BLOGUE. Pierre Duhaime, pdg de SNC-Lavalin, a démissionné. Ce geste marque la conclusion du premier chapitre d’une saga qui dure depuis plusieurs semaines.
Celle-ci a débuté avec des allégations de pots-de-vin en Libye pour un montant d’une trentaine de millions de dollars. Après enquête, on apprend que cette somme s’élèverait plutôt à 56 M$ et elle ne serait pas nécessairement reliée à la Libye. Il s’agirait de fonds utilisés pour payer des “agents” à l’étranger. Cette somme aurait été soumise au chef de la direction financière ainsi qu’au président du conseil qui ne l’aurait pas autorisée. En dépit de cela, Pierre Duhaime aurait permis cette dépense.
Je résume: une somme de 56M$, sans aucun lien apparent avec les projets de SNC, aurait été dépensée sans autorisation. Et l’usage pour lequel celle-ci aurait été dépensée contreviendrait au code d’éthique de SNC.
À quoi peut-on s’attendre pour le chapitre 2 de cette saga? J’ai posé la question à Richard Leblanc, expert en gouvernance à l’Université York.
Q: Il doit y avoir beaucoup de gens nerveux aujourd'hui?R: Des administrateurs doivent dire à leur pdg, “Je n’irai pas en prison pour des contrats!” et des pdg doivent dire à leur équipe de direction, “ Si l’un de vous a autorisé le paiement de sommes qui ressemblent de près ou de loin à des pots-de-vin, j’exige de la savoir immédiatement!” On peut comparer “l’effet SNC” à “l’effet BP”. Après le déversement, de nombreuses sociétés prétrolières se sont soudainement inquiétées de la sécurité et de la fiabilité de leurs installations.
Q: Pourquoi s’en faire, SNC est canadienne et le Canada n’a pas de loi sur la corruption?
R: Non, mais les États-Unis ( SEC whistleblowing act & Foreign corrupt act ) et la Grande-Bretagne ( UK Bribary Act ) ont voté des lois musclées qui ont le bras long. Aux États-Unis, par exemple, les informateurs ( whislteblowers) n’ont plus à avertir d’abord l’entreprise concernée, ils peuvent se rendre directement à la SEC. Ce qui augmente d’un cran le niveau de risque auquel sont exposés les directions et les conseils qui “ne savent pas”.
Q: “L’ incident SNC” aura-t-il des répercussions chez d’autres conseils de sociétés canadiennes?
R: C’est inévitable. Les conseils sont confrontés à deux tendances opposées. D’une part, les entreprises canadiennes mènent de plus en plus d’affaires dans les pays émergents. C’est là que se trouve la croissance et les occasions d’affaires. Mais, ces pays ont une culture d’affaires et des contrôles qui n’ont rien à voir avec les nôtres. Pendant ce temps, les organismes réglementaires durcissent leurs positions et abaissent leur seuil de tolerance face à la corruption. Sans compter qu’ils introduisent des mesures qui personnalisent de plus en plus la responsabilité des administrateurs et des dirigeants. Les conseils se trouvent dans une position de plus en plus inconfortable. Ils doivent se protéger.
Q: Quelles leçons les conseils devraient-ils tirer de ce dérapage?R: 1- Ne prenez pas tout ce que votre PDG vous dit pour paroles d’Évangile. Vérifiez!
2- En matière d’éthique et de corruption, il faut revenir à la base. Le conseil n’a pas besoin de rapports volumineux qui noient le poisson. Il a surtout besoin de réponses claires à des questions simples:
-quel est le montant du paiement?
-quel est la nature du paiement?
-dans quel pays est-il fait?
-qui a reçu ce paiement?
-pourquoi paie-t-on cette personne?
3- Un conseil ne peut pas plaider l’ingnorance comme défense. Il a la responsabilité et l’autorité de savoir. Mais… il ne peut pas tout savoir. C’est pourquoi il doit user de son autorité pour exiger des comptes, pour recruter des spécialistes et solliciter des avis extérieurs.
4- Les entreprises canadiennes “globales” n’ont pas de conseils “globaux”. Il est temps qu’elles en aient.
5- Si une entreprise et son conseil choisissent de mener des affaires dans un pays à risque, elle doit adapter ses contrôles à la réalité de ce pays.
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Lire ma chronique précédente portant sur GE qui ramène sa production du Mexique au Kentucky.