Faut-il permettre à BCE de réserver l'exclusivité des matchs du Canadien pour son réseau de téléphonie sans-fil?
Bien des questions seront débattues au cours des prochains jours devant le CRTC alors que l'organisme réglementaire doit décider des conditions d'approbation de l'acquisition de CTV par Bell.
L'une de ces questions touche l'utilisation exclusive des contenus. Il se pourrait que l'on n'aille pas tout de suite au fond des choses car une autre audience est prévue en juin sur la question des règles devant gouverner les sociétés intégrées. Mais on devrait quand même aller assez loin dans le débat puisque l'utilisation des matchs du CH ne manquera pas d'être soulevée.
Le cadre réglementaire
On a vu la semaine dernière TVA être forcée par le CRTC d'offrir ses contenus (Banquier, Star Académie, etc.) aux services de vidéo sur demande de BCE et Telus si elle continuait de les offrir à Vidéotron.
À ce jour, TVA passait tout à Vidéotron en exclusivité, sous des conditions qui n'ont pas été dévoilées. Violation de licence, est venu dire le CRTC, TVA et Illico ne peuvent s'entendre ainsi ensemble, il y a "préférence indue".
Le principe en vidéo sur demande est qu'on ne peut accorder une "préférence indue" à un distributeur. La mesure a deux objectifs:1-qu'une saine concurrence soit globalement maintenue entre les entreprises de distribution (Vidéotron, Cogeco, Bell télé, Telus, etc.); 2-de protéger le consommateur, en évitant qu'il n'ait à s'abonner à la fois à Bell, Telus et à Vidéotron pour obtenir différentes émissions.
Théoriquement, il n'y aucune réglementation en téléphonie mobile. Mais les règles du CRTC prévoient, tout comme dans la vidéo sur demande, qu'il ne peut y avoir de "préférence indue" à l'endroit d'un acteur du sans-fil. Autrement dit, sans être réglementé, le secteur l'est.
(ST)La vision Bell
Officiellement, Bell n'a pas encore confirmé qu'elle souhaite offrir le CH en exclusivité sur le sans fil. Elle se contente pour l'instant de dire qu'elle veut offrir une majorité de contenus à Rogers, Telus, Vidéotron et cie. C'est néanmoins un secret de polichinelle qu'elle souhaite garder le Canadien en exclusivité.
Illégal?
La décision n'est pas aussi simple que dans le cas de la vidéo sur demande. TVA, en réservant la totalité de son contenu à Vidéotron et en n'accordant rien aux autres, n'aidait vraiment pas sa cause.
Au contraire, CTV indique qu'elle offrira la plupart de ses contenus aux acteurs du sans fil. Le hockey ne serait en fait qu'une exception.
Elle ajoute que "l'intérêt de la population" (l'un des deux critères du test) ne serait pas vraiment affecté, puisque le public disposerait toujours de la possibilité de voir les matchs du CH à la télé (dans le cas de la vidéo sur demande, il n'y avait pas d'option).
Bref, il y aurait préférence, mais cette préférence ne serait pas indue.
La vision Quebecor
Ok, peut-être sur le premier critère. L'option permettrait au consommateur de ne pas être pénalisé. Reste cependant l'autre critère, celui de la saine concurrence entre entreprise?
Pouvoir diffuser les matchs du CH en exclusivité octroierait-il un avantage indu à Bell Mobilité sur les autres joueurs du sans-fil?
Assurément, répondra Quebecor. La société va en fait jusqu'à réclamer que RDS ne puisse plus avoir les droits de diffusion exclusifs des matchs à… la télévision! Elle préconise en fait que l'on fractionne en blocs les matchs de l'équipe et qu'on les mette aux enchères.
Le fait qu'un seul joueur puisse profiter de la diffusion d'événements sportifs nationaux au détriment des autres joueurs va à l'encontre du développement économique des entreprises canadiennes. Une position indûment avantageuse et clairement anticoncurrentielle, dit-elle en substance.
Qu'en penser?
Quebecor joue encore une fois avec excès. RDS a les droits du CH, mais ses concurrentes sont libres d'essayer de les obtenir. C'est au Canadien de Montréal de décider à qui il veut confier la diffusion des matchs. Vrai, BCE a une participation minoritaire dans le CH, mais elle n'est juridiquement pas décisionnelle sur la question des droits (il n'y a pas de convention d'actionnaires à cet effet). Le CRTC n'a pas juridiction pour réglementer avec qui le CH doit faire affaires, une compétence qu'il s'arrogerait en suivant la suggestion de Quebecor. Il vaut en outre mieux ne pas empêcher un tiers de choisir son partenaire. Il en va de la liberté des affaires.
Surtout, il n'y a certainement pas avantage indu en télévision puisque le distributeur Vidéotron a accès aux contenus. Les règles ne visent pas la concurrence entre diffuseurs, mais celle entre distributeurs. Autrement, il faudrait aussi forcer TVA à partager le Banquier et Star Académie en première diffusion, ce qui n'aurait pas de sens.
Cela ne veut cependant pas dire pour autant qu'il faille permettre à BCE d'utiliser le CH exclusivement dans le sans-fil.
RDS avait une part globale de 8,5% du marché de la télévision au printemps (selon Cossette). Les matchs du Canadien en série allaient en outre parfois chercher des parts d'écoute se situant entre 40% et 67% de l'auditoire.
Bien qu'il puisse y avoir de multiples motifs pour choisir un fournisseur de téléphonie sans-fil plutôt qu'un autre, on serait porté à croire, qu'au Québec à tout le moins, l'avantage est suffisamment pesant pour constituer une préférence indue.
Le CRTC ne devrait pas permettre l'exclusivité des matchs du CH dans le sans-fil.