Le graphique (PDF à droite) nous a rappelé une déclaration d'un gestionnaire, croisé à l'assemblée de Berkshire Hathaway il y a quelques années. On cite de mémoire : " Les marges bénéficiaires des sociétés arrivent à un niveau très élevé, qui est vraisemblablement insoutenable. La croissance des bénéfices ne pourra se maintenir à son rythme des dernières années. "
Laissez le texte quelques minutes et allez cliquer sur le PDF (merci à l'économiste en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion). Attardez-vous à la ligne bleue.
C'est ça : à 23 %, les marges bénéficiaires des sociétés américaines sont sur le point d'atteindre un nouveau sommet. La dernière fois, en fait la seule où elles étaient montées à un niveau aussi élevé, c'était en 2007. Les marges des sociétés du S & P 500 avaient alors atteint les 24 %. On connaît la suite. Un dégonflement total et une solide récession.
À l'époque de l'assemblée annuelle, Warren Buffett avait lui aussi abordé la question, mais sous un autre angle, en expliquant que le niveau de bénéfice des sociétés correspondait maintenant à un pourcentage trop important du PIB américain pour que la croissance se poursuive avec le même élan. Lorsque les bénéfices représentent un poids trop important du PIB, toutes sortes de pressions sociales commencent généralement à s'exercer. Les employés voient la rentabilité de leur employeur et réclament eux aussi leur part du gâteau. Les gouvernements constatent que le moment est propice pour étendre les protections sociales. Et ainsi de suite.
En route vers une chute des marges ?
Probablement.
Outre en 2007, il faut en fait retourner près de 45 ans en arrière pour retrouver une situation où les marges étaient aussi élevées qu'aujourd'hui.
Dans les deux cas, elles avaient fini par revenir aux alentours de 14 %.
La seule différence est qu'en 1965, l'atterrissage s'est produit sur cinq ans et, en 2007, sur deux ans.
Est-ce que les bénéfices vont obligatoirement reculer ?
Pas nécessairement. Il est possible que la marge bénéficiaire recule, mais que les volumes croissent, poussés par une économie en progression.
En 2009, deux ans après que les marges eurent atteint un sommet, le PIB avait chuté de 2,6 % et les bénéfices s'étaient effondrés de 90 %.
En 1965, au contraire, le PIB réel avait continué à avancer pendant les cinq années suivantes (+ 6,5 %, + 2,5 %, + 4,8 %, + 3 % et + 0,2 %). Ce qui n'avait donné que peu de résultats sur les bénéfices : sur cinq ans, les profits n'avaient augmenté que de 3,9 % (probablement grâce à l'inflation).
Est-ce que les marchés boursiers vont nécessairement reculer ?
Est-ce que les marchés boursiers vont nécessairement reculer?
Encore ici, pas nécessairement. En 2008, le S & P 500 était tombé de 37 %, mais, entre 1965 et 1970, l'indice avait augmenté de 11,7 %.
Pas une progression énorme (grosso modo de 2 à 3 % par année), mais tout de même une progression grâce à une augmentation des multiples. À noter que deux des cinq années de cette période furent marquées par des reculs.
Qu'est-ce qui s'en vient, alors ?
Bien malin qui pourrait le dire. Quoique l'on ne soit en présence que de deux situations apparentées, on notera que, dans les deux cas de marges à leur sommet historique, la suite ne fut pas très intéressante.
Le S & P 500 s'échange actuellement à 14,1 fois le bénéfice attendu en 2011, ce qui, sur une base historique, n'est certes pas en territoire de surévaluation. La moyenne historique est en effet autour de 15 fois.
L'élément qui fera fondre les marges et trébucher le PIB est cependant déjà en vue : le renflouement du déficit américain.
En prolongeant pendant deux ans les réductions d'impôt de l'administration Bush, on a gagné un peu de temps. Mais un jour viendra où il faudra bouger.
Notre cible (prophétique) du S & P 500 est à 1390 points pour 2011. À 1332 points, on n'en est plus très loin et l'on demeure confiant de la voir atteinte (et voire dépassée). Avec des marges qui pourraient se maintenir encore quelque temps et un PIB continuer d'avancer sur l'artifice des baisses d'impôt, on ne serait pas étonné de voir l'indice atteindre les 1500 points dans les premiers mois de 2012.
Après, les temps difficiles devraient arriver.
francois.pouliot@transcontinental.ca