Selon un proverbe attribué à un sage italien, «le mieux est l'ennemi du bien». Autrement dit, en voulant mieux faire, il arrive que l'on fasse pire.
SNC-Lavalin semble en être victime. En effet, en voulant montrer au monde que le Canada était intraitable face à la corruption, le gouvernement Harper a fait amender en juin 2013 la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers (LCAPE) pour interdire davantage de pratiques pouvant faciliter des transactions avec des étrangers et pour accroître la portée des accusations et les pénalités. La nouvelle politique, qui est entrée en vigueur en mars 2014, permet ainsi de radier pour 10 ans et sans possibilité d'appel tout fournisseur de biens et services ou tout entrepreneur trouvé coupable de fraude, d'évasion fiscale, de corruption ou de tentative de corruption au Canada ou à l'étranger.
Cette loi est un outil puissant si l'on en juge par les peines exigées aux sociétés coupables d'actes de corruption. Deux firmes canadiennes condamnées en vertu de cette loi, Niko Resources et Griffiths Energy, ont payé des amendes respectives de 9,5 millions de dollars et de 10,4 M$. Niko avait fourni un véhicule estimé à 190 000 $ et payé des dépenses de transport de 5 000 $ à un ministre du Bangladesh, alors que Griffiths avait payé 2 M$ de fausses factures à la famille d'un ambassadeur du Tchad. Ces règlements sont survenus en juin 2011 et en janvier 2013, avant l'entrée en vigueur des amendements à la loi.
Des accusations très importantes
Les accusations portées contre SNC-Lavalin sont non seulement beaucoup plus importantes, mais elles surviennent après le renforcement de la LCAPE, ce qui peut expliquer que la firme d'ingénierie n'ait pas pu s'entendre avec les autorités judiciaires du pays.
Autre différence, SNC-Lavalin est accusée en vertu de deux lois : d'une part, en vertu de la LCAPE, pour avoir fourni des avantages de 47,7 M$ à un ou des dirigeants libyens ; d'autre part, en vertu du Code criminel, pour s'être approprié une valeur de 129,8 M$ aux dépens du gouvernement Kadhafi. Les faits reprochés auraient eu lieu entre août 2001 et septembre 2011, soit avant le resserrement de la LCAPE.
Pour le moment, il ne s'agit que d'accusations, si bien que la firme d'ingénierie peut encore participer à des appels d'offres publics ou privés au Canada ou à l'étranger, y compris pour la construction du nouveau pont Champlain, un contrat qui sera attribué par le gouvernement fédéral. Il est toutefois évident que ces accusations entachent son image et qu'elles lui nuiront pour l'obtention de certains contrats.
D'ailleurs, on peut penser que les scandales dont on parle depuis trois ans ne sont pas étrangers à la perte de l'un ou l'autre des six contrats de gestion des 3 800 immeubles fédéraux, attribués par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada à Brookfield Johnson Controls en novembre 2014. Des options pourraient faire passer la portée, la durée et la valeur de ces contrats, évalués à 8 ans et 9,6 milliards de dollars actuellement, à 14 ans et 22,8 G$. Fait cocasse, une autre filiale du groupe Brookfield est l'objet d'une enquête de corruption au Brésil. Que fera Ottawa si celle-ci est trouvée coupable ?
Le soi-disant «cadre d'intégrité» canadien va très loin. Ainsi, les sociétés Hewlett-Packard, Siemens, BAE Systems et d'autres, qui ont été reconnues coupables de corruption à l'étranger, pourraient se voir interdire de participer à des appels d'offres du fédéral, même si aucun Canadien n'a été impliqué dans ces affaires.
Un futur incertain
Ce n'est pas parce que des accusations ont été portées que SNC-Lavalin ne pourra pas en venir éventuellement à un règlement avec Ottawa. Il appert toutefois que SNC-Lavalin devrait alors reconnaître une certaine culpabilité, ce qu'elle refuse de faire. Celle-ci est particulièrement outrée du fait qu'Ottawa n'a pas tenu compte des actions qu'elle a prises depuis trois ans pour améliorer ses pratiques et son code de conduite.
Si les parties entament un procès, celui-ci pourrait durer très longtemps. De plus, s'il y a un jour un règlement hors cour, celui-ci pourrait coûter plusieurs centaines de millions de dollars. La radiation de dix ans qui pourrait lui être imposée ferait très mal. Dessau a été démembrée, et sa filiale d'ingénierie a été vendue. Ce pourrait être le sort qui attend éventuellement SNC-Lavalin.
Les faits reprochés à SNC-Lavalin en Libye, dans d'autres pays et chez nous (CUSM) sont d'une tristesse inouïe. Ces fautes ont été commises par une poignée de tricheurs. Ce sont eux qu'il faut poursuivre pour leur faire payer au moins une partie du tort immense qu'ils ont causé à des milliers de familles, à leur société et à ses actionnaires ainsi qu'au pays tout entier.
De nombreux experts, y compris Transparency International, estiment qu'Ottawa doit revoir la LCAPE. Des sociétés d'autres pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, bénéficient d'un cadre qui permet de régler des situations semblables en protégeant à la fois l'intérêt public et les victimes innocentes des crimes commis. C'est cette voie qu'Ottawa doit emprunter.
J'aime
La Ville de Longueuil a imposé des sanctions aux cols bleus qui ont fait une grève illégale le 28 janvier. La Ville exige aussi du syndicat qu'il paie les 20 000 $ de dépenses encourues, entre autres le ramassage du sel.
Je n'aime pas
C'est un scandale énorme que celui des comptes suisses secrets que HSBC a gérés pour des clients désireux d'éviter le fisc. La Suisse a ouvert une enquête criminelle. On apprend que l'actuel président de la HSBC y a caché de l'argent et que sa résidence est à Hong Kong (pour des raisons fiscales). À la même époque, HSBC a blanchi de l'argent de narcotrafiquants de la Colombie et du Mexique, ce qui lui a valu des amendes de 1,9 G$ US. Et tout cela s'est produit alors que le plus haut dirigeant du groupe bancaire, qui était aussi prêtre anglican, disait s'inspirer de valeurs chrétiennes pour faire son travail de banquier. Édifiant !