Quelques réflexions sur le récent livre de Joel Tillinghast


Édition du 24 Novembre 2018

Quelques réflexions sur le récent livre de Joel Tillinghast


Édition du 24 Novembre 2018

La profession de gestionnaire de portefeuille nécessite de prendre régulièrement du recul par rapport au flot de nouvelles de court terme et aux pressions externes. Plonger dans un exposé traitant d'un sujet en profondeur aide à remettre les choses en perspective.

Quiconque bat son indice boursier de référence (ici, le Russell 2000 et le S&P 500) par 4 % annuellement sur près de 30 ans comme l'a fait Joel Tillinghast mérite d'être lu.

Cela m'amène à une réflexion très importante pour les investisseurs individuels : nous portons beaucoup trop d'importance aux rendements sur de courtes périodes et pas assez sur les longues. Les rendements sur 3 à 5 ans ne devraient pas suffire à porter un jugement définitif sur un gestionnaire et surtout pas à justifier le paiement de frais de gestion élevés, car les statistiques montrent que très peu de «super-résultats» sur 3 à 5 ans perdurent sur les 10 à 20 ans qui suivent, des périodes plus importantes encore pour les épargnants individuels. Il faut plutôt chercher les caractéristiques de ce qui dure.

L'auteur gère un fonds surtout constitué de petites capitalisations chez Fidelity depuis 1989 (29 ans), dans la tradition, je dirais, de Peter Lynch, avec environ 800 titres en portefeuille. Une leçon que je tire de ce livre est qu'il n'y a pas qu'une seule façon d'investir avec succès à long terme. Chaque personne devrait partir de ses propres objectifs, de ses aptitudes intellectuelles, de ses centres d'intérêt, mais aussi de sa constitution psychologique, c'est-à-dire de son tempérament.

Le titre du livre fait référence au fait que les rendements supérieurs se font beaucoup en investissant dans de petites et moyennes entreprises, ce qui ne fait pas de doute statistiquement. L'investisseur doit en contrepartie accepter plus de volatilité et être plus patient, car, en général, il y a plus d'incertitude sur les flux monétaires futurs des plus petites sociétés, et le peu de liquidité du titre en Bourse peut en accentuer les fluctuations. Il faut donc que l'investisseur compense par une solide connaissance de chaque société, développe une bonne conviction sur la qualité des dirigeants, de même que sur le modèle et les risques d'affaires, évite les sociétés trop endettées et ne regarde pas le prix en Bourse trop souvent. Thinking Small veut aussi dire ne pas trop essayer de prédire la macroéconomie, mais plutôt se concentrer sur des entreprises précises, qui sont faciles à analyser, que l'on comprend bien et qui ont une bonne stabilité.

Le livre nous présente une remarquable connaissance encyclopédique de la structure économique d'un grand nombre d'industries et a une capacité d'analyse hors pair. On peut y déceler un esprit flexible, ouvert et créatif, qui sait reconnaître ses erreurs.

Agir prudemment

La clé du succès en investissement est d'agir prudemment, d'éviter les grosses erreurs et d'être patient, en ne négociant pas trop souvent, plutôt que d'essayer de frapper des coups de circuit ou de chercher les émotions fortes. Plus notre horizon d'investissement est long, plus nous avons un avantage sur les autres investisseurs en Bourse time arbitrage).

L'auteur veut nous aider à éviter les erreurs, notamment celles qu'il a commises dans sa carrière. Il classifie ses erreurs d'investissement en cinq catégories : 1. Agir trop impulsivement ou émotivement, c'est-à-dire être sujet à une série de préjugés psychologiques ; 2. Se surestimer, c'est-à-dire ne pas bien se connaître comme investisseur ; 3. Investir dans des entreprises piètrement dirigées ; 4. Investir dans des entreprises sujettes à échouer en raison de l'obsolescence, ou de l'excès de compétition ou de dette ; 5. Payer trop cher.

Les préjugés psychologiques en investissement font l'objet d'une vaste documentation depuis les années 1980, et Tillinghast en fait un bon résumé. Par exemple, le «biais de représentation» (recency biais), où nous avons tendance à extrapoler le futur lointain fondé sur le passé très récent ; ou le «biais de confirmation», une forme de dissonance cognitive qui fait que nous avons tendance à chercher les statistiques qui confirment notre point de vue initial (souvent émotif) sur un sujet plutôt que de chercher ce qui pourrait venir le réfuter.

Comprendre la culture d'entreprise

La section sur les qualités et l'honnêteté des équipes de dirigeants d'entreprises est passionnante. Ses multiples exemples de fraudes et de comptabilités décevantes nous rappellent l'importance de bien comprendre les intérêts et les motivations des dirigeants et la culture des entreprises dans lesquelles on investit.

La section sur la qualité et la durabilité du modèle d'affaires est aussi truffée d'exemples instructifs et revoit l'histoire de différentes industries. Tillinghast entre dans des détails fascinants d'analyse financière et de microéconomie de l'entreprise et expose de nombreux exemples de faillites pour en élucider les causes les plus courantes.

Finalement, la section sur la valorisation nous enseigne différentes notions et techniques pour aider à ne pas payer un prix trop élevé. M. Tillinghast commence généralement son analyse par un ratio cours/bénéfice bas, jumelé à un rendement sur l'avoir élevé et y apporte une foule de raffinement. L'analyse dépend d'une bonne compréhension des enjeux d'affaires de l'entreprise et de son industrie. L'évaluation n'est pas une science exacte et un éventail d'estimations devrait couvrir différents scénarios, en prenant bien soin de distinguer les faits plus certains des faits peu fiables. Sa liste de contrôle pour déterminer s'il y a sous-évaluation comprend quatre points : 1. Faible cours/bénéfice ; 2. Avantage concurrentiel/activité unique reflété par un rendement sur le capital élevé ; 3. Durabilité du modèle d'affaires ; 4. Prédictibilité et stabilité des finances (cyclicité, volatilité, incertitude des revenus et des profits).

En conclusion, les élèves de l'investissement devraient chercher qui sont les meilleurs investisseurs au monde sur plusieurs décennies et lire avidement tout ce qu'ils peuvent sur ces personnes. Maximiser notre exposition aux gens les plus brillants est la clé pour développer un cadre intellectuel solide ; il faut ensuite apprendre à se connaître et à contrôler ses émotions par la pratique de l'investissement, en commençant par de petits risques, de façon à graduellement bâtir sa confiance.

EXPERT-INVITÉ:
Stéphane Préfontaine, LLM, MBA, est président de Préfontaine Capital inc.

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