Ils étaient huit. Huit jeunes, dans la vingtaine, provenant de chacune des grandes universités du Québec. Des étudiants en marketing, en sciences, en comptabilité, en économie, en communication ou en gestion.
Ils s'étaient mis chic pour l'occasion. L'occasion, c'était une invitation lancée par moi-même. L'objectif : donner la parole à la relève dans ce numéro spécial qui célèbre les 85 ans du journal Les Affaires.
C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés le 13 février autour d'une table ronde pour parler entrepreneuriat.
Je n'avais pas d'attentes particulières, car cela fait longtemps que nous n'avions pas organisé ce type de rencontres. Mais après deux heures de discussion, j'étais complètement emballée.
Ces jeunes ont bien conscience des problèmes du Québec pour stimuler l'entrepreneuriat, mais ils sont loin de s'apitoyer sur leur sort. Au contraire, ils ont démontré une volonté indéfectible de changer les choses.
Écoutez-les.
UNE RÉVOLUTION
«Il faut une révolution des valeurs collectives !» s'est exclamé Gabriel.
«Nous avons le pouvoir de prendre le flambeau et de faire un pas», a lancé pour sa part Jean-René.
«Regroupons-nous !» a renchéri William en lançant - rien de moins - un défi au Québec. «Dans cinq ans, il va y avoir 55 000 cédants d'entreprises et 39 000 repreneurs seulement. Nous avons un déficit de 16 000 entrepreneurs. Dans cinq ans, je veux qu'on soit à + 10 000.»
Bref, en moins de deux heures, tous ces étudiants, qui ne se connaissaient pas, étaient prêts à militer ensemble pour révolutionner l'entrepreneuriat québécois.
La rencontre avait pourtant débuté sagement.
Pour briser la glace, je leur ai demandé de me fournir une définition de l'entrepreneuriat.
«L'entrepreneuriat, c'est une question d'aventure.» (Antoine)
«L'entrepreneur doit oser faire les choses différemment.» (Arnaud)
«C'est une création de valeur pour une société.» (Jean-René)
«C'est une façon de se comporter.» (Francis)
«C'est prendre des risques.» (Kien-Van)
«C'est être un agent de changement.» (Christian)
«C'est être innovateur.» (William)
«C'est une question de courage.» (Gabriel)
Réponses intéressantes, car complémentaires. Mais c'est lorsque nous avons commencé à parler des problèmes de l'entrepreneuriat au Québec que le vilain est sorti.
L'échec n'est pas assez valorisé, a lancé William. «Dans nos cours, jamais on nous brosse le portrait de quelqu'un qui a échoué.»
«Notre génération n'a jamais connu l'échec, a appuyé Arnaud. Dès que tu coules un cours, c'est la fin du monde !»
Il faut faire des erreurs et vivre des échecs, a affirmé Christian. «Quand le jeune deviendra entrepreneur, il sera capable de se relever.»
Le groupe a acquiescé.
Pour ces jeunes, la valorisation est primordiale pour faire du Québec une terre d'entrepreneurs. Le Québec doit à tout prix faire la promotion de ce métier.
«Très jeune au primaire et même à l'université, je ne me souviens pas qu'on nous ait dit une seule fois qu'être entrepreneur était une carrière possible», note Francis. Vrai. On nous a tous déjà demandé si nous voulions être pompier, infirmier, coiffeur... mais rarement, voire jamais, entrepreneur !
Et même à nos âges, il y a du travail à faire. Antoine avait un bon point à ce chapitre. Il ne comprenait pas pourquoi l'entrepreneuriat dans le cadre du transfert d'entreprises n'était pas valorisé.
Il est difficile de vendre à des jeunes que reprendre une entreprise, c'est aussi de l'entrepreneuriat, a-t-il expliqué. «Dire que tu vas reprendre la firme de telle famille, ça ne sonne pas bâtisseur de demain. Pourtant, ça l'est tout autant !»
Le Québec a clairement un job de marketing à faire dans ce sens, selon ces jeunes.
Autre constat : il est difficile de garder ses idées au Québec.
«Quand on a une idée, soit on nous la copie, soit on nous l'achète à gros prix», a dit Francis.
«Le problème, c'est que les gens créent des entreprises pour faire de l'argent. Il n'y a pas d'objectif de société, mais seulement un objectif pécuniaire», a ajouté Kien-Van.
Pour Arnaud, tout est un problème d'attitude. Il a donné un exemple très concret. «Dans le discours des redevances minières, on parle de dédommagement. C'est très négatif ! s'est-il exclamé. Ça inhibe le potentiel qu'on puisse avoir plus d'entrepreneurs. Pourquoi ne pas dire qu'on va être partenaires et qu'on va s'enrichir collectivement ?»
«On a de la misère à rêver grand», a résumé Jean-René.
LES SOLUTIONS
Comme je vous le disais, notre groupe ne s'est pas apitoyé sur son sort. Il y est allé de ses solutions. Un peu en désordre, certes, mais on y trouve quelques pistes.
Francis est persuadé que «ça prend des entrepreneurs qui veulent aller plus loin que juste faire leur petit million pour la retraite».
«Ça revient à une question de motivation intrinsèque, a résumé Gabriel. Faut pas penser que, si on met en place des programmes pour aider les entreprises, ça va stimuler l'entrepreneuriat de manière importante. C'est vraiment une question culturelle. Il faut susciter un désir de faire tourner la roue et d'offrir aux autres l'occasion qu'on a eue.»
Selon Antoine, il faut compter sur soi-même. «Le gouvernement peut pallier certains manques, mais il n'est pas le mieux placé pour soutenir des projets à long terme. Souvent, le temps qu'il se décide, on est déjà dépassé par un autre pays.»
On a aussi besoin de formation et de mentorat.
«Il faut donner une formation qui permette aux élèves d'être autonomes, a expliqué Christian. Plus tard, quand la personne fera face à un problème, elle mobilisera ses stratégies intérieures, pigera la bonne et réussira.»
«Le mentorat est super, super important, a insisté William. Il faut mettre sur pied un organisme réunissant des pdg qui pourraient donner juste deux heures de leur temps et nous permettre de côtoyer les plus grands.»
«Ça prendrait un grand homme d'affaires au Québec, qui se lèverait et pourrait rassembler tout le monde !» a lancé Kien-Van.
C'est à ce moment que le groupe s'est enflammé, persuadé qu'en se mobilisant il pourrait révolutionner l'entrepreneuriat au Québec.
Jean-René s'est mis à raconter une anecdote.
«Un jour, je parlais avec une personne et je lui disais : pourquoi ne pourrait-on pas créer pas la prochaine Silicon Valley ? Cette personne m'a répondu : impossible ! Je lui ai dit : OK, c'est certain qu'on ne peut pas changer les choses du jour au lendemain, mais on peut quand même craquer une allumette !»
«C'est d'ailleurs pourquoi je suis ici aujourd'hui, ajoute-t-il. J'aimerais en quelque sorte être un peu contagieux.»
Touchant.
RÊVER MIEUX
Oui, nous avons un peu rêvé, ce mercredi 13 février. Et pourquoi pas ? «Ça en prend, du rêve», a lancé William. Il a raison.
Moi la première, je me suis laissé contaminer. J'ai même commencé à avancer l'idée que l'on pourrait se réunir une nouvelle fois. Pour faire quoi exactement ? On ne sait pas trop encore. Mais ils m'ont tous répondu : «Oui, aucun problème».
Je me suis demandé comment en si peu de temps - deux heures à peine - nous avions pu créer un tel engouement. Après y avoir pensé et repensé, j'en suis arrivée à une conclusion très simple : la communication. Ces jeunes n'avaient jamais discuté entre eux sur le thème de l'entrepreneuriat. Oui, les futurs ingénieurs échangent entre eux, les futurs comptables aussi. En fait, ils échangent au sein de leur propre université ou entre universités du même type. Mais entre toutes les universités sur un tel sujet, c'était une première.
Je ne sais pas encore où cette rencontre nous mènera. Chose certaine, «nous avons craqué une allumette», pour reprendre l'expression de Jean-René.
En voici la preuve. Lorsque le moment est venu de nous quitter, nous nous sommes salués. Je me suis alors éloignée du groupe mais, juste avant de prendre l'ascenseur, je me suis retournée. Ils n'étaient pas partis. À peine avaient-ils remarqué que je m'étais éclipsée. La discussion se poursuivait, plus animée que jamais.
Quelles sont les personnalités d'affaires que vous admirez ?
1) Jean-René Bélanger, Université de Sherbrooke
Rémi Marcoux, fondateur et administrateur, TC Transcontinental
2) Francis Bélanger, École John-Molson, Université Concordia
Gilles Labbé, président et chef de la direction, Héroux-Devtek
3) Antoine Genest-Grégoire, ESG-UQAM
Isabelle Smith et Martin Delarosbil, propriétaires, La Recharge
4) Gabriel Laroche-Johnston, École Polytechnique
Elon Muck, cofondateur, Paypal, SpaceX et Tesla Motors
5) Christian Tanguay, Faculté d'éducation permanente, Université de Montréal
Jean Coutu, fondateur et président du conseil d'administration, Le Groupe Jean Coutu
Lise Watier, fondatrice de Lise Watier Cosmétiques
6) Arnaud Desbiens, Université Laval
Louis Garneau, président et fondateur, Louis Garneau
Christian Bergeron, président, directeur général, Chaussures Régence
7) William Plamondon Huard, HEC Montréal
Régis Labeaume, maire de Québec
François Legault, fondateur et chef de la Coalition Avenir Québec
8) Kien-Van Tram, École de technologie supérieure
Jonathan Defoy, pdg de Biztree
Stéphane Marceau,
pdg de OM Signal
DES ABSENTES REMARQUÉES
Certains remarqueront qu'aucune étudiante ne faisait partie de notre groupe. «C'est déplorable qu'il n'y ait pas de filles», a d'ailleurs dit l'un des participants. Ce n'était pas un critère.
Nous avions demandé aux universités de lancer un appel à tous pour trouver un représentant. Pas de chance, pas de filles. Une prochaine fois ?