En tant que gestionnaire de portefeuille, j’ai la chance d’avoir accès à de nombreux rapports de recherche d’analystes travaillant pour des firmes de courtage. Je dis que c’est « une chance » car je sais très bien que de nombreux investisseurs autonomes aimeraient beaucoup avoir accès à de tels rapports dans la gestion de leur portefeuille de placements.
Je dois cependant vous avouer que je ne perçois généralement pas de grande valeur ajoutée dans ces rapports de recherche, du moins dans leurs recommandations et dans leurs conclusions.
Ce n’est pas que les analystes soient mauvais. Au contraire, ils sont pour la plupart excellents et très consciencieux dans leurs recherches. C’est plutôt qu’ils font face à deux conflits intimement liés aux activités de la plupart des firmes de courtage : leurs clients sont souvent fixés sur les résultats à court terme et ces firmes ne veulent généralement pas froisser les entreprises qui pourraient devenir leurs clients.
Deux conflits
En premier lieu, la majorité des clients des firmes de courtage ont un horizon de placement à court terme. Ils sont davantage intéressés par le rendement de leur portefeuille pour le trimestre en cours que par leur performance sur une très longue période. En outre, l’objectif des gestionnaires institutionnels n’est pas nécessairement d’obtenir de bons rendements à long terme mais bien de réussir à surpasser leur indice de référence, mois après mois, trimestre après trimestre. Ces gestionnaires ne veulent donc pas nécessairement apprendre d’un analyste que le titre d’IBM est très attrayant pour les cinq ou dix prochaines années mais bien plus si la société sera en mesure d'afficher des profits par action conformes aux prévisions des analystes au prochain trimestre. C’est ce qui explique pourquoi la plupart des analystes passent la majeure partie de leur temps à analyser les tendances à court terme des activités des sociétés qu’ils suivent. Écoutez n’importe quel appel-conférence d’une entreprise en bourse après la publication de ses résultats trimestriels et vous serez surpris de constater à quel point les questions des analystes sont orientées sur le court terme et sur les menus détails.
En deuxième lieu, les firmes de courtage de plein exercice ont deux types de clients : les investisseurs, qu’ils soient des institutions ou des particuliers, et les entreprises pour lesquelles ces firmes cherchent à lever du capital ou offrent des conseils et divers services tels que la recherche de cibles d’acquisitions. Il n’est donc pas surprenant que ces firmes soient très prudentes dans les recommandations qu’elles émettent sur les entreprises en bourse puisque ces dernières sont peut-être déjà des clients, voire susceptibles de le devenir? Un analyste peut-il réellement émettre sa véritable opinion si elle est très négative?
C’est pourquoi lorsque je lis des rapports de recherche sur une entreprise, j’ignore généralement la recommandation émise par l’analyste sur le titre ainsi que la cible qu’il lui attribue.
Je ne veux pas dire que ces rapports de recherche sont inutiles. Bien au contraire. Ils offrent souvent une analyse très complète des activités d’une entreprise et de son industrie – les risques, la concurrence, l’équipe de direction, etc. C’est d’ailleurs sur tout ce qui touche aux perspectives à long terme de la société que je m’attarde. Pour ce qui est des aspects qui pourraient affecter les activités d’une entreprise à court terme, j’aime bien les connaître car ce sont souvent ceux-ci qui créent des occasions de placement intéressantes pour l’investisseur à long terme.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100.