C'est d'abord à un autre thème que j'avais initialement consacré cette chronique, mais comment ne pas associer mon stylo aux millions, qui se sont déjà levés un peu partout dans le monde, après les tristes événements qui ont ébranlé la France il y a quelques jours... Dire que j'ai été bouleversée serait un moindre mot. Le sentiment ressenti est plus profond, plus intense et plus douloureux. Peut-être parce que je suis immigrée, peut-être parce que j'évolue dans une structure familiale et un environnement professionnel dont je ne cesse de vanter la richesse multiculturelle et multiethnique. Peut-être aussi parce que je ne suis qu'un être humain en quête d'amour et de partage et que je sens notre petite planète complètement démunie face à de telles démonstrations d'incompréhension, de violence aveugle et de barbarie.
Des citoyens s'expriment un peu partout dans le monde, y compris ici. Des policiers, des philosophes, des artistes, des économistes, des psychologues et des politiciens donnent leur avis, commentent et critiquent même parfois la politique de la France en suggérant des pistes de solutions. J'entends toutes sortes de choses. On parle d'immigration, mais ne sommes-nous pas, pour la grande majorité d'entre nous, des immigrés, même si ça remonte parfois à quelques générations ? On parle d'inégalités, mais même si l'on devient pauvre ou riche plus rapidement de nos jours, ces inégalités existent depuis la nuit des temps. On évoque aussi la politique d'intégration des immigrés, de la France en particulier, en omettant de mentionner que ce processus implique deux parties : le pays d'accueil bien sûr, mais aussi la personne qui a choisi, la plupart du temps en connaissance de cause, de s'y installer. La moindre des choses, me semble-t-il, serait d'accepter et de respecter les us et coutumes d'un pays qui en le recevant lui a aussi permis de fuir la misère, l'oppression et parfois même la torture et la mort.
Si vous êtes confortablement installé dans votre salon, admirant les eaux du lac Saint-François ou du Saint-Laurent au travers de votre baie vitrée, il est évident que vous ne pouvez pas évoquer l'art du «vivre ensemble» de la même manière que si habitiez un appartement dans certaines villes de la banlieue parisienne. La cohabitation y est difficile, le quotidien incertain et l'insécurité omniprésente. Une chose est sûre, c'est que nos frontières ne sont pas étanches et que, désormais, nul n'est à l'abri de tels débordements. Les tristes événements survenus il y a peu de temps à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa en sont la démonstration éclatante.
Une grande ignorance
Mais quelle est la solution ? Le monde entier s'interroge. Il n'y a pas de solution miracle, et même si je suis consciente que beaucoup de choses doivent être améliorées dans les processus d'immigration, d'intégration, de surveillance ou encore de sécurité, je reste persuadée que l'une des voies à suivre est celle de l'éducation et de la culture. Les actes barbares qui ont été commis à Paris ne sont que les conséquences d'une grande ignorance. Ignorance de l'islam au nom duquel ils ont été perpétrés, car l'islam est avant tout une religion de paix et de lumière. Ignorance des valeurs les plus fondamentales qui devraient animer tout être humain : l'amour, le respect, la bienveillance, la fraternité, mais aussi celle qui a été le plus chèrement gagnée et que nous nous battons toujours pour préserver : la liberté.
La réponse est probablement politique, mais elle est surtout citoyenne. Les Français l'ont démontré. Ce sont eux qui ont pris le pouvoir le 11 janvier avec cette manifestation historique aux répercussions internationales. Plus de quatre millions d'entre eux, toutes couleurs et toutes religions confondues, sont descendus dans la rue pour dire qu'ils n'avaient pas peur, qu'ils se tenaient debout pour protéger leur liberté. Un mot mille fois scandé par des millions de personnes, parce que porte-étendard des valeurs essentielles du «bien-vivre ensemble» dans un pays fort, prospère et en paix : liberté de pensée, liberté d'expression, liberté de religion, liberté de création, mais aussi liberté d'entreprendre. Chaque jour, des commerces et des PME ferment leurs portes en France, dans certains quartiers, à cause d'une insécurité et de violences qui non seulement mettent en péril la vie de leurs propriétaires, mais qui font fuir les derniers clients déjà devenus rares depuis longtemps. L'impact de l'intégrisme et du terrorisme a des conséquences dramatiques sur la vie économique locale, nationale et internationale. Un impact dramatiquement disproportionné lorsqu'on sait que les attentats sont la plupart du temps commis par une poignée d'illuminés.
Si le slogan «Je suis Charlie» a fait le tour de la planète, si des Brésiliens, des Anglais, des Américains, des Italiens, des Jordaniens l'ont scandé, ce n'était pas juste par solidarité, compassion, amour ou fraternité... C'est aussi une manière pour eux de se responsabiliser, même s'ils se trouvent à des milliers de kilomètres de ces drames épouvantables. Nous avons tous le devoir de rester debout et de nous battre face à la montée de ce mouvement qui, je le crains, continuera à faire d'autres victimes innocentes.
Au lendemain de la tuerie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo, la une du journal français Libération se limitait à un seul mot : résister. Le verbe était écrit à l'infinitif, pour nous inviter à résister à cette montée dramatique de l'intégrisme, bien sûr, mais aussi à résister face à la haine, à l'envie de représailles ou à la tentation facile de faire des amalgames. Alors, résistons !
En présentant mes condoléances aux familles de victimes, j'aimerais aussi saluer le travail remarquable de la police et cet extraordinaire élan du peuple français qui a su faire vibrer le monde et peut-être éveiller nos consciences.
Pour conclure, je me contenterai de vous livrer une pensée attribuée à Voltaire : «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.»
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.