BLOGUE. Petite interrogation existentielle : quand nous sommes avec des amis ou des collègues, avons-nous tendance à nous conformer aux opinions des autres, ou au contraire, à nous en distinguer? J'imagine d'ici votre réflexion : «Ça dépend de la personnalité de chacun. Les timorés vont suivre le troupeau, et les leaders, eux, vont tout faire pour s'illustrer». Blah blah blah. La réponse n'est pas aussi simple que ça, vous vous en doutez bien…
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N'oublions jamais que nous sommes avant tout des animaux sociaux. Qu'il nous faut le contact d'autrui pour avoir une "bonne vie", eudaimonia en grec, comme disait Aristote. Que sans les autres, nous dépéririons, nous nous étiolerions, un peu comme les prisonniers, dont la punition consiste justement à être coupés de la société.
Mais voilà, ce contact, nous est-il nécessaire pour nous sentir bien au sein du groupe, ou au contraire pour nous permettre d'exprimer notre individualité? C'est ce qu'on voulu savoir trois chercheurs, à savoir : Monic Sun, professeure de marketing à Stanford (États-Unis); Xiaoquan Zhang, professeur de management à l'Université de science et de technologie de Hong Kong (Chine); et Feng Zhu, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Californie du Sud (États-Unis). Le fruit de leur travail se trouve dans une étude intitulée To belong or to be different? Evidence from a large-scale field experiment in China. Celle-ci apporte une réponse qui en surprendra plus d'un…
Les trois chercheurs ont eu l'idée de se servir des médias sociaux pour trancher. Plus précisément, Kaixin001.com, le "Facebook" chinois, qui comptait au début de 2012 quelque 130 millions d'utilisateurs. À l'image de son pendant américain, Kaixin – qui est surnommé là-bas le "Happy Net" – est populaire grâce à ses centaines d'applications. L'une d'elles est Virtual Homes, qui permet de décorer un appartement à son goût et de le faire visiter par la suite à ses amis.
Au début de 2011, les trois chercheurs ont sélectionné au hasard – et à leur insu – 16 298 utilisateurs de Virtual Homes. Il leur a été proposé de repeindre les murs d'une des pièces de leur appartement virtuel. Ceux qui ont répondu à l'invitation et choisi une nouvelle couleur se sont alors retrouvés dans l'une des trois conditions suivantes :
> A. Ils ont reçu un message par pop-up leur indiquant la couleur la plus populaire selon leurs amis ainsi que le degré de popularité de la couleur qu'ils ont choisie;
> B. Ils ont reçu le même message, mais avec une phrase supplémentaire : «N'oubliez pas de montrer votre nouvelle couleur à vos amis»;
> C. Ils ont reçu un message informant de la couleur la plus populaire auprès de l'ensemble des utilisateurs de Virtual Homes ainsi que le degré de popularité de la couleur qu'ils ont choisie.
Enfin, tous les utilisateurs devaient, pour poursuivre leur navigation, cliquer soit sur le bouton "OK", soit le bouton "Repeindre". C'est-à-dire qu'une fois informés des différentes statistiques proposées, ils pouvaient très bien revenir sur leur décision et changer la couleur des murs de la pièce. Et ce, soit pour se conformer aux autres, soit pour s'en distinguer.
Résultats? On ne peut plus révélateurs de notre nature profonde…
> Les utilisateurs avaient tendance à se distinguer du choix de leurs amis quand celui-ci était populaire.
> La divergence était encore plus prononcée quand les utilisateurs se faisaient inviter à montrer leur choix aux autres.
> Les femmes et les personnes nées dans des métropoles avaient, en général, plus le réflexe de se distinguer que les autres.
«Ces résultats inattendus montrent que l'individualisme est inné chez l'être humain, d'autant plus que notre expérience s'est déroulée dans un pays à la culture collectiviste développée», disent Monic Sun, Xiaoquan Zhang et Feng Zhu dans leur étude.
Que retirer de cette trouvaille en matière de management? Plusieurs choses, bien sûr, mais pour ma part, je n'en soulignerai qu'une :
> Tout leader digne de ce nom doit encourager chacun à exprimer son individualité, à montrer aux autres tout ce qu'il a de bon et de beau en lui. Car cela est on ne peut plus profitable à l'équipe.
> Et son corollaire : Il n'y a rien de pire que de chercher à faire entrer autrui dans le rang.
En passant, un extrait du Petit livre rouge de Mao Zedong, en guise de conseil face à l'individualisme forcené : «Vous avez beaucoup de qualités, vous avez rendu des services méritoires, mais gardez-vous de toute présomption.
«Vous avez l'estime de tous, et à juste titre, mais c'est précisément ce qui mène facilement à la présomption.
«Si vous devenez orgueilleux — si vous manquez de modestie, si vous ne faites plus d'efforts, si vous ne respectez pas les autres, si vous ne respectez pas les cadres et les masses —, vous cesserez d'être des héros du travail et des travailleurs modèles.
«De tels cas se sont présentés dans le passé, et j'espère que vous ne suivrez pas cette voie».
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