ANALYSE DU RISQUE - Confrontée à la pire crise migratoire depuis la Deuxième Guerre mondiale, l'Europe se trouve à un point de bascule: soit elle intègre les migrants à sa société et à son économie, soit elle se ferme et adopte des politiques anti-immigration sous l'influence de l'extrême droite.
Les deux tendances se dessinent sur le vieux continent. D'un côté, l'Allemagne déploie une énergie et des ressources remarquables pour accueillir les migrants. De l'autre, la Hongrie se ferme et traite les réfugiés sans respect.
Personne ne nie que cette crise migratoire soit majeure, et qu'elle pose un défi sans égal aux pays européens qui doivent accueillir ce flot de réfugiés qui proviennent d'Afrique et du Moyen-Orient, principalement en raison de la guerre civile en Syrie.
Ces mouvements massifs de population en Europe sont du jamais vu depuis la Deuxième Guerre mondiale.
À l'époque, l'Europe en ruine a su gérer cette situation beaucoup plus chaotique et complexe qu'aujourd'hui. Elle peut certainement y arriver en 2015 avec son niveau de vie, son intégration politique et son savoir-faire.
De plus, dans les années 1920, alors qu'elle comptait 37 millions d'habitants, la France a su recevoir à elle seule quelques 140 000 Arméniens.
Pourtant, on sent les Européens douter d'eux-mêmes, divisés sur la marche à suivre. Et le coeur du problème réside moins dans le nombre de migrants que dans leur origine et leur confession religieuse: ce sont des musulmans.
Certains pays comme Chypre réclament même de pouvoir accueillir des migrants chrétiens et orthodoxes afin de faciliter leur intégration.
Les partis xénophobes, comme le Front national de Marine Le Pen en France, profitent bien entendu de la crise pour attiser les craintes, voire la haine, d'une partie de la population à l'égard de ces migrants musulmans.
Le premier ministre de la Hongrie, Viktor Orban (un conservateur), a même déclaré que les réfugiés menaçaient rien de moins que les racines chrétiennes de l'Europe.
Si l'intégration de migrants de confession musulmane en Europe peut parfois représenter un défi, il est possible d'y arriver, le Québec, le Canada et les États-Unis en sont de bons exemples.
Mais encore faut-il adopter des politiques pour éviter leur marginalisation tout en facilitant leur entrée sur le marché du travail.
Le spectre d'une catastrophe économique est aussi évoqué par plusieurs politiciens pour s'opposer à l'arrivée de ces centaines de milliers de migrants en Europe.
Leur argument? Ils voleront des emplois aux Européens dits de souche, sans parler des sommes gigantesques que les États devront dépenser pour les intégrer dans les prochaines années.
Les deux arguments semblent logiques, n'est-ce pas? Eh bien, les économistes les ont taillé en pièces, rapporte le quotidien Le Monde.
Le spectre d'une catastrophe économique n'est pas fondé
Selon eux, les migrants sont une chance et non pas une menace pour l'économie européenne. Oui, oui, une chance.
Pourquoi? Parce que sur une longue période, l'immigration est un facteur positif pour la croissance économique et les finances publiques, rappelent unanimement les économistes.
Par exemple, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a analysé le cas du Royaume-Uni. Après l'élargissement de l'Union européenne en 2004 à des pays d'Europe orientale comme la Pologne, le Royaume-Uni a accueilli un million d'immigrés en quelques années.
En bien, cela n'a ni fait bondir le taux de chômage ni fait chuter le niveau du salaire moyen dans ce pays, affirment les économistes de l'OCDE.
La raison est simple: dans la plupart des cas, les migrants veulent travailler et offrir une meilleure vie à leurs enfants. Ce sont donc des gens qui vont consommer, se loger et contribuer à la création de la richesse dans le pays où ils vont s'installer.
L'arrivée massive de migrants représente aussi une occasion pour les entreprises européennes.
Par exemple, en Allemagne, plusieurs entreprises pâtissent d'une pénurie de main-d'oeuvre en raison du déclin démographique de ce pays.
Or, la diminution de la population active menace à terme le dynamisme économique de l'Allemagne. C'est notamment pourquoi ce pays s'est montré si généreux envers les migrants qui affluent en Europe: il en a besoin.
Bien entendu, à court terme, les États européens devront dépenser des centaines de millions de dollars pour accroître et bonifier leurs infrastructures, et ce, des logements aux écoles.
Mais à long terme, il s'agit d'un investissement, insiste le magazine The Economist.
Bien entendu, cette crise ne peut pas perdurer encore des années. Il faut stabiliser la situation, pour revenir à des flux migratoires plus réguliers et contrôlés, font remarquer des analystes.
C'est pourquoi les pays d'Europe et du Moyen-Orient (où sont localisés la majorité des réfugiés syriens) ont tout intérêt à trouver une solution à la crise qui sévit en Syrie depuis le printemps arabe de 2011.
Il faut aussi aider financièrement des pays comme le Liban, la Jordanie et la Turquie qui ont déjà accueilli des centaines de milliers de réfugiés.
Mais d'ici là, l'Europe devra encore accueillir sur son sol des migrants.
Reste à savoir quelle sera la réponse collective des Européens face à cette crise migratoire sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Feront-ils preuve d'ouverture ou de fermeture?
Le 31 août, la chancelière allemande Angela Merkel a mieux résumé que quiconque l'enjeu fondamental de cette crise.
«Les droits civils et universels ont été jusqu'à présent étroitement liés à l'Europe et à son histoire, en tant que principes fondateurs de l'Union européenne. Si l'Europe échoue dans la crise des réfugiés, ce lien avec les droits civils sera rompu.»
Voilà pourquoi l'Europe se trouve a un point de bascule.