BLOGUE. C'est avec une assez grande surprise qu'avec la collègue Marie-Ève Fournier nous sommes arrivés à l'assemblée annuelle de Rona, mercredi.
"Non mais, il y a du monde!", n'a pu retenir Marie-Ève.
Et effectivement, il y avait beaucoup d'actionnaires et d'employés au centre de distribution de Boucherville.
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PLUS : Rona en a marre des rumeurs d'acquisition
Pour conspuer la direction? (après avoir coupé en deux sur cinq ans, le titre est encore en recul depuis le printemps).
Non. Plutôt pour l'applaudir.
"Nous ne sommes pas à vendre, ni en parties, ni en morceaux. Il faut faire taire ces rumeurs et ne pas les laisser prendre racines. Cela peut empêcher des marchands de se joindre à nous", a notamment lancé dès le début le président sortant du conseil, Jean Gaulin, au sujet des rumeurs d'acquisition du géant Lowe's sur Rona.
Première main d'applaudissements.
"Le consommateur veut que nous restions canadiens. Nous sommes les seuls à encourager le secteur manufacturier canadien, nous jouons un rôle dans les communautés, nous avons une politique environnementale. Nos actionnaires, qu'ils soient petits ou de gros fonds, doivent soutenir Rona. C'est une grande responsabilité, c'est une question d'éthique!", a plus loin lancé le chef de la direction, Robert Dutton.
Autre main d'applaudissements, cette fois encore plus sentie.
Une question d'éthique
C'est une intéressante question que soulève monsieur Dutton, avec cette référence à l'éthique.
Qui pourrait bien être le cauchemar de la Caisse de dépôt, second actionnaire en importance de l'entreprise avec plus de 10% du capital.
Monsieur Dutton estime qu'environ 25% des actions sont détenues par de petits actionnaires, et que ses détaillants en détiennent un 10 à 12% supplémentaire. Le reste est la propriété de grands portefeuilles, dont la Caisse et le Fonds de solidarité.
Que feraient les actionnaires si le géant américain devait s'amener avec une offre publique d'achat hostile?
Rona a actuellement sur la table un nouveau plan de match qui vise à la rapprocher de sa clientèle en augmentant le nombre de points de contact. Essentiellement, il s'agit de remplacer 23 big box par 38 magasins de format plus petit, principalement en Ontario. Certaines grandes surfaces fermeront tout simplement, d'autres seront réduites, et les pieds carrés abandonnés seront reloués.
L'opération est majeure et l'on prévoit qu'elle pourrait ajouter autour de 40 M$ au bénéfice avant intérêts, impôt et amortissement (BAIIA) d'ici deux ans. L'amélioration potentielle du BAIIA attribuable au plan est de 15%. Au multiple auquel se négocie actuellement le titre (4,25 fois le BAIIA), c'est autour de 1,50$ de valeur supplémentaire par action. Soyons généreux et postulons que le multiple grimpe un peu, on obtient 2$ de richesse supplémentaire à espérer. Ce qui, ultimement, fait passer le titre de 10$ à 12$ d'ici 18 à 24 mois (dans le contexte d'une économie qui conserve sa cadence actuelle).
À l'inverse, les analystes calculent que si Lowe's déposait une offre publique d'achat, un prix raisonnable se situerait plutôt entre 13$ et 19$ l'action.
Que choisir? La prime offerte ou l'intérêt national?
Il est difficile de ne pas suivre monsieur Dutton lorsqu'il affirme que l'intérêt manufacturier canadien serait sans doute moins bien servi avec Lowe's. "Target va remplacer Zellers, mais avec des produits achetés en Asie", illustre-t-il, avec un autre exemple.
Il est cependant aussi difficile de ne pas s'attarder au rendement potentiellement perdu que commande l'option "intérêt national".
On croit comprendre que Rona a une seconde phase de prévu à son plan de création de richesse, mais, comme dirait l'autre, un tiens vaut souvent mieux que deux tu l'auras.
Il serait en outre intéressant de voir quelles manœuvres effectueraient le conseil d'administration pour tenter de contrer une éventuelle prise de contrôle américaine. Ce serait une grande première que de voir un conseil évoquer la fibre et l'impact national pour refuser de donner son aval à une OPA. C'est d'ordinaire l'État qui fait appel à l'argument. Cela viendrait donner une nouvelle étendue au devoir de fiduciaire d'un administrateur, qui prendrait alors compte non seulement de l'intérêt des actionnaires, mais tout autant de celui des employés, des fournisseurs et de la communauté.
Il est fort douteux que le conseil déciderait de forcer ainsi le jeu, et que les actionnaires renonceraient à la prime offerte.
Quand même. En ces temps où les sièges sociaux disparaissent au Québec, les déclarations de messieurs Gaulin et Dutton font du bien.