Le maire de Trois-Rivières a raison dans le dossier des régimes de retraite municipaux. Le projet de loi du gouvernement du Québec est inadéquat en qu'il tente un coup d'argent. Il sera maintenant intéressant de voir si la pensée d'Alban D'Amours évoluera.
C'est avec le sourire qu'on a accueilli, il y a quelques jours, la sortie du maire Yves Lévesque et de quelques autres élus pour demander des amendements au projet de loi Moreau. Ces élus reprochent au gouvernement de n'avoir tenu compte que de la situation de Québec et Montréal, et semblent estimer que le projet de loi les forcera à avoir une épreuve de force inutile avec leurs employés.
-Tiens, tiens, cheminerait-on finalement vers le cœur de la question?
Il y a quelques semaines, nous indiquions en chronique que, à l'exception du maire Régis Labeaume, les maires du Québec avaient peur de dire la vérité sur le projet de loi.
Dans sa forme actuelle, il vise certes à protéger le contribuable et à assurer la pérennité des régimes de retraite. Mais il vise beaucoup plus que ça. Il vise à permettre à certaines municipalités de faire un coup d'argent. C'est ce bout d'histoire dont, depuis le début, la plupart des maires ne parlent pas.
Un rapide récapitulatif du dossier avant d'aller plus loin.
L'historique
Il y a plus d'un an, Alban D'Amours et une équipe d'experts déposaient un rapport destiné à assurer la pérennité des régimes de retraite.
On y proposait notamment une nouvelle méthode de calcul des déficits, baptisée "capitalisation améliorée". L'adoption de cette méthode visait à diminuer les risques de déficits futurs. Elle avait aussi pour effet de faire doubler les déficits passés. Vous avez bien lu, faire doubler.
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En commission parlementaire, les municipalités, les villes de Québec et Montréal en tête, s'amenèrent pour demander un partage 50-50 des déficits passé (Montréal avait formulé sa demande d'une autre manière, mais l'objectif recherché était le même).
Jusque-là, rien à redire. Depuis quelques années, la facture avait beaucoup monté pour les municipalités (et le contribuable) et il était tout à fait défendable que l'on refuse un nouveau bond.
Le nouveau projet de loi abandonne cependant la méthode de capitalisation améliorée. Si bien qu'on ne parle plus de partager en deux un déficit qui serait doublé, mais de partager en deux le déficit actuel. C'est tout un monde de différence.
Il ne s'agit plus de protéger le contribuable pour le futur, mais de récupérer d'importantes sommes d'argent qui avaient déjà été empruntées. Bref, de faire un coup d'argent.
Un coup d'argent que l'on tente de bonifier en réduisant le coût du service courant à un maximum de 18% de la masse salariale (20% pour les policiers et pompiers). Mais on n'entrera pas dans le détail de cette autre mesure afin de ne pas complexifier l'histoire.
Combien récupéreront les municipalités?
Ce n'est clair qu'à Québec.
À ce jour, seul le maire Régis Labeaume a publiquement reconnu qu'il y avait dans l'opération une récupération d'argent.
Sur la dernière évaluation actuarielle officielle de 2010, le projet de loi permet à la Ville de Québec de récupérer 141 M $.La Ville anticipe cependant que la prochaine évaluation actuarielle (2013) devrait faire passer son déficit de 517 M$ à 616 M$, si bien que, au final, la récupération réelle de la Ville devrait tourner autour de 80 M$.
C'est 80 M$ qui ont déjà été empruntés et qui, une fois reçus, pourront être affectés ailleurs.
On a demandé à la Ville de Montréal quelle serait la force de sa récupération. L'administration Coderre indique que les chiffres ne seront fournis que lors de la comparution de la Ville en commission parlementaire, le 20 août. Mais la récupération sera assurément plus importante qu'à Québec. Évidemment en raison des populations, mais surtout parce que la nouvelle loi prévoit que la Ville de Québec devra assumer 100% du déficit passé du régime de retraite de l'ancienne Ville de Québec (et non pas le séparer 50-50). Or, ce vieux déficit représente la moitié du déficit total de la Ville. Montréal n'a apparemment pas une obligation aussi forte, ce qui devrait avoir un effet multiplicateur sur son coup d'argent.
Aussi paradoxale que cela puisse paraître, les efforts de Régis Labeaume à Québec rapporteront beaucoup plus à la métropole qu'ils ne lui rapportent à lui.
La grande question
La grande question
On n'en discute pas encore clairement publiquement, mais avec la sortie du maire de Trois-Rivières, on semble se rapprocher de la discussion la plus importante de l'affaire.
La question est la suivante: le projet de loi doit-il uniquement éviter d'alourdir le fardeau fiscal du contribuable ou doit-on aller plus loin et exiger des retraités et des employés un effort plus grand qui permette aux municipalités de récupérer de l'argent?
Dépendamment des montants en jeux, des situations financières des villes, et des convictions sociales de chacun des maires, la réponse devrait varier d'un endroit à l'autre.
Sur la base d'évaluations actuarielles sommaires 2012, un récent bulletin d'Aon Hewitt indique par exemple ceci: dans les municipalités de plus 100 000 habitants, les obligations relatives aux régimes de retraite sont de 629$ par individu, alors qu'elles sont trois fois moindres chez les municipalités de moins de 100 000 (200$) et qu'elles pèsent deux fois moins dans leur budget (6,2% contre 3,1%).
Si vous êtes une municipalité dans la deuxième catégorie, vous ne sentez pas nécessairement le besoin de mettre le feu dans vos relations de travail et d'y aller de compressions.
Si vous êtes dans une situation de sous-investissement dans les infrastructures comme Montréal, cependant, vous souhaitez sans doute que le projet de loi ne change pas. L'argent reçu pourrait être affecté aux infrastructures.
Si vous êtes au gouvernement, vous vous dîtes sans doute la même chose, en ce que, indirectement, le projet de loi vous évitera éventuellement d'avoir à casquer plus pour Montréal.
Bien que la hausse des déficits des régimes de retraite puisse en partie expliquer le sous-investissement dans les infrastructures, on le voit bien, le projet de loi ne vise cependant alors plus uniquement les retraites et la pérennité des régimes. Il va plus loin et oblige tout le monde à aller plus loin et faire un coup d'argent.
C'est pour cela que l'on dit que le maire de Trois-Rivières a raison et qu'il est inadéquat.
Il sera intéressant de voir ce que viendra dire Alban D'Amours à ce sujet en commission parlementaire. Monsieur D'Amours a jusqu'à présent défendu le projet de loi, mais on n'est pas sûr qu'il avait repéré l'opération de récupération financière en cours.
À titre d'ancien président du mouvement Desjardins, et de père du rapport qui porte son nom, sa position risque d'être déterminante dans les décisions que prendra le gouvernement.
La question à monsieur D'Amours, donc: doit-on uniquement éviter d'alourdir le fardeau fiscal du contribuable ou doit-on aller plus loin et exiger des retraités et des employés un effort qui permette aux villes de faire un coup d'argent?
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