum observé aux États-Unis se reflètera chez nous, croit-il, même s'il prévoit un redressement progressif de la devise canadienne à 85 cents par rapport au dollar américain, alors que la firme Goldman Sachs, elle, le voit glisser jusqu'à 71 cents d'ici la fin de 2016.
Et le Québec ? «Ce sera une bonne année pour les manufacturiers», dit d'entrée de jeu Stéfane Marion. On n'avait jamais vu ça : la baisse du dollar canadien a atteint plus de 20 % en 24 mois. En même temps, il souligne des enjeux propres au Québec : la forte proportion d'employés liés aux secteurs public et parapublic (26 %), les immigrants dont nous avons absolument besoin et qui peinent à trouver du travail (taux de chômage à 25 %), la fiscalité globale pour les entreprises, plus lourde que n'importe où au pays... Rien n'est gagné.
Des nuages, donc, mais aussi des éclaircies. Saurons-nous profiter des percées de soleil ?
On vous l'avait dit
En novembre dernier, je me trouvais soucieux, comme mes collègues au journal. Le vent était en train de tourner pour l'économie canadienne alors même qu'on criait victoire à Ottawa.
J'avais alors intitulé une chronique «Ne pas vendre la peau du déficit avant de l'avoir tué».
Nous trouvions que le gouvernement Harper était prompt à distribuer ses largesses aux citoyens, voire imprudent de le faire, alors que tout annonçait un effritement du prix des ressources sur lequel repose le redressement de l'économie.
L'effritement s'est produit, et nous en subissons les contrecoups. La firme Goldman Sachs nous annonce une période prolongée de repli pour le prix de l'ensemble des ressources naturelles. Elle n'est pas la seule. On voit déjà les investissements fondre en Alberta et geler au Québec.
En cette année électorale, le ministre fédéral des Finances, Joe Oliver, se veut rassurant. Le prochain budget sera équilibré même si le paysage s'obscurcit et même si les cadeaux fiscaux se maintiendront. Oui, dans le meilleur des mondes, on en voudrait mais... «Et c'est précisément le moment que le gouvernement fédéral choisit pour ouvrir tout grand ses goussets ?» nous demandions-nous. Plaise au ciel que cette bravade ne fasse pas plus de mal que de bien.