Jusqu'à ce que Goldcorp présente son offre d'achat non sollicitée pour Osisko, le 13 janvier, cette dernière travaillait avec une certaine quiétude à l'exploitation et à l'optimisation de la production de sa mine de Malartic, ouverte en 2011, après 28 ans sans que la ville n'assiste à une coulée d'or.
Cette réalisation est l'aboutissement de plusieurs exploits : 1. la vision audacieuse d'un géologue, Robert Wares, qui a cru que l'on pouvait refaire une mine à partir de réserves abandonnées par d'anciens exploitants ; 2. un financement spectaculaire d'un milliard de dollars, alors qu'Osisko n'avait encore rien exploité ; 3. la construction des installations de production, le déménagement de 150 maisons et le développement d'un nouveau quartier comprenant une école primaire, un centre de la petite enfance, un centre de formation pour adultes, un centre d'hébergement et de soins de longue durée et une habitation à loyer modique, qui ont été remis à la collectivité.
Tel un prédateur, Goldcorp a ouvert le bal avec une offre ridicule de 2,6 G$ (5,95 $ par action), qu'elle a portée, le 10 avril, à 3,6 G$ (7,65 $ par action). Six jours plus tard, Yamana Gold et Agnico Eagle répliquaient avec une offre amicale de 3,9 G$, soit 8,15 $ par action, répartie ainsi : 2,06 $ comptant ; 0,07264 action d'Agnico (valeur de 2,43 $) ; 0,26471 action de Yamana (valeur de 2,43 $) ; et une action de la nouvelle société Osisko (valeur de 1,20 $), qui restera après qu'Agnico et Yamana auront acheté la mine de Canadian Malartic, les propriétés de Kirkland Lake et Hammond Reef en Ontario ainsi que son intérêt dans la propriété Pandora située près de Cadillac.
Même si l'offre d'Agnico et de Yamana a été qualifiée d'amicale, elle n'en est pas moins une sorte de spoliation des propriétés d'Osisko, sur lesquelles sa direction comptait pour en faire une grande société minière à partir de Montréal.
Le siège social d'Osisko, qui compte 60 personnes hautement qualifiées, est un actif inestimable pour notre industrie minière. Seules Richmont et Métanor exploitent aussi une mine d'or tout en ayant leur siège social au Québec.
La transaction négociée avec Agnico et Yamana est un moindre mal, comparativement à l'offre de Goldcorp, qui aurait fait disparaître du Québec le siège social d'Osisko. L'envergure de la nouvelle Osisko ne sera toutefois que l'ombre de ce qu'est Osisko aujourd'hui : une mine qui produit près de 600 000 onces d'or par an, qui enregistre des revenus de près de 800 M$ (à 1 300 $ l'once) et qui dégage des fonds autogénérés de l'ordre de 300 M$.
Un nouveau départ
La nouvelle Osisko restera avec une valeur estimée de 575 M$, dont 155 M$ en encaisse et des intérêts dans de petites sociétés. Elle conservera sa propriété mexicaine de Guerrero, qu'elle explore depuis 2011 et où des indices d'or, d'argent et de cuivre ont été décelés. De plus, elle recevra des redevances de 5 % sur la production de Canadian Malartic et de 2 % sur celle des autres propriétés cédées dans la transaction. Pour l'équipe dirigée par Sean Roosen (il n'a que 50 ans), un expert et entrepreneur minier d'expérience recruté en 2006 pour développer la propriété de Canadian Malartic, ce sera un nouveau départ. Le noyau de dirigeants qui resteront devront établir la vocation de la nouvelle Osisko. Il faut se réjouir de leur volonté de continuer leur mission. L'encaisse de 155 M$ et les redevances que recevra Osisko lui permettront de faire de l'exploration, de conclure des partenariats et de lancer de nouveaux projets.
Pour les employés de Canadian Malartic, qui sera dirigée par un comité conjoint d'Agnico et de Yamana, ce sera une sorte de rapprochement naturel, puisqu'Agnico, à l'instar d'Osisko, compte plusieurs Québécois au sein de sa direction et de son équipe de gestion. Agnico exploite trois mines en Abitibi (LaRonde, Lapa et Goldex).
Mieux protéger les sièges sociaux
L'aventure qu'a connue Osisko pose à nouveau la question de la protection des sièges sociaux québécois. On se rappellera les conséquences qui ont résulté de l'offre d'achat non sollicitée d'Alcan par Alcoa, épisode qui s'est soldée par le rachat de la première par RioTinto.
S'il en avait la volonté, le gouvernement du Québec pourrait introduire certaines mesures contre les offres d'achat non sollicitées pour protéger les sociétés incorporées en vertu de la Loi sur les sociétés par actions du Québec , mais il serait préférable d'avoir à cette fin un cadre d'intervention à l'échelle du pays.
Comme cela existe aux États-Unis, le dispositif souhaité devrait permettre au conseil d'administration d'une société canadienne de refuser de présenter une offre d'acquisition non sollicitée à ses actionnaires si celle-ci n'est pas dans le meilleur intérêt de l'entreprise. Or, cet intérêt ne coïncide pas seulement avec celui des actionnaires, surtout si ceux-ci ne font que passer, comme c'est le cas pour les arbitragistes.
L'intérêt dont il importe de tenir compte, c'est celui de la société à long terme. Il doit être la préoccupation principale des administrateurs en leur qualité de mandataires et de fiduciaires.