L’intelligence émotionnelle, la clé du mieux-être organisationnel?

Publié le 31/08/2017 à 15:10

Estelle Morin, M. Ps., Ph. D. (psychologie), Professeure titulaire, HEC Montréal et animatrice à l’École des dirigeants HEC Montréal

La professeure Estelle Morin en est convaincue! L’intelligence émotionnelle, ce concept popularisé par le psychologue, auteur et conférencier américain Daniel Goleman, est l’une des composantes essentielles du succès du leadership déployé par les cadres et les dirigeants, affirme-t-elle. L’enseignante et chercheuse en sait quelque chose, elle qui a fait de l’intelligence émotionnelle l’un de ses intérêts de recherche depuis maintenant 20 ans et le thème de l’une des formations les plus suivies à l’École des dirigeants de HEC Montréal. Nous l’avons rencontrée afin d’en savoir un peu plus à ce sujet.   

École des dirigeants: On croit avoir, souvent à tort, une juste idée du concept d’intelligence émotionnelle. Comment pourriez-vous définir ce concept?

Estelle Morin: L’intelligence émotionnelle n’est que l’une des formes de l’intelligence humaine. On peut définir l’intelligence émotionnelle comme la capacité de comprendre le sens des émotions, les siennes et celles des autres, pour faciliter son adaptation aux circonstances.

ÉDD: Dans le contexte de nos organisations modernes, que l’on souhaite rationnelles, en quoi l’intelligence émotionnelle est-elle incontournable?

EM: En psychologie, on s’accorde à dire que la rationalité est le fruit de l’affectivité, et non celui de la pensée. Les émotions sont un élément actif et immédiat, révélant le sens de ce qui se passe ici et maintenant. Les émotions que l’on ressent guident et structurent la pensée, ce qui entraîne des actions et des réactions dans le milieu dans lequel nous évoluons.

Ne pas reconnaître le sens des émotions ou ne pas les réguler lorsqu’elles sont trop fortes peut engendrer des comportements déraisonnables. Lorsque l’on fait fi des émotions, on se prive d’une partie de l’information critique en vue de l’adaptation efficace aux exigences du milieu. Car les émotions ne mentent jamais, et donnent de l’information authentique sur ce qui importe ici et maintenant. On peut se raconter des histoires sur ce qu’on éprouve, mais les émotions que nous ressentons nous donnent l’heure juste. On peut ne pas vouloir voir les émotions de son interlocuteur, pour toutes sortes de raisons. Mais si on veut être capable d’avoir des relations harmonieuses et fructueuses, il sera plus efficace de reconnaître et de réguler ses émotions et les siennes. Voilà pourquoi l’intelligence émotionnelle est très importante, et notamment pour ceux qui sont en situation d’autorité. Le psychologue américain David McLelland a écrit, à la fin des années 1970, qu’il vaut mieux évaluer les compétences émotionnelles et sociales des candidats à des postes de direction plutôt que leur quotient intellectuel, car c’est ce qui fait la différence entre un bon leader et un moins bon. Comment les personnes reconnaissent-elles leurs émotions et celles de leurs collaborateurs et comment les gèrent-elles de façon à canaliser leur énergie et à diriger leur attention vers des objectifs communs? La réponse est du domaine de l’intelligence émotionnelle.

ÉDD: La mondialisation, l’accroissement de la concurrence, la révolution numérique, la pression du monde du travail d’aujourd’hui… Est-ce que la maîtrise de l'intelligence émotionnelle est encore plus pertinente en 2017 qu’elle ne l’était avant?

EM: Oui et non! Oui, parce que plus il y a de demandes d’adaptation, plus les émotions sont mobilisées. Et que bien gérer les émotions demande de l’énergie. Si l’on est fatigué, épuisé ou stressé, l’énergie disponible est moins grande et la capacité de gérer les émotions se réduit d’autant. Et non, parce que je suis de celles qui pensent qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Que ce soit l’après-guerre, la récession des années 1980, la révolution des technologies de l’information et aujourd’hui la révolution de l’intelligence artificielle et de la robotisation, chaque période de l’Histoire comporte ses défis en matière d’adaptation à l’environnement. Chaque époque compte son lot d’épreuves qui nous apparaissent pires qu’avant, mais avec de la perspective, tout est relatif… Je crois que, globalement, nous allons vers le mieux. Je suis de nature optimiste.

ÉDD: Dans le cadre de vos interventions dans les organisations, vous avez eu l’occasion d’observer les effets de l’application de l’intelligence émotionnelle. Qu’est-ce que la maîtrise de cette dernière peut apporter aux organisations, à leurs gestionnaires et à leurs employés?

EM: Le premier bénéfice de l’intelligence émotionnelle, c’est une meilleure santé mentale et physique. Une personne qui sait reconnaître et gérer ses émotions saura conserver son équilibre dans des situations difficiles et affronter les épreuves de manière courageuse. Le deuxième est la qualité des relations. Les personnes qui ont un quotient émotionnel élevé ont généralement de meilleures relations avec les autres, notamment parce qu’elles gèrent mieux les conflits, qui sont inéluctables dans les organisations. Elles sont aussi à même d’obtenir plus facilement la collaboration de leurs pairs ou de leurs employés pour atteindre des objectifs. Les personnes qui ont un fort quotient émotionnel démontrent aussi une meilleure performance au travail. Cela dit, l’intelligence émotionnelle ne suppose pas forcément la conscience morale: une personne peut avoir un quotient émotionnel élevé, mais être malhonnête et malveillante. C’est le cas en outre des personnalités machiavéliques.

ÉDD: Quel parcours proposez-vous aux participants lors des trois journées de votre formation?

EM: Au préalable, les participants ont passé deux tests, un qui évalue leurs habiletés émotionnelles, et un autre, leur type psychologique. Ces résultats sont discutés durant toute la durée du séminaire, mais surtout pendant la première journée. Celle-ci est essentiellement consacrée à la mise à niveau des connaissances concernant la dynamique des comportements, car il faut bien l’admettre, tout le monde n’arrive pas à ce séminaire avec la même préparation. Les participants adorent les discussions que nous avons durant cette journée, car cela les aide à mieux se comprendre, et à comprendre les personnes avec qui ils travaillent. Le deuxième jour concerne l’intelligence personnelle. Des exercices d’introspection et des études de cas permettent d’explorer la reconnaissance de ses émotions et la maîtrise de soi, l’affirmation de soi et l’adaptabilité. La troisième journée porte sur les compétences émotionnelles et sociales, nécessaires pour faciliter la collaboration, gérer les conflits et exercer son influence en tant que leaders. À l’aide d’études de cas, de mises en situation et de discussions en classe, on apprend ce que sont l’empathie, la gestion des conflits, la compréhension des jeux d’influence ou l’exercice du leadership.

ÉDD: Plus de 2 700 participants et des dizaines de formations plus tard, vous avez toujours autant de plaisir à partager votre expérience et votre savoir sur l’intelligence émotionnelle. Qu’est-ce qui vous motive autant à poursuivre?

EM: J’aime animer des groupes d’adultes qui veulent apprendre et développer leurs compétences de leader! Chaque groupe est unique et tellement riche d’expériences et de connaissances. C’est une nouvelle expérience chaque fois que je donne un séminaire. J’utilise l’approche expérientielle, car elle permet de mettre en valeur l’expérience des participants et de l’enrichir en leur offrant des connaissances qui donnent de la perspective et de l’envergure à leurs conceptions du leadership et des personnes dans les organisations. Je reçois souvent deux commentaires qui m’encouragent à m’investir autant. Quand je fais un tour de table, au début du séminaire, pour connaître les motivations des participants, plusieurs me disent: «Il y a des collègues qui ont suivi votre formation, et ils ont changé de comportement. Je veux savoir pourquoi.» Cela veut dire que leur participation a servi à quelque chose. À la fin du troisième jour, lors de l’évaluation, la majorité des participants me disent qu’ils ont vécu une expérience de communauté, où ils se sont sentis libres de s’exprimer de manière authentique, ce qui leur a permis de mieux se comprendre, voire de s’avouer des aspects d’eux-mêmes qu’ils n’auraient pas fait autrement. Et tout cela, sans trop savoir comment cela a été possible, car au début, ils étaient tous des étrangers [les uns pour les autres]… Pour moi, ces commentaires, ça vaut tout l’or du monde!

Formations animées par Estelle Morin à l’École des dirigeants HEC Montréal:

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