On n'en finit plus de constater à quel point la gouvernance a été malmenée au Québec au cours des dernières années. On a également pu observer les énormes ravages que l'incompétence et le manque de diligence de dirigeants et de gestionnaires ont causés dans des organisations importantes. Malheureusement, ce n'est sans doute pas fini.
Les témoignages récents du vérificateur général de la Ville de Montréal et du directeur général de Laval entendus à la commission Charbonneau sont sidérants. On a aussi observé que les manquements à la bonne gouvernance existent aussi dans le secteur privé, y compris dans le milieu syndical.
Si ces faits sont rappelés ici, c'est pour montrer les dommages directs et collatéraux qui peuvent résulter d'une gouvernance inadéquate, pour souligner l'importance primordiale de la vigilance des gouvernants et de la transparence dans les organisations. Les méfaits d'une mauvaise gouvernance ne sont pas faciles à percevoir rapidement. À cause du manque de surveillance et de l'aveuglement volontaire des gouvernants qui ne prennent pas leurs responsabilités, c'est généralement à moyen et à long terme qu'on débusque les comportements répréhensibles. Malheureusement, il faudra souvent attendre qu'une situation dégénère gravement avant que n'éclate le scandale qui provoquera le changement. Les conséquences sont souvent fatales pour les profiteurs eux-mêmes, pour la réputation des complices et pour l'organisation elle-même.
Les cas suivants sont très révélateurs.
1. À la Ville de Montréal, le vérificateur général, Jacques Bergeron, a dit à la commission Charbonneau que le système de gestion des contrats en place était «parfait»... dans le sens que personne ne l'a déjoué. Mais peut-être qu'on aurait pu freiner plus rapidement des magouilles si on avait prêté plus d'attention à certaines décisions et certains comportements. Il a fallu attendre que des dénonciateurs se confient aux médias pour que des actions soient entreprises, telles que la création de l'UPAC.
Les entourloupettes entourant le projet de privatisation illégale de la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), après la fusion avec la SDM, avaient été exposées dans cette page dans une lettre ouverte au maire Gérald Tremblay dès 2006. Il a laissé faire son collègue Frank Zampino qui pilotait le dossier et il a soutenu en 2008 que la privatisation était légale. En 2010, Québec a ordonné que la SHDM soit retournée à la Ville.2. À Laval, tout le pouvoir était exercé par le comité exécutif, une tactique favorite des dominateurs. Cet abus de pouvoir était connu, mais on a laissé faire, sans doute pour ne pas perdre les faveurs du maire par manque de courage. Comme l'a déjà suggéré l'ancien maire, c'est plus facile de diriger quand on n'a pas de prix Nobel dans son entourage. À moins d'ignorer leurs responsabilités, les conseillers municipaux et des administrateurs ne devraient jamais tolérer les abus de pouvoir d'un comité exécutif.
3. Chez Dessau, on laissait passer toutes les décisions des frères Sauriol, qui détenaient 51 % des actions de l'entreprise. Une société de cette envergure aurait dû avoir un vrai conseil d'administration, dont auraient fait partie des membres indépendants compétents. La transparence qu'ils auraient pu exiger aurait peut-être dérangé, mais elle aurait pu assurer la survie de l'entreprise que l'on démembre aujourd'hui.
4. Chez SNC-Lavalin, on a pactisé avec le diable pour obtenir des contrats des Kadhafi, dont les frasques et les abus étaient bien connus. Arthur Porter, qui croupit dans une prison de Panama, vient d'avouer qu'il a bel et bien reçu de l'argent de SNC-Lavalin («pour une autre affaire», a-t-il précisé). Le conseil d'administration du CUSM, qui semble avoir été très impressionné par le docteur au noeud papillon, a manqué de diligence.
5. À la FTQ Construction, l'ex-directeur général Jocelyn Dupuis faisait approuver ses comptes de dépenses exorbitants par son ami, le contrôleur du syndicat. Un tribunal vient de condamner Jocelyn Dupuis pour fraude. Ses comptes de dépenses auraient dû être approuvés par le conseil d'administration (comme cela aurait dû être le cas à Tourisme Montréal).Un manque de diligence
Dans tous ces cas, il y a eu un manque de diligence. Des personnes en position d'autorité ont plié l'échine, laissé passer en se disant probablement que les écarts de conduite et leur propre complaisance ne seraient pas révélés au public, et que ce faisant, le risque de réputation était limité.
La saine gouvernance n'est pas une abstraction. Elle permet à une organisation de réaliser sa mission et de se protéger des comportements indésirables. Elle s'exerce par la présence d'administrateurs compétents, diligents, intègres, responsables, transparents et courageux.
Les gouvernants qui n'ont pas ces qualités et ces valeurs n'ont pas leur place dans un conseil d'administration. Le plus grand service qu'ils pourraient rendre à leur organisation serait de la quitter.
J'aime
Passer quatre ans dans l'opposition à critiquer, c'était trop pour des personnes d'action comme Christian Dubé et Élaine Zakaïb. Le premier a pris le mandat d'accroître les investissements de la Caisse de dépôt au Québec, et la seconde mettra ses énergies à la relance du détaillant de vêtements Jacob. Bravo !
Je n'aime pas
Il n'y a pas que les gouvernants qui manquent de diligence et de courage. Alors que les scandales se multipliaient dans plusieurs villes, la Commission municipale du Québec n'a tenu aucune enquête financière sur une municipalité au Québec depuis 26 ans, selon Le Devoir. La Commission s'est toutefois intéressée à des accrocs à l'éthique et à la déontologie. Elle a trouvé le moyen de tenir 20 journées d'audience sur une municipalité de 500 habitants, mais n'a pas osé toucher à Laval, où les signaux de malversations fusaient de toute part.