«Un PDG doit savoir combiner ce qu’il juge important et ce que son interlocuteur estime intéressant. Les bons communicateurs intègrent l’information qu’ils souhaitent passer à travers des histoires captivantes.»–Peter Weissman, expert en communications et fondateur de Thought Leaders
Peter Weissman a d’abord été journaliste. Il fut ensuite rédacteur de discours au Sénat américain. Aujourd’hui, il écrit encore ceux des PDG du Fortune 500. Il enseigne aussi à converser avec les parties prenantes au lieu de faire des déclarations. «Lorsqu’un dirigeant fait des déclarations, il ne laisse aucune place à ses interlocuteurs. Si on ne vous laisse pas de place, vous ne vous sentez pas concerné. Vous pouvez même sentir qu’on vous regarde de haut ou qu’on vous impose quelque chose. Personne n’aime se faire traiter ainsi.»
Peter Weissman était de passage à l’Université Concordia jeudi pour participer au CEO Summit, une conférence de deux jours centrée sur les enjeux de communication des dirigeants. Je lui ai demandé pourquoi communiquer semble si douloureux pour de tant de dirigeants. Comment faire pour éviter les erreurs de débutants? Voici l’essentiel de cette conversation fort agréable. Ma conclusion: chaque dirigeant devrait avoir un Peter Weissman dans sa vie!
Quels sont les problèmes précis des entreprises qui vous consultent?
L’appel provient généralement du directeur des communications. Il nous dit:
-«Notre PDG doit améliorer sa façon de communiquer, car nous ratons des occasions d’affaires et nous reculons»;
-«Nous avons un nouveau PDG. Il communiquait bien dans son rôle de vp, mais il a besoin d’une mise à niveau»;
-«Personne ne nous connaît en Chine»;
-«Nous sommes vus comme un fabricant de produits, nous voulons être considéré comme un fournisseur de solutions» ;
«Notre PDG n’arrive pas à inspirer notre personnel»;
-«Lorsque notre PDG prend la parole à l’extérieur de l'entreprise, il n’arrive pas à transmettre tout le potentiel de notre organisation.»
Prenons le cas d’un PDG dont les discours ne soulèvent pas l’enthousiasme des employés… Le succès d’un discours repose sur trois variables: le contenu, l’adéquation avec le public cible et le contenant. Peut-être que le dirigeant n’emploie pas les bons mots ou les bonnes métaphores. Peut-être qu’il est mal informé de ce que ses employés pensent vraiment de l’entreprise, ce qui mine sa crédibilité. Peut-être a-t-il des tics de langage ou bouge-t-il trop ou pas assez. Peut-être s’accroche-t-il à sa présentation PowerPoint au lieu de raconter une histoire.
Pourquoi tant de PDG partagent-ils un contenu ennuyeux au lieu d’un contenu excitant?
Un PDG doit savoir combiner ce qu’il juge important et ce que son interlocuteur estime intéressant. Les bons communicateurs intègrent l’information qu’ils souhaitent passer à travers des histoires captivantes. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un interlocuteur préoccupé par le sujet B s’intéresse au sujet A. Et ça, le dirigeant doit le savoir avant d’amorcer la conversation. Son équipe doit le préparer. À la Maison-Blanche, chaque matin à 10h, nous avions une rencontre informelle avec l’attaché de presse pour l’informer des sujets d’intérêt du jour des médias. Ainsi, il pouvait élaborer le contenu de la conférence de presse quotidienne et préparer le président à la période de questions.
Parlons du PDG de United Airlines. Vouliez-vous vous arracher les cheveux en entendant ses déclarations des premières heures suivant la crise?
(rires) Des échecs de communication aussi retentissants, il y en a tous les mois. Chaque fois je me pose les questions suivantes :
-le patron manquait-il d’information?
- a-t-il été mal conseillé?
-a-t-il ignoré les bons conseils qu’on lui a donnés?
-a-t-il sous-estimé le sérieux de la situation?
-a-t-il écouté ses avocats et démontré le moins d’empathie possible pour ne pas se commettre? A-t-il choisi de limiter ses interventions et attendre que ça passe?
En général, une crise devient une crise parce qu’il existe des précédents. On ne vous crucifiera pas parce que vous avez manqué de jugement dans le traitement d’un client. On vous crucifiera parce que vous avez un historique de mauvais service. L’incident devient la goutte qui fait déborder le vase.
Comment aurait-il dû communiquer?
Son premier message fut destiné à ses employés. Il a pris leur parti. Ce n’était pas sage face aux clients. Une entreprise a plusieurs publics. En situation de crise, la direction doit s’assurer d’avoir l’information suffisante avant de prendre position. Et le PDG doit communiquer comme un humain conscient que d’autres humains sont affectés et non comme une entité qui cherche à se déresponsabiliser.
Comment une entreprise devrait-elle communiquer pendant une crise?Partez du principe que tout finit par se savoir. Sachant cela, un seul principe importe: assurez-vous que tout ce que vous dites au cours des premières heures/jours de la crise sera encore vrai lorsque toute la vérité sera connue.
Vous enseignez aux dirigeants à devenir des leaders d’idées (thought leaders). Pour un journaliste, cela semble un mot-valise…
Pas du tout, ce concept inclut des actions concrètes. Un leader d’idées reconnaît ouvertement que quelque chose ne tourne pas rond avec son secteur. Il énonce pour l’avenir des idées qui soulèvent l’intérêt, suscitent l’engagement et changent le cours des choses (disrupt). Ses idées amorcent des conversations avec des interlocuteurs qui ne lui auraient probablement pas parlé jusque-là. Le leader d’idées change la perception que l’autre avait de lui, de son entreprise, de l’avenir du secteur. Il ne convertit pas toujours son interlocuteur, mais ce dernier prendra désormais en considération son point de vue.
Le leader d’idée sait parler… Mais agit-il?
C’est essentiel. On devient un leader d’idée en respectant trois étapes. D’abord, articuler clairement une vision précise du futur. «Nous vivrons dans un monde d’automobile sans conducteur», «L’argent comptant disparaîtra». Ensuite, poser une action cohérente avec cette vision. Un investissement important, par exemple. Les gens se mettent à en parler. Les médias s’y intéressent. Il faut alors bâtir la communication intelligemment autour de ce projet et de ses retombées. Toujours en allant au-delà de l’information pour rattacher le projet à une vision et des objectifs plus vastes.
Donnez-moi l’exemple d’un leader d’idées
Larry Merlo, le PDG de la chaîne de pharmacies CVS. Toutes les pharmacies se sont diversifiées pour devenir des grands magasins. Mais, en observant les enjeux énormes du secteur de la santé, Larry Merlo a conclu que l’avenir de son entreprise serait plus prometteur dans ce secteur que du commerce de détail. Ça, c’était son énoncé du futur. CVS a donc ajouté, entre autres, des minicliniques. Mais Larry Merlo savait que tant qu’il vendrait des cigarettes il ne se ferait pas prendre au sérieux par les acteurs de la santé. Il a donc cessé. CVS a perdu 1G$ par année. Cette action a démontré le leadership de CVS et son sérieux. Elle a attiré énormément d’attention. On a compris que quelque chose d’important se passait dans cette entreprise. Du coup, des parties prenantes en santé qui ne se seraient jamais associées à CVS se sont rapprochées de Larry Merlo. Et les concurrents de CVS, eux, ont perdu du terrain.
Vous avez travaillé avec des politiciens et avec des gens d’affaires, quel groupe pose le plus de défi pour la rédaction de discours?Les conséquences de leurs paroles ne sont pas les mêmes. Un politicien peut dire ce qu’il veut, les conséquences pourraient ne pas se faire sentir avant des années, selon l’horizon des prochaines élections. Lorsqu’un PDG parle il peut perdre son emploi le jour même, si ça nuit au titre ou si ça entraîne une crise de réputation.
Quel service vous demande-t-on le plus?
On nous embauche généralement pour écrire un discours jugé très stratégique pour l’entreprise.
Quel service les entreprises auraient-elles avantage à utiliser davantage?
Du coaching pour la livraison du discours. Et des idées pour faire porter leur message au-delà d’un seul discours.
Une erreur commune à la majorité des discours?
Je vous en donne deux. On couvre trop de sujets. Un discours porte lorsqu’il se concentre sur un message. Si un PDG désire aborder plusieurs sujets, il doit s’assurer de les regrouper sous un thème central. Et puis, à l’ère du storytelling, on doit cesser les discours et raconter des histoires.
Et les blagues?
Hum… je recommande plutôt de raconter une anecdote drôle pour illustrer ce que vous voulez exprimer. On réagit de façon binaire à une blague: on rit ou on ne rit pas. On peut ne pas rire de la chute d’une anecdote. Mais on peut tout de même apprécier le récit.