L'art de donner l'impulsion

Publié le 26/06/2010 à 00:00, mis à jour le 08/12/2011 à 13:53

L'art de donner l'impulsion

Publié le 26/06/2010 à 00:00, mis à jour le 08/12/2011 à 13:53

Dans le cadre de la série " La Mémoire des leaders " que Les Affaires a présentée ce printemps, l'ancien président d'Air Canada, Pierre Jeanniot, affirmait : " C'est important de partager notre vision avec les gens, parce qu'ils trouveront une façon de la réaliser ".

Cette citation résume bien l'essence même d'une vision : elle n'existe que si elle peut gagner des adeptes. Un visionnaire sait anticiper la suite des choses pour établir le plan qui mènera à la réussite; cependant s'il agit seul, son idée tombera à plat. Pour s'épanouir, la vision qui naît d'un individu doit devenir collective.

C'est exactement l'attitude qui caractérise les grands dirigeants, dans quelque domaine que ce soit. Tous ceux que nous avons rencontrés dans le cadre de cette série sur le leadership l'ont dit : ils ont réussi à s'imposer parce qu'ils ont réussi à inspirer les autres.

Non pas que la vision soit une clé pour tout ouvrir. Seule, elle est loin de suffire. Dans ses traités devenus classiques, Built to Last et Good to Great, l'essayiste américain Jim Collins revient sur ce sujet. Le concept du leader qui galvanise ses troupes par ses idées et son charisme est remis en question. Selon M. Collins, la recette peut fonctionner un moment, mais pas de façon durable.

Le leader visionnaire qui se pense investi d'une mission finira par déraper. Il lui faut la combiner avec une bonne dose de modestie et de sens pratique, et reconnaître l'apport essentiel de son équipe, pour la rendre opérationnelle. Aux yeux de Jim Collins, c'est la combinaison de la volonté et de l'humilité qui fait les grands leaders, qu'il appelle " de niveau 5 ".

Laurent Lapierre, un professeur de HEC Montréal qui a beaucoup travaillé sur le leadership, utilise l'expression " visionnaire réaliste " en faisant référence à un dirigeant qui est capable de motiver les autres, mais qui accepte aussi de faire son deuil de certaines idées. Autrement dit, le dirigeant d'exception voit loin. Toutefois, il est aussi capable de reconnaître les limites de ses actions. Visionnaire, oui, infaillible, non.

Le mariage raté d'America Online (AOL) et de Time Warner, aux États-Unis, est un bon exemple d'une vision qui a mal tourné, et à laquelle on s'est néanmoins accroché.

Les deux géants ont fusionné en 2001 pour créer un conglomérat représentatif, pensait-on à l'époque, du croisement entre la " nouvelle " et la " vieille " économie. La vision était audacieuse. On parlait même d'AOL comme du " Goliath des fournisseurs de services Internet ". Ses dirigeants n'avaient pas prévu l'explosion d'Internet ni l'arrivée de nouveaux acteurs comme Yahoo, Google et d'autres. L'étoile d'AOL a pâli, et celle-ci a commencé à tirer Time Warner vers le bas. En dépit du déclin, il a fallu huit ans pour qu'on se rende à l'évidence et qu'on rompe l'association.

Le problème, avec une vision, c'est qu'elle repose sur une projection dans le temps... et que même les visionnaires ne sont pas devins. Tout peut basculer tellement vite. Cependant, c'est ce qui fait la différence entre les grands dirigeants et les autres : ils possèdent un sens de la destinée qui leur permet de passer à l'offensive au moment clé.

Pensez à Bombardier au tournant des années 1970. Laurent Beaudoin, qui vient d'hériter de la direction de l'entreprise après la mort de son beau-père, Joseph-Armand Bombardier, est confronté à un dilemme. Les ventes de motoneiges n'assurent plus des revenus suffisants, d'autant plus que les hivers sont capricieux. Quand il y a peu de neige, les gens achètent moins de motoneiges. Il faut diversifier les activités. Bombardier acquiert alors Rotax, un fournisseur autrichien de moteurs qui travaille également dans le secteur des wagons de tramways.

Puis, l'entreprise québécoise frappe un grand coup en décrochant un contrat important de la Société des transports de Montréal. Bombardier est chargée de fournir quelques centaines de voitures neuves pour le métro. C'est le déclic. L'entreprise vient de se désenclaver et part pour la gloire.

La motoneige et le métro sont des moyens de transport : c'est à peu près leur seul point commun. Il a fallu à Laurent Beaudoin et à son équipe beaucoup de détermination pour faire le pont entre les deux. Plus encore, il a dû imaginer ce que serait l'avenir, puis foncer en convainquant son entourage de le suivre. Définir une vision, la communiquer et la mettre en oeuvre, comme le prescrit le manuel d'instruction.

Les véritables visionnaires ne se cantonnent pas au sommet de leur montagne. Ils ne regardent pas de haut les personnes qui seront chargées de réaliser leur vision au quotidien. Ils peuvent fort bien donner la première impulsion, mais ensuite, le secret réside dans la manière dont on parvient à la concrétiser.

Tout le monde est capable de rêver. Mais de là à avoir, par exemple, la stature d'un Martin Luther King pour transformer la réalité, c'est autre chose... Le jour où il a proclamé : " I Have a Dream ", il ne faisait pas que rêver tout haut. Il annonçait ce à quoi ressemblerait l'avenir. Il voyait loin en pensant au présent. Les gens ont cru en sa vision, qui perdure aujourd'hui longtemps après sa mort. " Il faut partager notre vision avec les gens, parce qu'ils trouveront une façon de la réaliser ", disait Pierre Jeanniot. C'est le passage obligé vers la réussite.

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