Négocier une augmentation de salaire se prépare toute l'année durant. Et c'est à la toute fin que vous devez jouer vos cartes. Habilement...
Négocier. La simple idée vous donne des maux de ventre ? Vous n'êtes pas le seul. «Nombreux sont ceux qui ne le font jamais et se contentent de ce qu'on leur offre», dit Manon Cléroux, CMA, directrice générale chez Brisson Legris, une firme de conseil en gestion de carrière. Sauf qu'au bureau comme ailleurs, qui ne demande rien n'a rien !
Mathieu, un jeune loup de la finance, l'a bien compris. Pro de la négociation, il a même imposé ses conditions pour notre entrevue : anonymat et 15 minutes au téléphone maximum ! «Pour moi, être un bon négociateur passe par la discrétion», dit-il pour expliquer son refus d'être identifié. «Dès que vous créez une situation où vous dérangez votre patron, il n'a plus envie de vous aider. J'essaie donc d'être perçu comme le gars qui s'intéresse à sa rémunération, sans avoir l'étiquette de négociateur aguerri qui joue dur sur le front.» Pas fou. Autres éléments de sa tactique : comprendre le système de rémunération de l'entreprise, connaître les pratiques des concurrents et avoir en tête ses bons coups de l'année.
La stratégie porte ses fruits. Il y a quelques années, alors qu'il était à l'emploi d'une grande firme de Montréal, Mathieu a obtenu la meilleure cote de performance possible lors de son évaluation de rendement, mais son boni l'a déçu. «Dans mon domaine, le boni compte pour plus de la moitié du salaire. J'ai indiqué à mon supérieur que je m'attendais à plus, considérant mon excellente performance et ce qui se fait sur le marché.» L'année suivante, sa prime a gonflé. «J'estime que j'ai obtenu deux fois plus que si je n'avais pas négocié.»
Côté patron
Le secret d'une négociation réussie réside dans une préparation solide. Pour présenter vos demandes de la bonne façon et maximiser les chances qu'elles soient acceptées, vous devez comprendre le point de vue de votre patron.
Évaluez l'état de votre secteur d'activité et votre entreprise. Fiez-vous aux signes qui parlent : l'acquisition récente d'équipements ou l'embauche de nouveaux employés sont de bon augure ; une restructuration financière, un peu moins.
Informez-vous également sur le système en place, afin d'éviter les demandes gênantes et irréalistes. «Plus vous connaîtrez les politiques de rémunération de votre employeur, mieux vous serez en mesure de parler son langage», estime Marc Chartrand, CRHA, associé chez PCI Perrault Conseil, une firme de consultation en rémunération. Inutile d'exiger un boni plus élevé, si les primes sont calculées selon une formule prédéterminée, ou une allocation de voiture, si elles sont réservées aux personnes d'échelons supérieurs au vôtre. Beaucoup de grandes entreprises utilisent des échelles salariales qui tiennent compte des salaires minimum, médian et maximum d'un poste. Plus votre salaire est bas dans la fourchette prévue, plus les chances que votre employeur vous accorde une augmentation sont grandes.
Pour avoir une idée de la marge de manoeuvre dont dispose votre patron, tentez de découvrir l'enveloppe prévue pour les ajustements salariaux, une information qui circule peut-être de manière informelle parmi vos collègues. Sinon, référez-vous aux prévisions générales.
Un coup d'oeil sur les enquêtes salariales de votre ordre ou de votre association professionnelle ou encore à l'Enquête sur la rémunération globale au Québec, réalisée chaque année par l'Institut de la statistique, vous aidera à comparer votre rétribution à celle du marché.
Je, me, moi
Une fois le contexte cerné, l'heure est à l'introspection. «Votre demande doit être appuyée sur des faits. Il faut évaluer le plus honnêtement possible votre contribution», explique Manon Cléroux. Partez des objectifs fixés lors de votre dernière évaluation et vérifiez dans quelle mesure vous les avez atteints. Vous avez réduit le coût des activités de votre service de 10 % ou avez décroché plusieurs mandats importants ? C'est le moment d'en parler.
«L'idéal, c'est de prendre des notes tout au long de l'année sur ses réalisations et accomplissements. Sinon, on se souvient surtout des trois derniers mois», souligne Michèle Perryman, CRHA, directrice principale de recherche de cadres chez Raymond Chabot Ressources Humaines.
Pensez aussi à ce qui dépasse vos objectifs. «Si les postes de votre niveau ne comportent pas de dimension stratégique, mais que vous avez quand même régulièrement épaulé votre patron sur le plan de la stratégie pendant l'année, faites-le ressortir», conseille Manon Cléroux. Même chose pour les valeurs de l'entreprise, de plus en plus importantes aux yeux des employeurs. «L'entreprise met l'accent sur l'esprit d'équipe ? Faites valoir toutes les occasions où vous vous êtes porté volontaire pour donner un coup de main à des collègues», poursuit-elle.
Mettez le tout par écrit et ayez le document en main lors de l'évaluation. «Votre supérieur y verra un signe que vous êtes sérieux et à votre affaire», estime Michèle Perryman.
À la lumière de l'analyse de votre performance et du contexte dans lequel vous évoluez, réfléchissez à ce que vous souhaitez obtenir. Pour les requêtes monétaires, calculez en pourcentage. «Si vous demandez une augmentation de 10 % et que les ajustements prévus sont de l'ordre de 3 %, vous n'avez pas nécessairement tort, mais vous pouvez vous attendre à quelques objections», illustre Manon Cléroux.
Ne vous limitez pas aux gros sous, surtout si vous vous rapprochez du haut de votre échelle salariale ou que le budget pour les augmentations est mince. Quelques idées à considérer : des jours de vacances supplémentaires, une place de stationnement, l'adhésion à un centre de conditionnement physique ou à une association professionnelle, les services d'un coach, la participation à des formations ou à des conférences, la couverture de dépenses pour faciliter le télétravail (ordinateur portable, connexion Internet à la maison, etc.), un horaire comprimé sur quatre jours...
Entre quatre yeux
Lors de l'évaluation, laissez votre patron parler le premier. «S'il vous demande de revenir sur votre année, dites que vous voudriez d'abord connaître ses impressions», suggère Manon Cléroux. À l'aide de vos notes, mentionnez tout fait d'armes qu'il aurait omis.
Présentez ensuite vos demandes avec confiance, tout en restant conciliant. Montrez votre compréhension de la situation et du système. «Par exemple, expliquez que, vu votre performance, vous aimeriez une augmentation. Mais comme vous savez que le budget est limité, vous avez aussi pensé à des mesures non monétaires qui vous combleraient, et que vous êtes convaincu de pouvoir trouver un terrain d'entente», raconte Manon Cléroux.
Vous n'obtiendrez peut-être pas tout ce que vous souhaitez, mais au moins vous aurez semé l'idée !
PLUS VERT CHEZ LE VOISIN
Un coup d'oeil au talon de chèque d'un collègue révèle que - surprise ! - il gagne plus que vous. Un argument de plus pour votre négociation ou la meilleure façon de créer des tensions ?
Dans le monde idéal de Marc Chartrand, spécialiste de la rémunération et associé chez PCI Perrault Conseil, les politiques et échelles salariales des entreprises sont publiques et la rémunération de chaque employé est confidentielle. Dans la vraie vie, les détails des chèques de paie circulent parfois. Si vous savez qu'un collègue gagne plus que vous, pouvez-vous utiliser cet argument dans votre négociation salariale ?
«Ça fait cheapette», prévient Michèle Perryman, CRHA, directrice principale, Recherche de cadres, chez Raymond Chabot Ressources Humaines. Toutes sortes de raisons peuvent justifier cet écart, ajoute-t-elle. «Ce collègue a peut-être des réalisations importantes à son actif ou il est très scolarisé.»
Julie a tout de même joué cette carte il y a quelques années, alors qu'elle travaillait en publicité. «Quelques mois après avoir été embauchée comme directrice de création, j'ai appris que des collègues qui portaient le même titre gagnaient deux fois plus que moi. Ils avaient plus d'ancienneté, mais leurs responsabilités étaient équivalentes.» Elle a affronté son patron. «Il était surpris, et cela a créé un malaise. Mais à mon avis, c'est ce qui a joué en ma faveur.» Son salaire a été revu à la hausse.
Sans endosser cette tactique, Marc Chartrand encourage ceux qui y tiennent à ne pas nommer leur collègue et à user de subtilité.
DANGER !
Certaines tactiques pourraient nuire à votre négociation. Quelques formulations et arguments à éviter.
Je travaille plus fort que le reste de l'équipe.
«Une année, 10 des 30 employés m'ont dit cela, dit Martin, directeur dans une entreprise de médias. C'est aussi subtil qu'une deux par quatre !» Il vaut mieux vous mesurer aux attentes liées à votre poste qu'aux efforts fournis par les autres.
Si vous ne me donnez pas d'augmentation, je démissionne.
«Si vous lui faites des menaces ou du chantage, votre supérieur sera tellement indisposé qu'il n'aura pas envie de vous aider», estime Manon Cléroux. Pire, il pourrait vous prendre au mot !
Je veux rouler en BMW, m'acheter un chalet, envoyer mes enfants à l'université.
Essentiellement, vous demandez à votre patron de gérer votre budget personnel. «Le train de vie des employés ne détermine pas les augmentations de salaire», affirme Marc Chartrand.