BLOGUE. Si vous êtes le moindrement en contact avec un amateur de jeu vidéo, vous vous êtes presque assurément fait rabâcher les oreilles au cours des derniers jours à propos du lancement, mardi, de Call of Duty: Modern Warfare 3.
Le domaine des jeux vidéo est sujet aux petits cultes. On peut voir des files se former en pleine nuit devant des magasins environ quatre ou cinq fois par année dans l'espoir d'être les premiers à mettre la main sur un nouveau titre. Mais aucun de ces cultes n'est aussi puissant que celui envers Call of Duty.
Laissez-moi ici raconter une petite tranche de vie qui en témoigne.
Dans mes temps libres, je suis entraîneur d'une équipe de hockey pee-wee, formée de jeunes de 11 et 12 ans. Même si je ne teste plus régulièrement des jeux vidéo comme je le faisais encore jusqu'à tout récemment, ces jeunes joueurs ont appris, de la bouche d'amis que j'ai entraînés au cours d'années précédentes, que ce fut mon métier.
Depuis le tout début de la saison, en août, il ne se passe à peu près pas une fois où je les vois et où ils ne me posent pas une question sur le prochain « CoD » (prononcez « code »), ou encore, exceptionnellement cette année, sur son rival Battlefield 3. Même si le jeu est sensé être réservé aux joueurs âgés de 17 ans et + (c'est un autre débat…), c'est de loin le jeu devant lequel ils passent le plus de temps. Plus même que devant la série NHL, et ce sont pourtant de jeunes mordus de hockey.
Mardi soir, ces jeunes avaient un entraînement en gymnase. Avant le début de la séance, il a fallu que l'entraîneur spécialisé prenne la peine de leur préciser qu'il ne voulait absolument pas entendre parler de « CoD » pendant l'entraînement d'une heure. En échange, ils pourraient quitter deux minutes plus tôt pour aller jouer. Ils étaient tous très heureux. Malgré tout, il régnait durant toute l'heure une certaine fébrilité digne de la première neige.
À écouter leurs histoires, je devine facilement que les prochaines semaines vont être consacrées presque entièrement à faire augmenter le niveau de compétence de leur personnage en ligne. Le niveau de ces personnages sert vraisemblablement de mesure du succès absolue dans la cour d'école. Fin de la tranche de vie.
Il n'y a pas que les enfants que ça intéresse à ce point, d'ailleurs. Faites-le test autour de vous. Y avait-il un collègue « malade » mardi? Ce ne serait même pas étonnant.
Une vache à lait
Bref, le succès commercial de Call of Duty est assuré pour cette année, et sans aucun doute pour l'an prochain aussi. Mais ce qu'il y a de plus drôle pour les actionnaires de son éditeur, Activision, c'est que Call of Duty est un jeu qui est arrivé à maturité il y a un bon moment déjà.
L'épisode lancé mardi est déjà le huitième de la série, qui revient chaque année au mois de novembre, comme une horloge. J'ignore bien sûr les coûts de développement précis, mais on devine à regarder l'évolution relativement mineure, d'année en année, qu'ils ne sont pas aussi importants que pour d'autres séries qui ont à se réinventer davantage d'un épisode à l'autre.
Et ce n'est pas tout: il y a encore mieux. Cette année, Activision a accentué le volet « en ligne » de sa série, et son potentiel de revenu, en lançant en même temps que le jeu un service spécialisé en ligne par abonnement, baptisé « Call of Duty Elite ». Ce dernier offre un paquet de services auxiliaires aux joueurs. Si on compare le fait de jouer en ligne à Call of Duty en ligne comme un sport organisé, ce qu'il est un peu devenu nonobstant les fesses bien écrasées sur le divan, le service « Elite » est un peu l'équivalent du bureau des statistiques de la ligue.
Activision ne se contentera donc plus d'engranger des centaines de millions de dollars en quelques heures à la sortie de chaque épisode, mais pourra continuer de traire mensuellement les plus dédiés parmi ses millions de clients.
La méthode WoW
Il faut dire que c'est un modèle que l'entreprise connaît. Depuis 2007, Activision appartient à Vivendi, qui détenait LE jeu le plus rentable jamais produit (ceci dit sans données fixes, mais avec un bon niveau de certitude): World of Warcraft (WoW). Celui-ci est essentiellement un univers virtuel dans lesquels les joueurs collectionnent quêtes et accessoires.
Non seulement paient-ils leur copie du jeu, ils paient aussi chaque mois pour accéder à l'univers virtuel et ressortent encore leur portefeuille à l'occasion pour se procurer des items virtuels qui vont les aider dans le jeu. Ajoutez à cela le fait qu'il s'agit, et de loin, du jeu le plus addictif jamais produit, au point de créer de véritables problèmes de dépendance. C'est un peu le modèle vers lequel on oriente progressivement Call of Duty, addiction en moins pour l'instant.
Certains analystes reprochent à l'entreprise d'être très (très) dépendante de ces seuls deux titres. Activision publie en effet toute une collection de jeux, mais ceux-ci sont la plupart du temps marginaux, même sans les comparer aux deux autres. Leur qualité est souvent ordinaire. On doute même qu'il y en ait beaucoup qui soient véritablement rentables dans le lot. C'est par exemple le cas de Spider-Man: Edge of Time, la dernière oeuvre du studio local d'Activision, celui de Beenox à Québec, qui avait heureusement fait mieux le coup précédent.
Cette dépendance est bien réelle, mais à ce compte, la plupart des entreprises ne le sont-elles pas? Apple dépend très fortement de l'iPhone et du iPad. Microsoft, de Windows et Office.
On croyait cette année que l'un de ces piliers, celui de Call of Duty, vacillerait en raison de la concurrence exceptionnellement forte, point de vue qualité, de Battlefield 3, produit par le rival Electronic Arts. Ce dernier semble avoir bien fait en termes de ventes (on n'en aura la confirmation que plus tard), mais à voir la folie qui s'est emparée des amateurs et même du public en général cette semaine, le pilier ne sera vraisemblablement qu'égratigné, au mieux.
À lire aussi: L'éditeur de « Call of Duty » roule sur l'or