BLOGUE. Tout un coup d’éclat de la part de Valeant Pharmaceuticals pour la rentrée des classes! L’entreprise de produits pharmaceutiques nouvellement déménagée à Laval annonce l’acquisition de Medicis Pharmaceuticals, une société américaine spécialisée dans les médicaments dermatologiques, pour la somme de 2,6 milliards $, payant une prime de pas moins de 39 % par rapport à son cours avant l’annonce.
Même le titre de Valeant grimpe de 15 % à la suite de cette annonce.
Je ne veux pas porter de jugement sur cette acquisition. Qui sait, peut-être s’agit-il d’une acquisition qui créera beaucoup de valeur pour les actionnaires de Valeant.
Par contre, après avoir jeté un coup d’œil sur Valeant après l’annonce de cette transaction, trois constats me viennent à l’esprit.
En premier lieu, il est présentement très facile pour une société de réaliser des acquisitions qui ajouteront immédiatement à ses profits. Au prix offert de 44 $ US, Valeant payera pour Medicis 16 fois les profits de 2,74 $ US prévus en 2012, un rendement théorique de 6,25 % avant toute synergie.
Lorsque les taux d’intérêt sur la dette sont aussi bas (présumons que Valeant paye un taux de près 5 % sur sa dette) et que l’on finance ses acquisitions par la dette, il est facile de voir comment cette acquisition ajoutera immédiatement aux profits de Valeant.
Une façon créative de présenter ses bénéfices, page 2
En deuxième lieu, après plusieurs acquisitions, Valeant est une entreprise déjà passablement endettée, même avant l’acquisition projetée de Medicis. Au 30 juin dernier, son bilan affichait une dette nette totale de près de 7,2 milliards $ relativement à un avoir des actionnaires de 3,7 milliards $. L’acquisition de Medicis porterait la dette à près de 9,5 milliards $.
En troisième lieu, la façon qu’a Valeant de présenter ses «profits» est plutôt créative, pour dire le moins.
On se croirait revenus à la fin des années 90 alors que toutes les entreprises technos employaient des moyens détournés pour bien faire paraître leurs profits!
Rappelez-vous de Nortel… À son plus récent trimestre clos le 30 juin 2012, Valeant publiait un « profit ajusté » (non conforme aux normes comptables acceptés) de 314,5 M$ ou de 1,01 $ par action, en hausse de 38,4 % par rapport au même trimestre de l’an dernier.
Le hic est que le profit non ajusté est plutôt une perte de 21,6 M$ par rapport à un profit de 56,4 M$ un an plus tôt…
La société exclut huit postes de dépenses de ses profits pour en arriver à son calcul de profit ajusté! Elle exclut entre autres choses une dévaluation de 10,4 M$ des stocks de deux sociétés acquises au cours du trimestre, une dépense de 5,2 M$ liée aux options d’achat sur titres de sociétés acquises, 4,6 M$ de dépenses de R&D acquises lors d’acquisitions, une charge de restructuration de 43,9 M$ et une dépense d’amortissement d’actifs intangibles de 210,6 M$.
On peut peut-être donner le bénéfice du doute à la direction et accepter que ces dépenses soient réellement non-récurrentes et extraordinaires.
Mais à tout le moins, il me semble difficile de justifier l’exclusion de l’amortissement des actifs intangibles. Comment une entreprise dont la stratégie est de faire de multiples acquisitions d’entreprises pharmaceutiques dont les actifs sont en grande partie des actifs intangibles (brevets et achalandage) peut-elle exclure une telle dépense de ses profits? Si on poussait la logique à l’extrême, une acquisition encore plus importante que celle de Medicis aurait pu augmenter davantage les profits ajustés de Valeant.
Qui s'assemble se ressemble, page 3
Le plus ironique est que Medicis fait exactement la même chose que Valeant!
À son deuxième trimestre clos le 30 juin, elle a publié un profit ajusté de 71,6 M$ alors que son profit comptable était de 21,1 M$!
On ne parle pas de petits ajustements, c’est plus de trois fois plus élevés que les profits réels. Sept postes de dépenses sont exclus du calcul dont les plus importantes est l’amortissement des actifs intangibles (31,5 M$) et la R&D reliée à des collaborations (47 M$). Bien sûr, la R&D n’est pas une dépense récurrente, surtout pas pour une société pharmaceutique…
Les années folles de la fin des années 90 ont été remplies d’enseignements pour les investisseurs. Un de ces enseignements était qu’il ne faut pas prendre les profits pro-forma ou ajustés qu’une entreprise publie pour du cash. Ce que je vois dans Valeant et dans Medicis me porte à croire que bien des investisseurs ont oublié cette leçon depuis longtemps. Ou bien ils ne veulent tout simplement plus s’en souvenir.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
À propos de ce blogue : Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 (www.cote100.com) et éditeur de la Lettre financière COTE 100 (www.lettrecote100.com).