Le secteur des sociétés de téléphonie et de câblodistribution est-il sur le point de subir une correction ?
C'est la question que posait en avril 2014 l'équipe d'analystes de Marchés mondiaux CIBC. La firme y répondait par l'affirmative, en abaissant sa recommandation sectorielle à « sous-performance ».
Mal lui en prit, puisqu'un an plus tard, les titres du secteur sont plutôt en hausse de plus de 7 %, tout comme le S&P/TSX.
Un mauvais pronostic ne fait pas de mauvais analystes. L'histoire boursière est remplie d'anecdotes de marchés surévalués qui ont continué de progresser. CIBC a récemment revu la recommandation en l'augmentant à « pondération de marché ». Ce qui n'empêche pas la maison de continuer d'estimer que les investisseurs regardent les titres de la téléphonie et de la câblodistribution avec des lunettes trop roses.
Qu'en est-il de l'évaluation
C'est effectivement assez cher. Et ce, à plus d'un égard.
En ce qui concerne le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA), les titres des sociétés de téléphonie se négocient à 8 fois le consensus des 12 prochains mois. À titre comparatif, la moyenne sur cinq ans est à 6,5 et le sommet de tous les temps, à 8,2 fois. En ce qui concerne le bénéfice par action, on est à 16,6 fois, par rapport à 14,1 fois pour la moyenne sur cinq ans, et à un sommet historique de 17,2 fois.
C'est un peu moins intimidant du côté des titres des câblos, où le groupe se négocie à 7,6 fois le BAIIA, comparativement à une moyenne sur cinq ans de 6,6 fois. Ou encore, à 14,8 fois le bénéfice par action, par rapport à une moyenne sur cinq ans de 12,9 fois.
Pourquoi les multiples ont enflé
Deux ou trois explications sont possibles.
1. Les taux d'intérêt sont faibles, et les investisseurs recherchent des placements perçus comme relativement sûrs et susceptibles de leur donner plus de rendements de revenus. Le dividende des titres des télécoms est en moyenne de 4,4 % et celui des câblos, de 4,3 %, alors que les obligations 10 ans de la Banque du Canada sont à 1,4 %. Plus de monde s'intéresse aux actions des télécoms et des câblos, ce qui pousse les titres à la hausse.
2. L'élan s'est accentué dans les derniers mois alors que la chute du pétrole a rendu plus incertaine la valeur des titres pétroliers à dividendes. Le phénomène a suscité encore plus d'intérêt pour les titres des télécommunications.
3. Le marché voit peut-être une amélioration des fondamentaux et des bénéfices dans l'avenir.
Creusons ce troisième point, pour voir s'il peut à lui seul soutenir les évaluations.
Les fondamentaux s'améliorent-ils ?
Ce n'est pas évident.
La croissance dans le sans-fil se poursuit, mais on semble ne plus être très loin d'un marché à maturité. CIBC estime que le taux de pénétration dans la population atteint aujourd'hui 83 %. C'est encore loin derrière les États-Unis, qui sont à 108 %. En apparence, le potentiel de croissance est encore intéressant, mais ce pourrait bien n'être qu'une illusion. Alors que la base d'abonnés au cellulaire a encore grimpé de 4,3 % l'an dernier chez l'oncle Sam, elle n'a progressé que de 2,4 % chez nous. Depuis trois ans, l'écart de croissance entre les États-Unis et le Canada est identique. Autrement dit, nous ne sommes pas en mode rattrapage.
Pendant ce temps, le secteur filaire est voué à la décroissance. Et ça ne s'annonce pas tellement bien du côté de l'offre vidéo, avec le CRTC qui vient de revoir les règles sur les offres de chaînes à la carte.
Il y a en fait deux axes où l'on pourrait continuer d'assister à une croissance intéressante : les données sans fil et la bande passante Internet résidentielle et commerciale.
Mais des menaces planent aussi sur ces deux axes, écrit la CIBC.
Le gouvernement n'a toujours pas renoncé à son intention d'amener un quatrième acteur national dans le sans-fil. Cette menace d'un quatrième joueur est importante pour les volumes de données des services sans fil (les répartir à quatre est moins intéressant qu'à trois), mais aussi pour les prix.
Quant à la bande passante, on parle de plus en plus aux États-Unis de réglementer le service et d'en faire un service public pour éviter que l'accès Internet ne devienne trop onéreux. Pareil geste empêcherait les fournisseurs de services d'augmenter les prix en fonction de la consommation, estime l'analyste Robert Bek.
Qu'en conclure ?
On ne dirait pas que le secteur souffre d'une extrême surévaluation, parce que, selon nous, la menace d'un quatrième acteur national ne se matérialisera pas. Qui plus est, une intervention réglementaire touchant la consommation de données dans l'Internet traditionnel est hypothétique et éloignée.
Des multiples flirtant avec des sommets historiques sont cependant difficiles à justifier dans un contexte où les perspectives de l'industrie montrent des signes de croissance moins importants que par le passé.
Les valeurs semblent davantage rattachées à des facteurs externes à l'industrie (faibles taux d'intérêt, baisse de popularité des actions des pétrolières), qui peuvent se dissiper avec le temps. Bref, sans dire que ça ne tient qu'à un fil, le risque de correction n'est pas à négliger.