Il y a un moment qu'on ne l'avait pas entendue, mais, il y a quelques jours, la blague est revenue à nos oreilles.
Deux prospecteurs s'en vont en forêt. Soudain, au détour d'un sentier, ils aperçoivent un ours qui s'apprête à les charger.
Sauve-qui-peut ! L'un des prospecteurs s'assoit sur le sol, retire ses bottes et enfile ses souliers de course.
- La belle affaire, que fais-tu là ? Tu ne peux pas courir plus vite que l'ours ! s'exclame son compagnon.
- Non, mais je peux courir plus vite que toi !
Pourquoi la blague est de retour
Sur le marché de l'or, le retour de la blague coïncide avec celui de l'ours, symbole du pessimisme sur les marchés financiers.
Après une chute de près de 20 % en 2013, le prix du métal précieux montrait enfin des signes de stabilisation en 2014. Le voilà malheureusement qui vient de passer sous les 1 200 $ US l'once, en pleine période (novembre à février) où il devrait plutôt avoir tendance à prendre du lustre.
Où s'en va le prix de l'or ?
Les gold bugs, ces ardents défenseurs du métal jaune, sont plutôt silencieux ces jours-ci.
La dernière fois qu'on en a aperçu un, c'était il y a un peu plus d'un an, à l'automne 2013.
John Ing, de Maison Placements Canada, était convaincu que la glissade de l'or était sur le point de prendre fin. Le métal allait rebondir à 2000 $ US l'once en fin d'année, et, attachez bien votre tuque, toucher les 10 000 $ US plus tard !
Son argumentaire allait ainsi.
L'assouplissement quantitatif mené par la Réserve fédérale américaine (Fed) est une bombe à retardement. L'opération permet de faire flotter l'économie en faisant grimper l'endettement des ménages et des administrations publiques.
Le service de la dette américaine ne représente que 0,9 % du PIB des États-Unis, le plus bas niveau en 50 ans. Une situation intenable. Lorsque le taux d'intérêt des obligations cinq ans du gouvernement retournera à sa moyenne historique (près de 6 %), ce service pourrait coûter 600 G$ US par année, plus que tout autre programme fédéral, à l'exception de la sécurité sociale. Trouble garanti en vue, disait M. Ing.
Il ne s'arrêtait pas là. Par ses opérations d'achats d'obligations, ajoutait-il, la Fed finance actuellement 40 % de toutes les émissions de dette au pays. Il faudra bien un jour sortir de cette situation. Mais comment ? Si la Fed se retire, les obligations perdront de leur valeur et le système bancaire sera secoué, puisqu'une bonne partie de la capitalisation des banques repose justement sur la valeur de ces obligations. Comme si ce n'était pas assez, les taux d'intérêt grimperont et les défauts de paiement des ménages viendront accentuer la spirale. Bref, la crise sera pire que celle de 2008.
Eh bien, voilà, nous y sommes. La Fed vient de mettre fin à l'assouplissement quantitatif et à ses rachats sur le marché.
Mais la situation n'est pas exactement catastrophique. Plutôt l'inverse, et un gros problème pour les partisans de l'or, valeur refuge.
Les investisseurs semblent avoir confiance que le PIB des États-Unis est sur une lancée et que cet élan compensera d'éventuelles faiblesses ailleurs. Les taux d'intérêt monteront éventuellement, et le dollar américain a déjà commencé à prévoir le mouvement en partant à la hausse par rapport aux autres grandes devises.
Or, un billet vert qui grimpe est historiquement négatif en ce qui concerne le prix de l'or. Si la tendance se maintient, l'or pourrait bien passer à 1 000 $ US l'once. Un scénario à très forte probabilité. La Banque Nationale et l'économiste Stéfane Marion voient le dollar américain poursuivre sur sa lancée en 2015, alors que le marché continuera d'anticiper de nouvelles hausses de taux d'intérêt. Au Canada, le huard devrait terminer l'année 2014 à 0,85 $ US.
Qu'est-ce à dire ?
En plus des ours, on pourrait aussi bientôt commencer à parler de requins.
Le secteur aurifère est dans un piteux état. Don MacLean, de Paradigm Capital - qui est à la source de la blague du début -, note que le ratio dette/valeur de l'entreprise est aujourd'hui deux fois plus élevé que lors de la grande crise aurifère des années 2000. Heureusement que les taux d'intérêt sont plus faibles.
À 1000 $ US l'once, et peut-être même moins, plusieurs sociétés risquent d'être en difficultés financières. Les coûts ont en effet rapidement augmenté ces dernières années. Au nombre des sociétés qui pourraient trouver le temps long, la Paradigm Capital voit : Anglo Gold, Barrick, Newmont, Allied Nevada, Banro et San Gold.
Elles pourraient alors être forcées de se départir d'actifs intéressants pour rembourser leur dette ou se faire gober par les requins, ces sociétés en bonne posture financière.
Au Canada, Goldcorp est probablement celle qui est la mieux positionnée pour mettre le grappin sur les meilleures aubaines.
Que faire ?
Le premier mouvement est de jouer le requin et d'acheter Goldcorp, en se disant qu'un actif acquis à prix de liquidation paiera éventuellement beaucoup plus tard.
Ce pourrait être vrai. Mais il se pourrait aussi que le cours du requin continue de reculer.
Il semble encore trop tôt pour s'amener dans le secteur. Gardons nos souliers de course.