Fusions et acquisitions : la clause #moiaussi gagne du terrain

Publié le 10/12/2018 à 15:46

Dans la foulée du mouvement #moiaussi, une nouvelle tendance se dessine dans le monde des fusions-acquisitions : les ententes d’achat d’entreprises prévoient de plus en plus une clause « #moiaussi », destinée à prémunir les acheteurs contre une éventuelle dévalorisation de l’entreprise en cas d’allégations de harcèlement sexuel à l’égard des anciens dirigeants ou gestionnaires. Quoiqu’il soit de plus en plus fréquent d’inclure de telles clauses, il faut nuancer leur efficacité pratique. Le meilleur remède sera toujours la prévention par la mise en place d’une culture saine et respectueuse des employés. Tour d’horizon.

Aux États-Unis, on l’appelle carrément la « clause Weinstein ». Elle est d’ailleurs apparue dans le vocabulaire après les premières allégations visant le bonze hollywoodien. Des clauses similaires étaient utilisées depuis longtemps dans des contrats de commandite ou dans certaines ententes d’acquisition, sans viser spécifiquement les cas de harcèlement sexuel.

Comme le précise Félix Bernard, avocat spécialiste des fusions et acquisitions chez Langlois avocats, « il existe des clauses dites morales, au champ d’application plus large, qui comportent un grand nombre de garanties et de mécanismes de gestion de risques en cas d’acquisition d’une entreprise. Depuis le mouvement #moiaussi, nous sommes appelés à revoir et à préciser ces clauses. Les contrats commencent à intégrer des éléments spécifiques au harcèlement sexuel et aux agressions de cette nature. » Me Bernard précise toutefois que la présence d’une telle clause au contrat, bien qu’elle soit souhaitable, ne règle pas tout. Un acheteur doit faire davantage de vérifications, en évitant de se fier uniquement à ce type de clause.

Quelles entreprises devraient songer à une clause #moiaussi ?

Aucune organisation n’échappe aux risques de harcèlement ou d’agression à caractère sexuel. Toutefois, les sociétés davantage exposées à l’œil du public font face à un niveau de risque plus élevé en cas de dénonciations, et doivent faire l’objet de clauses détaillées. « Les sociétés publiques cotées en bourse sont particulièrement scrutées, explique Tommy Tremblay, associé chez Langlois avocats et spécialiste en litige commercial et en gouvernance. Les entreprises ayant à leur tête des personnalités médiatisées, celles profitant de fonds gouvernementaux ou dont les produits sont consommés directement par le grand public sont également à risque. »

Toute transaction d’acquisition ou d’investissement commence par une vérification diligente et, de plus en plus, par une évaluation de l’importance des risques réputationnels et financiers auxquels peut s’exposer une société en cas d’allégations de harcèlement sexuel. Comme le souligne Tommy Tremblay, le caractère public des activités d’une organisation n’est évidemment pas le seul critère : toute entreprise a le devoir de créer un climat sain, exempt de harcèlement, et la présence de conditions de travail dysfonctionnelles cause de sérieux préjudices à ceux qui les subissent. Des comportements de harcèlement affectent directement le climat de travail et entraînent une perte de valeur, qui peut aller du désengagement des employés à la rupture du lien de confiance avec la clientèle et les partenaires d’affaires.

« La loi, et souvent des codes d’éthique internes et des contrats d’emploi, définissent clairement des prohibitions. Il incombe au conseil d’administration de ces entreprises d’assurer la mise en place de procédures adéquates pour les faire respecter en pratique », explique William Hart, associé chez Langlois avocats, travaillant activement en fusions et acquisitions, notamment pour des acheteurs étrangers. « De plus, ajoute-t-il, il faut se méfier de comportements culturels différents. Aux États-Unis, les allégations confirmées contre Bill Cosby et d’autres cas semblables ont rendu le public beaucoup plus exigeant et rapide à condamner que dans d’autres juridictions. »

Aujourd’hui, de telles situations peuvent donc se détériorer très rapidement. « Une fois que des allégations sérieuses sont portées contre les dirigeants d’une entreprise, la réputation de cette dernière est entachée et seules des mesures strictes et sévères peuvent permettre de procéder à sa réhabilitation, ajoute Tommy Tremblay. À défaut, c’est toute la culture interne de l’entreprise qui sera perçue comme déficiente et personne ne voudra y être associé. C’est un peu comme si l’entreprise devenait radioactive ! »

Une clause qui confère un pouvoir d’enquête aux investisseurs

Il est bien sûr impossible d’obtenir l’assurance totale de l’absence de harcèlement au sein d’une entreprise. L’acquéreur peut néanmoins enquêter au sujet d’une société, par exemple pour déterminer si elle possède et applique une politique contre le harcèlement. Généralement, l’acquéreur exige aussi une divulgation des plaintes de harcèlement psychologique sur une période d’au moins 3 ans avant la clôture de la transaction.

Souvent, la clause #moiaussi est aussi précédée d’autres formes d’enquête. « Le propriétaire de la société cible a intérêt à dévoiler tout cas de harcèlement dont il a eu connaissance, indique Félix Bernard. Cependant, le risque subsiste qu’il n’ait pas pris les moyens de vérifier ce qui se passe vraiment sur le plancher, ou que lui-même ou un membre de son entourage immédiat soit visé par des plaintes qu’il omet volontairement de divulguer. »

L’acquéreur ou l’investisseur pourra donc également « rencontrer des employés pour les interroger sur l’application de la politique de harcèlement, scruter les commentaires au sujet de l’entreprise sur les réseaux sociaux, analyser le traitement des plaintes de harcèlement antérieures et prendre en compte les rumeurs de harcèlement et la manière dont la société y réagit », précise Tommy Tremblay.

Les ingrédients de la clause

Pour offrir une protection adéquate, la clause #moiaussi comprend des garanties qui s’appliquent à une définition très large du harcèlement sexuel, et qui vont beaucoup plus loin que la définition légale. « En dehors d’une poursuite juridique, de simples allégations peuvent avoir de graves conséquences sur la réputation d’une entreprise. Il est donc normal que les ententes prévoient ces cas de figure », explique Félix Bernard.

La portée de la clause dépend des exigences de l’acheteur et des volontés du vendeur, et le montant de toute indemnisation peut varier beaucoup en fonction de ces négociations. En effet, on doit tenir compte du coût de l’application de la clause, plus ou moins complexe, et de celui des dommages potentiels, un exercice difficile en raison du facteur humain et de la charge émotive liée aux cas de harcèlement.

« De plus, l’image de la société peut être sérieusement entachée malgré l’absence d’un jugement ou d’une autre confirmation juridique des allégations en question, souligne William Hart. Dans ces cas, la question de la responsabilité des vendeurs devient plus complexe. L’avantage de ces clauses est donc surtout d’inciter les sociétés et leurs conseils d’administration à mettre en place, dès que possible, des normes et des procédures qui leur permettront d’éviter ce genre de problème à l’avenir. »

Enfin, il faut se donner une généreuse limite de temps (en général de 12 à 36 mois) pour exiger des représentations et des garanties. Et au cas où les langues se délieraient après l’acquisition, il est bon de réserver un certain montant d’argent en solde de prix de vente spécifiquement pour la clause #moiaussi. Cette somme peut, par exemple, être conservée en fidéicommis pendant 12 à 24 mois.

Bref, grâce à la clause #moiaussi, acquéreurs et investisseurs sont désormais mieux protégés face à des scandales qui, on l’a vu, peuvent coûter très cher.

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