Carlo Ossola enseigne au Collège de France. Photo : DR.
BLOGUE. L’évidence m’a sauté aux yeux à la lecture d’un petit ouvrage sensationnel, En pure perte : le renoncement et le gratuit, de Carlo Ossola, professeur au Collège de France. Et en particulier d’un passage, celui consacré à Dag Hammarskjöld, qui a été secrétaire général des Nations Unies dans les années 1950. Le leader de demain, pour ne pas dire celui de 2012, aura une foi inébranlable en lui et en les autres.
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Oui, j’ai bien utilisé le mot « foi ». Car c’était bel et bien ce qui caractérisait le leadership exceptionnel de Dag Hammarskjöld. Ce dernier est mort en 1961 dans un accident d’avion demeuré inexpliqué, en plein cœur de l’Afrique, alors qu’il tentait d’apaiser la crise du Katanga ; à titre posthume, il a reçu la même année le prix Nobel de la paix. Nourri d’intenses lectures spirituelles (Eckhart, Jean de la Croix, Pascal), il a laissé « l’un des plus nobles journaux de l’esprit », d’après M. Ossola, à savoir ses Jalons, qui ont déjà été comparés – avec raison – aux méditations de Marc Aurèle.
Que trouve-t-on dans Jalons ? Des pensées foudroyantes, comme « seul est digne de son pouvoir celui qui le justifie jour après jour ». Ainsi, le véritable leader ne doit pas sa position à son mérite et à son supposé talent, mais il en est redevable aux autres. « Reconnaissant et prêt. Tu as tout obtenu pour rien. N’hésite pas, quand il le faut, à donner ce qui, malgré tout, n’est rien, contre tout », ajoute-t-il, indiquant par là que le leader doit être au service d’autrui, et non de ses propres intérêts.
Nous sommes ici, on le voit bien, dans le don de soi. Dag Hammarskjöld le signifie par deux mots clés : « délivrance et responsa-bilité ». Délivrance de soi et de ses petits travers, pour se dédier corps et âme à l’humanité : « Toujours être là pour les autres, ne jamais se chercher soi-même », écrit-il, sur les traces des mystiques. Et ce, en étant porté par une vision, autrement dit par une foi prodigieuse : « Il a frayé de nouveaux chemins – uniquement parce qu’il avait le courage de continuer sans se demander si d’autres le suivaient ou même le comprenaient. Il n’avait nul besoin de protection contre le ridicule, que d’autres cherchent par le partage des responsabilités, car il avait une foi qui renonçait aux preuves ». Une pensée qui me fait songer à feu Steve Jobs…
Élevé dans une famille de diplomates de haut rang, Dag Hammarskjöld avait adopté un style réservé : « Ne raconter que ce qui a de l’importance pour les autres. Ne demander que ce qu’on a besoin de savoir. Dans les deux cas, s’en tenir à ce qui relève réellement de la compétence de celui qui parle. Discuter seulement pour obtenir un résultat. Penser à voix haute seulement devant ceux pour lesquels cela a un sens. Ne laisser le small talk remplir le temps et le silence que lorsqu’il traduit ce qui n’est pas dit entre deux êtres parfaitement accordés ». Un style empreint d’une grande humilité.
Quant au pouvoir, il l’a exercé jusqu’au sacrifice : « Prie pour que ta solitude devienne un aiguillon qui te force à trouver un but digne de ta vie et de ta mort ». Il a donné l’exemple en mourant en mission pour l’ONU, au moment où le processus de décolonisation permettait aux peuples d’Afrique de recouvrer leur liberté.
Admirable, n’est-ce pas ? D’où mon modeste conseil : plongez-vous dans Jalons, et abreuvez-vous de son nectar. Vous en sortirez grandi.
