Un lecteur qui entama l'étude du monde de l'investissement il y a à peine deux ans nous posa la question suivante : une action se transigeant à une valeur supérieure à la valeur au livre doit-elle être considérée comme étant chère?
Pour toute personne se considérant débutante dans le domaine, l'alternance entre le ratio cours / bénéfice et la valeur au livre pour déterminer l'évaluation d'un titre peut s'avérer bien confondant. Le premier indique le multiple des profits à payer. Ainsi, si vous achetez un commerce qui génère 50 000$ par an pour 600 000$, vous vous retrouvez à débourser 12 fois les bénéfices. Le même principe s'applique aux actions : payer 60$ pour des actions qui génèrent 5$ chacune aboutit au même résultat.
La valeur au livre quant à elle nous donne une indication quant à la valeur liquidative de la société. Qui dit ''liquidation'' dit ''conversion en argent''. Ainsi, si vous achetez un commerce qui ne génère aucun profit pour 600 000$, mais dont le compte de banque s'élève à 800 000$, vous ne serez pas outré par l'absence de bénéfices. Cet exemple simpliste suppose qu'aucun autre actif ou passif n'apparaît au bilan. Sans aucun doute, vous voudrez mettre la main sur les 800 000$, et ainsi empocher un profit de 200 000$.
Supposons maintenant qu'on vous offre l'opportunité d'acheter 10% des actions de ce commerce. Vous faites vos calculs, et vous en concluez que payer 60 000$ pour des actions dont la valeur liquidative atteint 80 000$ (800 000$ multiplié par 10%) constitue une bonne affaire. Le seul bémol : vous n'êtes pas le dirigeant de ce commerce. Par conséquent, vous ne pouvez pas forcer la direction à liquider la société afin que vous réalisiez rapidement les 33% de profits que vous rafleriez en procédant immédiatement à sa liquidation.
Similitude avec la Bourse
Investir à la Bourse ressemble à cet exemple. Vous pourriez anticiper que la direction effectuera un bon usage du capital excédentaire, soit en le distribuant, soit en procédant à une bonne acquisition. Dans ce dernier cas, la société commencerait probablement à générer d'importants profits, et les investisseurs accorderaient une meilleure évaluation au titre. Mais peu importe le scénario, votre estimé repose en partie sur les agissements futurs de la direction.
Discutons maintenant d'un titre pour lequel la valeur au livre devrait importer peu : la société Coca-Cola (KO-N). Au bilan, nous une valeur nette de 33,7G$ (actifs moins passifs). Ce montant correspond à la valeur au livre. Toutefois, elle doit être ajustée pour ne tenir compte que des actifs tangibles. Ainsi, l'achalandage (en anglais ''goodwill'') et les autres actifs intangibles doivent être retranchés afin de connaître quelle serait la valeur liquidative de la société.
Pour ce premier calcul, nous aboutissons avec une valeur de 6,5G$. Toutefois, l'entreprise détient pour près de 15G$ en usines et équipements. En cas de liquidation, nous ne récupèrerions probablement qu'une petite fraction de ce montant. Par conséquent, nous nous retrouvons avec une valeur nulle ou fort probablement négative. Or, calculer le multiple de la valeur boursière sur la valeur au livre ne donne aucune indication utile à l'actionnaire. En cas de valeur nulle ou négative, le multiple est infini ou impossible à calculer.
La valeur au livre : utile dans certains cas
Dans le cas de Coca-Cola, comme pour bien des sociétés, l'évaluation repose sur uniquement sur sa capacité à générer des profits, et non sur sa valeur liquidative. Donc, le calcul de la valeur au livre importe surtout pour les sociétés dont la majorité des actifs peuvent être convertis en argent. C'est pourquoi cette donnée servira davantage pour certaines sociétés d'assurance, les banques et les entreprises immobilières.
Notons que si la société dégage un excellent retour sur son capital, vous devriez accorder moins d'importance à cette valeur. Si une entreprise engendre un retour de 20% sur son équité, son ratio cours / bénéfices ne sera que de 7,5x si le titre se transige à 1,5x la valeur au livre. Dans ce cas, vous concentrerez vos énergies surtout sur les bénéfices futurs plutôt que sur la protection offerte par la possibilité pour la direction de convertir les actifs en argent comptant.
Comme on peut le constater, la valeur au livre s'avère pertinente que dans certains cas. Le célèbre père de l'investissement valeur, Benjamin Graham, accordait la priorité à cette donnée pour le fondement de ses analyses. Toutefois, la marge de sécurité pour l'actionnaire se retrouve également dans la solidité du modèle d'affaires. Une entreprise florissante en pleine croissance qui vend un produit constamment en demande ne nécessitera point une valeur liquidative intéressante pour attirer l'attention d'un investisseur, à condition bien sûr de l'acquérir à bon prix!
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont analystes financiers et propriétaires de Barrage Capital, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com