BLOGUE. Je vous suggère une expérience à faire demain matin, au pied levé : plantez-vous devant le miroir de votre salle de bain, seul, porte fermée, et prenez le temps de regarder votre reflet. Oui, regardez-vous bien, en détails, lentement, comme l’on savoure un moment exceptionnel. Et demandez-vous le plus sérieusement du monde : «Qu’est-ce que je vois?».
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Puis, poursuivez l’expérience en vous mettant à parler à votre reflet. Oui, oui, mettez-vous à lui parler! À voix haute. Dîtes-lui ce qui vous passe par la tête. Ou mieux, posez-lui des questions. Sur vous, de préférence. Et voyez ce qui se passe alors…
Suis-je devenu fou? Cette expérience vous paraît-elle ridicule? Ma réponse : non, à chaque fois. Car cette idée n’est pas de moi, mais de nul autre que… Robert Kaplan!
Robert Kaplan? Il s’agit d’un professeur en management de la Harvard Business School mondialement réputé depuis les années 1990 pour avoir cocréé, avec David Norton, le Tableau de bord prospectif (Balanced Scorecard, en anglais). Ce dernier correspond à une méthode de management visant à lier les actions de l'entreprise à ses buts à long terme. Il se présente comme le tableau de bord d’une voiture ou d’un avion, avec une foule d’instruments de mesure permettant au dirigeant d’établir des stratégies et de prendre des décisions. Une méthode, on le voit bien, on ne peut plus cartésienne…
La question saute à l’esprit : quelle mouche a piqué Robert Kaplan, lui si rigoureux, d’inviter les leaders à se poser mille et une questions devant leur miroir? S’est-il subitement entiché de psychologie ou autre science humaine axée sur le développement personnel? Pis, serait-il en train de renier son approche des années 1990, trop rigoureuse et mathématique, voire déshumanisée, pour être correcte? Je vous rassure : pas du tout! Il est question, dans son tout dernier livre intitulé What to Ask the Person in the Mirror, d’offrir la possibilité aux dirigeants de s’améliorer encore et toujours un peu plus, et ce par une méthode originale, certes, mais sûrement très efficace…
Ainsi, M. Kaplan affiche d’emblée son ambition dans l’introduction de son ouvrage : «Faire preuve d’un grand leadership, ce n’est pas d’avoir réponse à tout. C’est plutôt d’avoir le courage de poser des questions critiques», écrit-il. Et de poursuivre :
«Ces 25 dernières années – tout d’abord comme dirigeant d’entreprise, puis comme professeur en management à Harvard -, j’ai donné des directives à des employés et conseillé des leaders de toutes sortes, des débutants aux plus expérimentés. J’ai alors commis nombre d’erreurs, et énormément appris d’elles.
«Ces expériences m’ont enseigné que, presque sans exception, tous les leaders couronnés de succès traversent, une fois dans leur vie, une période où ils se sentent confus, découragés, peu sûrs d’eux-mêmes et de leurs décisions. Ils se demandent alors comment il se fait que d’autres dirigeants réussisent sans difficulté particulière, et pas eux. Ils se sentent solitaires comme jamais. Même si en apparence ils ont l’air sereins et dominateurs, ils sont ravagés de l’intérieur. Ceux qui traversent cette période en reprenant confiance en eux en sortent grandis, et ceux-là parviennent dès lors à exploiter tout leur potentiel.
«Comment s’y prennent-ils? Ils n’ont pas cherché à esquiver les problèmes rencontrés, à faire semblant que tout va aller mieux, qu’il suffit d’attendre que la crise passe. Le truc, c’est qu’ils ont pris le temps de faire le point, de diagnostiquer le problème, de trouver des solutions, d’en appliquer une et de redémarrer plus fort qu’auparavant.»
Vaste programme, n’est-ce pas? C’est pourquoi le professeur de Harvard a concocté sa méthode du miroir, en nous suggérant des questions à se poser à soi-même quand on sent que tout ne tourne pas rond dans notre façon de diriger son équipe ou son entreprise. Ces interrogations abordent différents thèmes : la vision ; les priorités ; la gestion du temps ; la succession ; etc.
Par exemple, une des questions à se poser si l’on veut progresser en tant que leader est «Donnez-vous du feedback aux autres, mais surtout sollicitez-vous du feedback de la part des vos subordonnés clés?». «Nombre de bons leaders comprennent qu’il faille coacher leurs subordonnés, mais peu d’entre eux réalisent l’importance de demander à ces mêmes personnes du coaching. Le paradoxe, c’est que plus vous êtes sénior dans l’entreprise, plus vous en avez besoin, et moins de personnes sont à même de vous donner du feedback correctement», explique M. Kaplan, dans une entrevue accordée à la Harvard Business Review.
Heureusement, l’auteur suggère plusieurs techniques pour parvenir à se faire coacher dans un tel cas. L’une d’entre elles consiste à demander à des dirigeants juniors de donner leur avis sur vous. «Au début, l’effet peut être dévastateur, car la franchise des jeunes peut faire mal à quelqu’un qui n’est pas habitué à se faire dire ses quatre vérités. Mais, le bon réflexe est alors de se faire confirmer le tout par des amis proches, voire des membres de sa famille. Lesquels, à n’en pas douter, diront les mêmes choses que les juniors», poursuit-il.
«Le leadership est un sport d’équipe. Il vous faut solliciter l’aide des autres, ou vous résigner à sous-performer», résume Robert Kaplan.
Une formule que, vous comme moi, ferions bien de nous souvenir, à mon avis…
Le joueur de soccer français Zinédine Zidane a dit au tournant du millénaire : «Les performances individuelles, ce n’est pas le plus important. On gagne et on perd en équipe.»
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