« Nous sommes devenus un énergéticien »

Offert par Les Affaires


Édition du 31 Mai 2014

« Nous sommes devenus un énergéticien »

Offert par Les Affaires


Édition du 31 Mai 2014

Par François Normand

« Un degré de séparation, pas plus »

Alors que le développement éolien comportait un risque sur le plan des coûtws de construction, les acquisitions au Vermont n'étaient pas non plus sans risque. En mettant la main sur deux sociétés en activité, soit Green Mountain Power et CVPS, Gaz Métro s'exposait en effet à un risque d'exécution non négligeable.

Pour le limiter, la société a maintenu en place les gestionnaires américains. Après tout, souligne Sophie Brochu, la distribution d'énergie est un service de proximité. « Quand le gouverneur du Vermont veut parler de développement économique, il ne veut pas appeler à Montréal ! Il veut appeler à Burlington. Il veut parler à quelqu'un qui vient du Vermont et qui comprend la dynamique du marché. »

Le spécialiste de l'énergie prend des risques, mais pas n'importe lesquels, affirme Sophie Brochu, en faisant référence aux degrés de séparation dans une saine gestion du risque. « Pour nous, un degré de séparation est la situation idéale. » Par exemple, Gaz Métro ne connaissait pas le marché de la distribution de l'électricité au Vermont, mais du fait qu'elle avait acheté Vermont Gas en 1986, elle connaissait bien celui de la distribution gazière dans cet État. C'est pourquoi elle se sentait à l'aise d'y faire son entrée dans la distribution de l'électricité. La même logique prévaut pour le secteur éolien au Québec : Gaz Métro se sentait à l'aise d'y entrer, car elle connaissait bien le marché québécois.

Par contre, l'entreprise n'investirait pas à la fois dans un État où elle n'est pas présente et dans un créneau où elle n'a aucune expérience. « Je ne serais pas allée faire de la distribution d'électricité en Californie, car je ne connais ni la distribution d'électricité ni cet État », explique Sophie Brochu.

S'exposer aux idées nouvelles

Si Robert Tessier a été à l'origine de la transformation, c'est toutefois Sophie Brochu qui l'a concrétisée. Pour y parvenir, la direction a amorcé un profond processus de réflexion en 2006.

Les dirigeants ont consulté alors toutes sortes d'intervenants - universitaires, producteurs d'énergie, environnementalistes, sociologues, jeunes -afin de réfléchir au Québec de demain, y compris sa consommation d'énergie et la place de Gaz Métro dans l'industrie énergétique.

Un apport extérieur essentiel, insiste Sophie Brochu.

« L'idée, c'est de s'exposer le plus possible à des points de vue différents. Ce qui signifie de consulter surtout à l'externe. Car si on ne fait que se consulter entre nous, on est consanguins, et on va tous arriver avec les mêmes idées », dit-elle, précisant que l'entreprise vient de faire le même exercice pour « nourrir » ce que sera Gaz Métro en 2017-2018.

Au milieu des années 2000, cette réflexion et ces échanges n'ont pas toujours été de tout repos. Pas de déchirement ni de doute existentiel, assure Sophie Brochu. Mais des « questions légitimes » afin de s'assurer que l'entreprise prend les bonnes décisions.

La diplômée en sciences économiques de l'Université Laval (où elle s'est spécialisée dans le domaine énergétique) n'en parle pas, mais son leadership a aussi contribué à ce que la transformation de la société se passe bien, dit pour sa part Stéphanie Trudeau, vice-présidente, stratégie, communication et développement durable chez Gaz Métro.

« Elle est tellement convaincante qu'on embarque dans ses projets. » La patronne est aussi ouverte à la critique, selon Stéphanie Trudeau. « Je pense même qu'elle demande cette critique. Elle est très humble ; par exemple, lorsqu'elle fait une erreur et qu'on le lui dit. »

Pour sa part, Robert Tessier parle « d'une femme de vision », capable de partager et de susciter l'intérêt de son entourage pour ses projets et sa vision de l'entreprise. « C'est une communicatrice exceptionnelle. »

Une vision stratégique empreinte néanmoins d'une grande prudence, confie la principale intéressée. « Chez Gaz Métro, c'est une petite bouchée à la fois. Quand nous faisons une acquisition, quand nous faisons un développement, nous l'assimilons, nous nous l'approprions, et après cela, nous continuons de construire. »

Si la stratégie de transformation et de diversification de Gaz Métro, qui compte 1400 employés, est saluée par les analystes, leurs avis sont par contre partagés sur son originalité.

Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal, considère que la stratégie est audacieuse, car l'entreprise est sortie de sa zone de confort. Elle est à la base une entreprise dans un secteur réglementé, où tout doit être approuvé par un organisme externe, en l'occurrence la Régie de l'énergie, au Québec. En contrepartie, ce cadre offre des rendements de l'investissement garantis.

Carl Kirst, analyste financier chez BMO Marchés des capitaux, souligne pour sa part que la transformation de Gaz Métro est comparable à ce qu'ont fait plusieurs sociétés de services publics dans le secteur énergétique en Amérique du Nord. « Par exemple, aux États-Unis, on voit des entreprises faire le saut dans d'autres marchés, autant sur le plan de la géographie que dans des secteurs non réglementés. »

Pierre Lacroix, analyste financier chez Valeurs mobilières Desjardins, croit que Sophie Brochu et son équipe vont dans la bonne direction avec leur stratégie. « L'acquisition de Central Vermont Public Service, le développement du gaz naturel liquide, la construction des parcs éoliens... Ce sont des gestes qui ont été très profitables et logiques sur le plan énergétique. »

Des défis à venir

Cela dit, Gaz Métro fait face à plusieurs défis pour la suite des choses, disent les analystes. Selon Pierre-Olivier Pineau, l'entreprise doit conserver une vision cohérente avec ces multiples activités, qui sont dans des secteurs connexes, mais parfois un peu contradictoires. « Les projets éoliens au Québec reposent sur une approche du gouvernement québécois qui n'est pas entièrement basée sur les besoins énergétiques du Québec, alors que Gaz Métro prône avant tout la bonne énergie à la bonne place. Est-ce que l'éolien au Québec est vraiment la bonne énergie à la bonne place ? Plusieurs se posent la question. »

Carl Kirst souligne pour sa part que le principal défi de l'organistion dans les prochaines années sera de poursuivre sa croissance, qu'elle soit interne ou par acquisitions. Pour Pierre Lacroix, le plus grand défi de Gaz Métro est de continuer à convaincre les investisseurs que l'entreprise est un outil d'investissement très stable, et surtout, qu'il peut y avoir des avenues de croissance intéressantes.

Sur l'écran radar de l'énergéticien

Sophie Brochu se dit confiante pour la suite des choses. « Je ne vous dis pas que nous avons terminé, parce que nous en avons pour dix ans... Mais j'ai un degré de confort assez élevé pour dire que nous maîtrisons ce que nous avons fait [...] Nous sommes actuellement dans une position intéressante pour dire : que faisons-nous après ? »

Le développement du GNL sera une avenue importante, confirme Sophie Brochu, qui fait une analogie entre le développement de ce carburant et l'arrivée de la mobilité dans le domaine des télécommunications. « La révolution GNL, c'est un peu comme la révolution cellulaire », écrit-elle d'ailleurs dans le rapport annuel de 2013 de Valener.

Une analogie qu'elle répétera en entrevue. En effet, à l'instar des télécoms et des ondes, le GNL (ou le gaz mobile) peut être livré pratiquement partout sans utiliser d'infrastructures physiques importantes, en l'occurrence des gazoducs, explique Sophie Brochu, en citant l'exemple de la mine Stornoway.

L'automne dernier, la minière a choisi le GNL pour alimenter sa future mine de diamants située au nord de Chibougamau, et ce, après avoir évalué la possibilité de s'approvisionner en électricité ou en diesel. Un tel contrat d'approvisionnement, loin du réseau de gazoduc, aurait été impensable il y a seulement quelques années.

Le biométhane (un gaz naturel local et renouvelable provenant de la décomposition de matière organique) est une autre avenue que souhaite développer Gaz Métro. Depuis trois ans, l'« énergéticien » a élaboré des projets, notamment avec la Ville de Saint-Hyacinthe, pour valoriser le méthane en l'injectant dans son réseau.

Toutefois, pour que Gaz Métro puisse aller de l'avant avec ses projets, les règles qui encadrent ses activités devront être modifiées, explique Sophie Brochu. Une incertitude qui frustre d'ailleurs un peu la patronne. « Vous savez c'est quoi notre risque au Québec ? C'est que notre régulateur ou la loi ne suive pas ce que la société québécoise veut que nous fassions. »

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