Le World Wide Web (W3C) est une organisation mondiale chargée d'établir des normes pour le Web. Sa particularité consiste à faire collaborer des entreprises concurrentes, et à les forcer à penser aux internautes avant tout. Son pdg, Jeff Jaffe, diplômé du MIT en informatique, nous expose les nouveaux défis du Web.
diane bérard - Comment le W3C peut-il contrôler le Web, compte tenu de tous les acteurs concernés et de l'introduction constante de nouvelles technologies ?
Jeff Jaffe - Notre autorité n'est pas légale, elle est morale. Elle tient à notre fondateur, Tim Berners-Lee, reconnu comme le créateur du Web. Tim a développé les trois principales technologies du réseau, soit les adresses Web, le protocole HTTP et le langage HTML. Sa présence active au sein de W3C vient cautionner nos travaux et nos décisions. Notre influence repose aussi sur notre structure, le W3C étant un consortium de 360 entreprises. Toutes les grandes sociétés qui sont influencées par le Web ou qui en tirent leur existence y sont présentes.
D.B. - Quelle est la différence entre le Web et Internet ?
J.J. - Internet, c'est la plomberie. Le Web, une application. Le Web existe depuis 22 ans et repose principalement sur le langage HTML.
D.B. - En quoi consiste le mandat du W3C ?
J.J. - Nous développons des standards afin que le Web s'adapte aux développements de la technologie. HTML est un de ces standards. Nous en comptons 50.
D.B. - Que signifie votre devise «le Web pour tous» ?
J.J. - Cela signifie «pour toutes les catégories de citoyens». Ceux qui ont des handicaps visuels, par exemple. Dans certains États, les formulaires d'impôt ne sont désormais disponibles qu'en ligne. Il faut s'assurer que les internautes non voyants puissent les remplir.
D.B. - Comment travaillez-vous ?
J.J. - Chacune des 360 entreprises membres nous «prête» ses plus brillants cerveaux. Ceux-ci sont regroupés en comités autour de différents thèmes. Nos 50 groupes de base, correspondant aux 50 standards Web, comptent 1 500 personnes. Il existe aussi 70 communautés, pour un total de 1 000 personnes, qui se penchent sur la standardisation des technologies en développement. Finalement, des groupes naissent pour répondre aux nouveaux enjeux, comme le gouvernement en ligne et le Web mobile. Tous ces groupes fonctionnent par méritocratie, tout le monde lance des idées et la meilleure gagne.
D.B. - Les Google, Facebook, IBM, Microsoft et compagnie arrivent vraiment à collaborer et à s'entendre ?
J.J. - Cela requiert beaucoup de travail ! Mais, compte tenu du niveau de difficulté, chaque victoire est satisfaisante. Et je suis plutôt fier de notre performance de ce côté. Pour atteindre le consensus, nous nous concentrons sur les aspects techniques. Nous sommes là pour trouver des réponses techniques aux problèmes techniques. Les entreprises membres souscrivent toutes au principe «d'interopérabilité». Les innovations que nous adoptons doivent s'arrimer les unes aux autres et à ce qui existe déjà. C'est ce qui fait la puissance du Web, pouvoir lire n'importe quelle page Web à partir de n'importe quelle plateforme.
D.B. - Les dossiers avancent-ils assez vite à votre goût ?
J.J. - Nous avons tous tendance à surestimer ce que nous pouvons accomplir en une journée et à sous-estimer ce qui peut être réalisé en un an. Ainsi, chaque jour, je trouve que je n'en ai pas assez fait. Mais, à la fin de l'année, je découvre un bilan plutôt encourageant.
D.B. - La mission du W3C a-t-elle changé depuis sa création, il y a 22 ans ?
J.J. - Non. Le spectre de nos interventions, par contre, s'est beaucoup élargi. Le Web influence à peu près tous les secteurs d'activité. À nos débuts, seules les sociétés informatiques étaient concernées. Puis, ce fut au tour des entreprises de télécommunications et des manufacturiers. Aujourd'hui, les fabricants de produits électroniques pour consommateurs, de semi-conducteurs, les créateurs de contenus et les éditeurs se sont joints au mouvement. Le nombre de parties concernées par le Web ne cesse de croître. Nous avons à peine effleuré le potentiel du Web dans nos vies et notre économie. Tant de dimensions sociales aussi bien que commerciales restent à explorer. Sans compter que les deux tiers de la population mondiale n'a pas encore accès au Web.
D.B. - Le Web mobile constitue-t-il votre principale préoccupation ?
J.J. - C'est déjà un «vieux» dossier ! Voilà au moins sept ans que nous travaillons à définir des standards pour la lecture des pages Web sur les appareils mobiles. Notre nouveau défi se trouve plutôt du côté de l'accès au Web par les appareils électroniques, dont votre téléviseur. Cela n'a rien à voir avec l'accès au Web par PC. Par exemple, nous trouvons tous normal de télécharger régulièrement de nouvelles versions de logiciels sur notre PC. Mais personne n'aura envie de le faire sur sa télé. Il faut imaginer un autre système.
D.B. - Et quel est votre prochain défi ?
J.J. - Nous planchons sur l'accès Web en automobile. Je ne parle pas de naviguer en conduisant. Il est plutôt question du divertissement des passagers grâce au Web. Si vous voulez connaître l'objet de nos prochaines recherches, nous n'avez qu'à jeter un coup d'oeil sur les nouveaux appareils. Chacun d'entre eux nous force à repenser l'accès au Web.
D.B. - Et votre priorité des 12 prochains mois ?
J.J. - Nous concentrons nos efforts sur le déploiement du langage HTML5. Un plan de match a été établi pour vérifier quelles entreprises et quels sites l'ont adopté ou comptent le faire. Pour l'instant, un tiers des 100 sites Web les plus fréquentés se sont déjà convertis à HTML5. Et d'ici 2016, 2,5 milliards de navigateurs Web utiliseront cette nouvelle version.
LE CONTEXTE
La version 5 du langage HTML, la norme pour créer des pages Web, se déploie présentement dans les organisations sous la supervision du World Wide Web (W3C). Le moment est propice pour évoquer les nouveaux défis du Web et de cette organisation responsable de l'encadrer.
«Les innovations que nous adoptons doivent s'arrimer les unes aux autres et à ce qui existe déjà. C'est ce qui fait la puissance du Web, pouvoir lire n'importe quelle page à partir de n'importe quelle plateforme.»
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