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Nous discutions avec un jeune entrepreneur il y a quelques jours, et celui-ci convoitait les énergies vertes, qui incluent l'énergie éolienne et solaire. Il arrivait difficilement à concevoir que l'on puisse perdre de l'argent dans un secteur aussi prometteur. Pourtant, plus d'un investisseur s'est brûlé avec la société très prisée qu'était First Solar (FSLR-Q). Le titre perdit plus de 80% depuis son sommet atteint en 2008.
Il ne fait nul doute qu'il existe une tendance vers les énergies plus propres. Toutefois, l'investisseur qui s'intéresse à la question aurait avantage à réaliser qu'il n'est pas seul à connaître cette tendance. Si tout le village prend connaissance que le seul boucher à des centaines de kilomètres à la ronde vend son tout dernier morceau de viande, ce dernier ne restera pas disponible bien longtemps. Dans un système similaire à la bourse, le morceau de viande se vendrait au plus offrant. On peut parier que le prix offert atteindrait des niveaux record.
Imaginons un instant que le journal du village annonce que tous les villageois sont sur le point de devenir carnivores, et qu'il se mangera de la viande plus que jamais. Un promoteur opportuniste s'empresserait de faire le tour du village afin de convaincre les gens d'ouvrir des boucheries, avant même que la population ne soit devenue effectivement carnivore. Pendant ce temps, le marchand de fruits et légumes broierait du noir, et s'inquièterait pour l'avenir de son entreprise. Il se hâterait à vendre son commerce à une fraction de ce qu'il valait juste avant la nouvelle tendance carnivore, et s'ouvrirait une boucherie. L'investisseur avisé s'intéresserait alors à la fruiterie, et non aux boucheries. Pourquoi cela se passe-t-il souvent ainsi?
La tendance crée une histoire intéressante à raconter : ''les boucheries feront fortune''. Pas besoin de scruter des états financiers. Il suffit uniquement de s'imaginer toute la richesse qui tombera du ciel lorsque l'événement miracle se produira.
À l'opposé, étudier un secteur ''ennuyant'' ou en défaveur exige une étude approfondie des chiffres. Pas d'histoires intéressantes à divulguer, mais plein de données complexes à analyser.
Suivant cette logique, nous effectuons nos recherches en prenant en compte le critère de l'évaluation tout d'abord. Quelle coïncidence! Ce genre de recherche aboutit souvent à des entreprises peu convoitées. Il ne faut pas s'en étonner.
Par conséquent, dans bien des cas, avant même de savoir ce que fait l'entreprise, nous regardons si les chiffres nous attirent. Peu importe ce qui est vendu! Les nouvelles tendances ne nous intéressent point s'il faut payer un prix qui reflète leur popularité. Prenons l'exemple d'un titre dans un secteur peu prisé par les investisseurs en général : l'assurance.
W.R. Berkley (WRB-N) est une société d'assurance générale offrant une vaste gamme de produits d'assurance allant de la simple propriété que tout le monde connaît aux tracteurs antiques pour les collectionneurs. Or, on le sait bien, l'assurance ne date pas d'hier. Vers 1750 avant J.-C., les Babyloniens avaient prévu que si un commerçant recourait à l'emprunt pour expédier un bien, il payait un surplus au créancier afin d'effacer le prêt en cas de vol.
Cet historique contraste beaucoup avec le domaine des technologies ou des nouvelles découvertes médicales qui subissent des changements constants. L'assurance ne révolutionnera pas le monde de façon spectaculaire. C'est pourquoi un titre tel que WRB fera rarement partie des conversations des investisseurs recherchant les sensations fortes.
En outre, ce genre de titre se retrouvera rarement parmi ceux qui se multiplient plusieurs fois en peu de temps. Lorsque les investisseurs observent les tendances d'un secteur, ils sont souvent attirés par les idées de grandeurs. Le potentiel immense devrait entraîner l'explosion du titre convoité, et ainsi les rendre riches presque aussi rapidement qu'un billet de loterie.
Notre titre d'assurance quant à lui aurait plutôt provoqué des soupirs et des bâillements. Le gain potentiel espéré se situait entre 30 et 50%, ce qui ne représentait rien d'extraordinaire. C'est exactement ce que WRB a livré, pas plus ni moins. Mais pourquoi est-ce que nous nous acharnons à dénicher ces titres peu stimulants?
Une faible évaluation favorise grandement la qualification d'un titre aux deux premières règles édictées par Warren Buffett :
1 - Ne jamais perdre d'argent.
2- Ne pas oublier la règle numéro 1.
Ces deux règles signifient simplement qu'il faut s'attarder d'abord aux risques, ensuite, aux gains potentiels. Or, les investisseurs qui s'amourachent des titres aux tendances populaires sont d'abord attirés par le gain potentiel. Cet engouement atteint des niveaux si élevés qu'ils en oublient complètement le risque. Par exemple, le domaine de l'énergie verte plaisait beaucoup à notre interlocuteur du début. Ce domaine lui semblait si prometteur que peu importe le nombre de sociétés se lançant dans l'aventure, tout le monde y trouverait son compte!
On se doit de distinguer l'investissement par rapport aux développements technologiques. Il suffit de penser à la bulle techno. Aujourd'hui en 2013, il est vrai que l'internet prolifère. Le recours à ce réseau est devenu presque universel. Pourtant, la majorité des sociétés qui misaient sur cette tendance en 1999 ne se sont pas encore relevées 13 ans plus tard. Par conséquent, nous pouvons affirmer que les tendances finissent par se concrétiser, mais les investisseurs ne deviennent pas systématiquement les principaux bénéficiaires. Ce genre d'erreur sera commise à de nombreuses reprises par les néophytes. Ironiquement, les sommes perdues dans ces investissements contribuent au développement technologique.
Par conséquent, suivre les tendances bénéficie la société dans son ensemble, mais appauvrit fréquemment l'épargnant imprudent. Quant à l'investisseur avisé, considérer d'abord l'évaluation diminue considérablement son risque tout en offrant un profit potentiel appréciable.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com