BLOGUE. J’ai failli m’étouffer la semaine dernière en lisant un reportage dans le New York Times, qui faisait les louanges de l’inflation. Pire, il le faisait en citant des économistes réputés.
«Des prix en hausse aident les sociétés à faire plus de bénéfices; des salaires en hausse aident les emprunteurs à rembourser leurs dettes», pouvait-on y lire.
«L’inflation encourage aussi les gens et les entreprises à emprunter de l’argent et à le dépenser plus vite.»
De quoi donner des frissons pour qui a vécu le contexte économique des années 1970.
Ce qu’on décrit de façon subtile, c’est le début d’une spirale inflationniste. Évidemment, comme bien des arguments provenant de supposés grands experts, on ne mène pas le raisonnement bien loin, pas assez en tout cas pour voir le résultat final.
En 1974, l’indice des prix à la consommation a grimpé de 12,3% aux États-Unis, ce qui aurait dû provoquer une économie florissante, selon cette thèse. Mais non, la croissance a été négative, phénomène appelé «stagflation», probablement le pire scénario économique qu’on peut imaginer.
Une illusion
Des prix en hausse peuvent donner lieu à ce qui semble être une activité économique accrue. Mais ce n’est qu’une illusion et fort dangereuse avec ça. Lorsque l’inflation grimpe constamment, jusqu’à ce qu’on en perde le contrôle, tout le monde (entreprises, individus, etc.) doit ramer plus fort pour rester au même endroit.
De plus, l’idée que les entreprises font plus de bénéfices lorsque les prix montent est un leurre. Pour la grande majorité (en particulier, celles dont les activités exigent des investissements importants en immobilisations), c’est exactement l’inverse. Le fait que les marges bénéficiaires des entreprises est à un sommet actuellement alors que le taux d’inflation est très bas devrait faire réfléchir ces économistes.
L’inflation est une façon sournoise d’appauvrir pratiquement tout le monde à long terme.
Qu’on en fasse la promotion est un signe des temps qui sont marqués par une croissance économique décevante et par un taux de chômage élevé. Lors des 12 derniers mois, l’inflation a été de seulement 1,2% aux États-Unis, ce qui est une très bonne nouvelle selon moi.
Or, on fait le lien entre faible croissance et faible inflation, et on conclut que le dernier entraîne le premier. Ouf…
Il n’y a rien de bien catastrophique à ce que des économies matures comme celle des États-Unis et celle du Canada affichent une croissance de 2-3% par année (croissance réelle, soit après inflation). Leur demander de croître plus de façon soutenue c’est un peu comme demander à un vieillard de courir un marathon!
Toutefois, cela ne fait pas l’affaire des politiciens et autres leaders (comme ceux des banques centrales) qui y voient un affront à leur compétence (le politicien y voit surtout un obstacle pour sa réélection).
Évidemment, le facteur le plus désolant est certes le taux de chômage élevé. Sur ce point, il ne faut pas oublier que la crise de 2008 a ébranlé profondément les économies occidentales. Et, même si on est pressé, on ne s’en remet pas avant près d’une décennie. On est sur la bonne voie.
De plus, la capacité de la croissance économique de réduire le taux de chômage a ses limites. Car le chômage élevé a d’autres causes.
Reste que relancer l’inflation est loin d’être une solution intelligente. C’est un remède qui a plus de chances de tuer le patient que de le guérir.
Bernard Mooney