Rémunération : grosse paie, performance ...


Édition du 28 Mai 2016

Rémunération : grosse paie, performance ...


Édition du 28 Mai 2016

Par Stéphane Rolland

[Photo : 123RF/Ion Chiosea]

Actionnaires, êtes-vous récompensés pour la rémunération «concurrentielle» versée au pdg ? Il semble que leur généreuse rétribution n'influe pas sur vos investissements. En fait, le lien entre la rémunération des pdg et la création de valeur au sein des grandes sociétés qu'ils dirigent est très faible. C'est la conclusion de la troisième édition de notre palmarès mené en collaboration avec les firmes Inovestor et Gestion de portefeuille stratégique Medici.

Notre indicateur mesure le rapport entre la performance des 50 capitalisations boursières québécoises les plus importantes au cours des quatre dernières années et la rémunération versée à leur pdg en 2015. Nous mesurons la performance à l'aide de trois composantes : le rendement du capital investi, la croissance du bénéfice par action et la taille de l'entreprise.

La corrélation entre la rémunération des 48 dirigeants de notre échantillon et notre indicateur de performance est de 0,45. En théorie, une corrélation de 1 représenterait un lien parfait. À 0,45, il existe une corrélation, mais elle est très faible.

Lorsqu'on décortique les trois composantes de notre indicateur, la relation de cause à effet paraît encore plus faible, constate François Dauphin, directeur de recherche de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP). En fait, la corrélation avec le bénéfice par action n'est que de 0,07, et elle n'est que de 0,28 en ce qui concerne le rendement du capital investi. Statistiquement, cela représente un lien très faible. Par contre, la corrélation avec la taille de l'entreprise (ses revenus) est de 0,62. C'est statistiquement significatif.

Du pareil au même ?

Qu'il y ait corrélation uniquement avec la taille de l'entreprise est une démonstration de l'effet pervers du «jeu des comparaisons», croit M. Dauphin. «Les spécialistes de la rémunération comparent la rétribution des dirigeants avec celle d'entreprises comparables ou plus grandes, explique-t-il. Ça nous mène vers une bulle inflationniste sans fin.»

Carl Simard, président et gestionnaire de portefeuille chez Medici, estime pour sa part que les conseils d'administration ne font pas leur travail quand vient le moment d'établir la rémunération des hauts dirigeants. «Presque toutes les sociétés ont des modèles de rémunération déficients», déplore le gestionnaire qui a élaboré notre modèle d'évaluation de la performance des dirigeants. «Parce que tout a été fait sur le même modèle produit par les consultants. Elles ont toutes la même structure complexe. En apparence, le travail semble avoir été bien fait, mais les CA ont abdiqué devant la possibilité d'établir leurs propres critères.»

Les résultats du palmarès permettent de voir cette uniformité, affirme Michel Magnan, professeur à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. «En tête de votre palmarès et en queue de peloton, les entreprises se démarquent par rapport à votre indicateur. Lorsqu'on regarde la grande majorité des sociétés au milieu, on ne constate pas de différence significative entre elles en ce qui a trait à l'indicateur de création de valeur.»

Stanley Ma, président et fondateur de Groupe MTY.

L'exemple de Stanley Ma

Une fois de plus cette année, Stanley Ma trône au sommet de notre palmarès. Le modèle de rémunération du président et fondateur de Groupe MTY reste dans une classe à part. Pour chaque point de pourcentage de performance de notre indicateur, il coûte 6 322 $ aux actionnaires du franchiseur montréalais. C'est bien meilleur marché que le coût médian de 119 322 $, qui est 18,9 fois plus élevé. M. Ma reste même à bonne distance de Marc Dutil, de Groupe Canam, qui fait bonne figure au deuxième rang. L'entrepreneur beauceron coûte 20 574 $ pour chaque point de notre indicateur.

La simplicité du modèle est exemplaire, croit M. Simard. M. Ma a reçu une rémunération de 405 902 $ en 2015, une diminution de 4,15 % par rapport à l'an dernier. Cette somme est presque entièrement versée sous forme de salaire, à l'exception d'une allocation de 27 260 $ pour une voiture de fonction.

M. Dauphin constate que plusieurs entreprises au sommet de notre palmarès sont des sociétés dans lesquelles le fondateur - ou sa famille - détient une participation importante. «Pour ces dirigeants, l'accroissement de la valeur de l'entreprise est une rémunération en soi», poursuit-il.

C'est le cas chez Groupe MTY. M. Ma détient 25,55 % des actions de l'entreprise qu'il a fondée. Ses intérêts sont par le fait même intimement lié à celui des autres actionnaires. D'ailleurs, ses actions lui ont permis de toucher 1,95 M $ en dividendes en 2015. L'homme d'affaires s'est enrichi davantage grâce à ses dividendes qu'avec sa rémunération.

La bonne performance des entrepreneurs fondateurs montre l'importance de mieux arrimer les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires, croit M. Simard. Il préfère les régimes d'actionnariat qui forcent les dirigeants à investir une partie de leur rémunération en actions et à détenir les titres à long terme. À l'opposé, l'octroi d'options d'achat et les bonis annuels contribuent à la gestion à court terme et à la prise de risque, selon lui. «Les options d'achat récompensent les dirigeants en cas de hausse, mais ne leur font pas perdre d'argent en cas de baisse, commente M. Simard. Leurs intérêts ne sont alignés sur ceux des actionnaires que si les choses vont bien.» 

Découvrez notre classement des dirigeants qui vous en donnent plus pour votre argent

Comment évaluons nous la performance 

Notre palmarès évalue la rémunération des pdg des 50 capitalisations boursières québécoises les plus importantes en fonction de la création de valeur enregistrée au sein de leur société. Autrement dit, nous évaluons le rapport qualité-prix des pdg du Québec inc.

À notre demande, la firme Gestion de portefeuille stratégique Medici a conçu un indicateur pour mesurer la création de valeur. Ce dernier comprend trois données : le rendement du capital investi par les actionnaires, la croissance du bénéfice par action au cours des quatre dernières années et la taille des revenus du dernier exercice.

Le rendement des capitaux propres, une donnée clé pour mesurer la création de valeur, pèse pour plus de la moitié de l'indice, soit 70 %. Le rendement des capitaux propres se calcule en divisant le bénéfice net par l'avoir des actionnaires.

Un poids de 20 % est accordé à la croissance du bénéfice par action depuis quatre ans. Cette donnée a une influence importante sur le cours de l'action d'une société. Les analystes utilisent d'ailleurs ce ratio pour mesurer la valeur d'une action par rapport à son historique, à un indice ou à un groupe de pairs.

Finalement, nous avons accordé un poids de 10 % à la taille des revenus. Nous avons utilisé cette donnée pour mesurer la taille des entreprises de notre échantillon. L'idée est de tenir compte du fait que la gestion d'une grande organisation peut ajouter un défi supplémentaire pour son dirigeant.

De son côté, la firme montréalaise Inovestor nous a aidés à compiler les données sur la rémunération des dirigeants et les données financières utilisées par Medici pour construire son indicateur de performance.

Pourquoi avoir choisi la création de valeur plutôt que le rendement boursier ? Le rendement en Bourse peut être attribuable à des facteurs externes tels que le contexte général du marché ou la popularité de certains secteurs auprès des stratèges. Ces éléments échappent au contrôle des dirigeants. Cette réflexion est avalisée par Michel Magnan, professeur à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, et François Dauphin, directeur de recherche de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

Des limites

Évidemment, aucune méthode n'est parfaite. Michel Magnan pense que ce genre d'exercice personnifie trop le travail d'une organisation entière. De plus, il note que des facteurs externes sur lesquels le pdg n'a aucun contrôle peuvent influencer le rendement du capital investi et la croissance des bénéfices. «Si une entreprise est désavantagée par le prix des ressources naturelles ou avantagée par le taux de change, est-ce que cela reflète vraiment la qualité du travail d'un dirigeant ?» demande M. Magnan.

François Dauphin croit lui aussi que le fait de mettre l'accent sur la création de valeur peut désavantager une entreprise mature. Dans ce cas, le travail du dirigeant pourrait être de maintenir d'importants flux de trésorerie stables afin de verser un généreux dividende, dit-il. Les rachats d'actions peuvent aussi contribuer à améliorer le rendement du capital investi, ajoute M. Dauphin. Pourtant, il n'est pas dit que cette répartition du capital soit la meilleure décision à long terme. De plus, le rachat d'actions ne reflète pas nécessairement la valeur ajoutée qu'apporte un dirigeant.

Notre indicateur ne dispense pas d'une analyse qualitative par la suite, répond Carl Simard. Celle-ci doit se faire notamment lorsqu'une entreprise rachète des actions ou verse un dividende. «Il faut évaluer la façon dont une entreprise répartit son capital. Par exemple, racheter des actions est une décision inadéquate si le titre est surévalué.»

La rémunération moyenne des dirigeants de notre échantillon a bondi de 7,1 % en 2015.  Des inégalités qui se creusent 

Encore en 2015, l'écart entre la rétribution des dirigeants et celle du salarié moyen a continué de se creuser. Les pdg de notre échantillon se sont enrichis à un rythme trois fois plus rapide que le salarié québécois moyen, selon les données de Statistique Canada.

La rémunération moyenne des dirigeants de notre échantillon a progressé de 7,1 % en un an. En comparaison, au Québec, la rémunération moyenne n'a progressé que de 2,1 %. En 2015, l'indice des prix à la consommation (IPC) a grimpé de 1,05 %.

Cet écart de croissance accentue encore les inégalités entre dirigeants et travailleurs. À 4,6 M$, la rémunération moyenne des dirigeants de notre échantillon représente 102 fois la rémunération moyenne des Québécois. L'an dernier, ce ratio était de 97 fois.

 

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