BLOGUE. On ne corrige pas une erreur par une erreur et, en ce sens, le CRTC a probablement bien fait de refuser à Bell le droit d'acheter Astral. Mais la partie n'est certainement pas terminée.
Ce grand coup sur la table donné, les pièces du casse-tête semblent soudainement éparpillées. Comment se replaceront-elles?
D'abord, Bell n'a manifestement pas dit son dernier mot, comme en témoigne son appel à une intervention gouvernementale. Une telle intervention semble toutefois peu probable, pour au moins deux raisons. D'abord, ledit gouvernement a nommé Jean-Pierre Blais, qui est entré en poste à titre de président du CRTC il y a à peine quatre mois. Ce serait tout un désaveu que de renverser sa première décision d'importance.
Ensuite, certains indices laissent croire que le Bureau de la concurrence, qui doit lui aussi donner sa sanction à la transaction, est lui plutôt tiède. Il serait malvenu pour le gouvernement d’infirmer une décision du CRTC pour ensuite voir le Bureau de la concurrence la réinstaurer. Et encore plus mal avisé de renverser à son tour le Bureau de la concurrence.
Bell pourrait aussi faire appel de la décision à la Cour d'appel fédérale. Mais on s'embarquerait alors dans un long processus, qui impliquerait ensuite vraisemblablement la Cour suprême. Or, les transactions financières de cette envergure endurent mal les délais, particulièrement dans un domaine qui peut changer rapidement.
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La porte n'est pas fermée
Il y a au moins une autre possibilité pour Bell : proposer une nouvelle acquisition qui ne viserait que certains actifs d'Astral, même si cela signifie de reprendre le processus à zéro.
Le CRTC et son président ont clairement laissé savoir qu'ils n'étaient pas disposés, contrairement à ce que l'on aurait pu penser, à décider eux-mêmes quelles divisions de l'une ou l'autre des deux entreprises devraient être liquidées pour rendre la transaction digeste. Si Bell revient avec une transaction mieux circonscrite, qui apaise les craintes les plus pressantes, la réponse pourrait être différente. Surtout si le géant ajuste son comportement face à l'organisme réglementaire, notamment en n'arrivant pas avec des projets de dernière minute.
Un appel aux frères Rémillard
Si Bell devait déclarer forfait en ce qui concerne Astral, il y a fort à parier que le téléphone de Maxime Rémillard, propriétaire avec son frère de V, sonnera rapidement.
La rumeur d'une acquisition de l'ex-TQS par Bell court depuis des années, tout simplement parce qu'elle tombe sous le sens depuis des années. Cette emplette n'aurait absolument rien de l'ampleur de celle impliquant Astral, mais elle permettrait néanmoins à Bell de se doter d'un levier québécois dont elle a bien besoin pour rivaliser avec Québecor dans le marché francophone.
Il y a toutefois un gros piège qui se profile derrière l'achat de V par Bell. La station dispose d'une importante exemption du CRTC en ce qui concerne les bulletins de nouvelles. Cette exemption a été accordée afin de permettre à la station, en faillite, de se relever. Avec les exigences régulières associées à une chaîne généraliste, l'espérance de profits pour V chute dramatiquement. Avec les poches profondes de Bell en arrière-plan, pas sûr que l'exemption tienne bien longtemps. Quoique le CRTC pourrait concevoir en « devoir une » à Bell.
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Qui pour Astral?
Et qui achèterait Astral? En espérant que la réponse soit canadienne, les candidats potentiels sont rares et connus : Rogers d'un côté, le tandem Cogeco-Corus de l'autre. Les dirigeants d'Astral se sont un peu trop commis en faveur de la transaction avec Bell, notamment en affirmant que l'entreprise devait être vendue pour survivre, pour qu'elle reste indépendante ou qu'elle soit achetée par un fonds d'investissement, par exemple.
Théoriquement, on pourrait aussi compter Telus, mais celle-ci a maintes fois affirmé au cours des dernières années qu'elle entendait rester concentrée dans les télécommunications et qu'elle n'était pas intéressée par l'intégration verticale, aussi à contre-courant que puisse paraître l'idée. Disons que ce serait là tout un revirement de situation.
Et Québecor?
Quant au rival Québecor et à sa très importante présence au Québec, il est trop tard pour que le CRTC n'intervienne. Mais clairement, quand ils se seront relevés de l'immense fête qu'ils ont dû organiser jeudi soir, ses dirigeants devront se poser des questions sur leur propre ligne de conduite à l'avenir.
Le message du « nouveau » CRTC est clair, il y a une limite à la convergence. Tant que Québecor n'a pas à se présenter devant lui, le CRTC ne peut rien faire. Il vaut peut-être mieux ne pas ouvrir la porte...