Investir dans le marché obligataire quand les taux jouent contre nous


Édition du 08 Septembre 2018

Investir dans le marché obligataire quand les taux jouent contre nous


Édition du 08 Septembre 2018

[Charles DesGroseilliers]

La tendance haussière des taux d'intérêt se confirme. Que nous réserve l'avenir dans le marché obligataire ? Où seront les occasions d'investissement ? Nos experts se prononcent.

Après avoir atteint un creux à l'automne 2016, les taux d'intérêt remontent. Les banques centrales ont cessé leurs rachats massifs de titres de dette compte tenu de la reprise mondiale. Elles haussent également leur taux directeur progressivement.

Cela est une mauvaise nouvelle pour les titres à revenu fixe, car il existe une relation inverse entre les taux d'intérêt et le prix des obligations. Lorsque les taux augmentent, les obligations perdent de la valeur.

Dans un tel contexte, comment l'investisseur doit-il gérer la partie obligataire de son portefeuille ? Rappelons d'abord que le rôle des titres à revenu fixe est de protéger le portefeuille contre une baisse du marché des actions. Du moins, ce fut le cas depuis une trentaine d'années lorsque les taux d'intérêt baissaient continuellement. Cette relation entre les obligations et les actions pourrait changer à l'avenir. Autrement dit, les bonnes années dans le marché obligataire sont derrière nous. On pourrait donc observer des pertes simultanées dans les portefeuilles d'actions et d'obligations des investisseurs.

Une duration plus courte

« Pour minimiser ce risque, on mise sur des stratégies qui vont préserver le capital tout en générant du revenu. On veut aussi avoir une duration plus courte du portefeuille, soit d'environ quatre ans », précise Pierre-Philippe Ste-Marie, chef des placements, revenu fixe, chez Optimum Gestion de Placements. Notons que les gestionnaires de portefeuille obligataires ont généralement le mandat de battre l'indice obligataire universel FTSE/TMX Canada. Or, cet indice a présentement une duration supérieure à sept ans. Il est composé essentiellement de titres de dette gouvernementale, provinciale et de société.

La duration est la moyenne pondérée de la durée des différentes obligations détenues en portefeuille ou dans un indice. Exprimée en années, elle est une mesure de sensibilité aux taux d'intérêt. Ainsi, plus la durée avant l'échéance d'une obligation est longue, plus cette dernière sera sensible à un mouvement des taux d'intérêt. Par exemple, si les taux devaient monter subitement d'un point de pourcentage (1 %), la valeur d'une obligation ayant une durée de sept ans subirait une perte équivalente de 7 %.

D'après les recherches internes de Fiera capital, « au cours des 50 dernières années, un portefeuille obligataire ayant une durée de quatre à cinq ans se voit surperformer un portefeuille obligataire de type univers, spécialement dans un contexte de hausse de taux d'intérêt », souligne François Bourdon, chef des placements de la firme montréalaise. Ce dernier préconise également le choix de titres obligataires de plus courtes échéances pour l'investisseur de détail, soit moins de cinq ans.

De plus, la récompense pour le risque qui accompagne la détention des obligations à long terme a pratiquement disparu. « Aujourd'hui, on se trouve dans une situation délicate puisque la courbe des taux d'intérêt est très plate, en particulier entre les termes de 10 ans et de 30 ans. On n'a donc aucun avantage à détenir des obligations avec de longues échéances. Nous sommes, de plus, dans la dixième année d'un cycle économique qui s'étire », précise M. Ste-Marie.

Ces derniers temps, il a été question d'une possible inversion de la courbe des taux d'intérêt, notamment aux États-Unis. Cela signifie que les taux obligataires à court terme sont supérieurs aux taux obligataires de 10 ans et même de 30 ans. Une telle inversion pourrait signaler qu'une récession se dessine à l'horizon. « Cela laisserait entendre que la Banque du Canada devance la courbe en montant trop agressivement ses taux et qu'elle étouffe l'économie », ajoute-t-il. Cela dit, nos experts n'entrevoient pas de sérieux ralentissement chez nous l'an prochain.

Plaidoyer pour la qualité

En règle générale, les difficultés financières des entreprises émergent lorsque l'économie ralentit. « En fin de cycle économique, la gestion active et l'analyse de crédit deviennent plus importantes à mesure qu'on s'approche d'une récession qui pourrait survenir dans deux ou trois ans », affirme M. Bourdon.

Par ailleurs, beaucoup d'investisseurs ont fait la chasse au rendement au cours des dernières années en achetant des obligations à haut rendement ou des obligations de pacotille, sans égard au risque de crédit. « Ces placements seront sous pression dans les prochaines années », dit Domenic Bellissimo, gestionnaire de portefeuille revenu fixe chez Gestion d'actifs 1832 (fonds Dynamique). Les obligations de pacotille (cote BBB faible ou moins) et les obligations à rendement élevé sont des titres plus risqués, spécialement en fin de cycle économique ou dans le cas d'une correction boursière ou même d'une récession. Ces obligations seront d'autant plus vulnérables qu'elles ont très bien performé ces dernières années.

Diversifiez votre portefeuille

Les différents types d'obligations n'offrent pas le même profil de risque ainsi faut-il diversifier. Bien que les obligations de société offrent un rendement supérieur à une obligation gouvernementale fédérale, provinciale ou municipale, elles ne devraient pas constituer 100 % de notre portefeuille à revenu fixe. Contrairement à une entreprise qui peut déclarer faillite du jour au lendemain, le crédit provincial réagira avec moins de volatilité. Il faut donc tenir compte du risque de crédit des titres ainsi que de leur liquidité, soit la possibilité de récupérer rapidement notre mise, notamment si on doit revendre les titres avant leur échéance.

Dans le crédit aux entreprises, les écarts se sont beaucoup resserrés depuis deux ans. Ainsi, les rendements de ces obligations sont relativement moins attrayants par rapport aux autres crédits : gouvernemental, provincial et municipal. « Cela ne veut pas dire qu'on doit bouder le crédit pour autant, mais plutôt qu'il faut être sélectif et regarder du côté des obligations de première qualité (investment grade) », souligne M. Bourdon. « On recherche des obligations dont le terme est de cinq ans ou moins et on surpondère les secteurs défensifs de l'économie, comme le sont les services publics, par exemple », ajoute Hugues Sauvé, vice-président, Gestion active, chez Optimum Gestion de Placements.

Les notes de dépôt bancaire de premier rang ont aussi la cote de nos experts. Ce sont des obligations émises par les six grandes banques canadiennes. On peut en trouver dont les termes sont inférieurs à cinq ans dans le marché secondaire. « Cette dette senior se retrouve dans le haut de la structure du capital des banques », dit Myriam Mechouat, vice-présidente, Gestion quantitative, chez Optimum Gestion de Placements.

Il ne faut cependant pas confondre ces titres avec de la dette bancaire NVCC (Non Viability Contingent Capital), qui existe depuis 2014. Ces titres financiers peuvent être convertis en actions en cas de risque de faillite de l'institution financière. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit plutôt d'obligations non garanties de premier rang. On entend par « non garanties » qu'il n'y a pas d'actifs spécifiques adossés à ces dettes. Ces titres sont présentement attirants en terme de cinq ans par rapport aux obligations provinciales. « Lorsqu'on peut s'en procurer à 40 points de base au-dessus d'un crédit provincial d'un terme équivalent, c'est attrayant », précise M. Sauvé.

Bien sûr, on peut également souhaiter acheter des obligations du gouvernement du Canada, le meilleur crédit du pays, ou des obligations provinciales. Dans le premier cas, ces titres sont encore relativement chers, et ce, malgré la remontée récente des taux d'intérêt. Le rendement à l'échéance est d'environ 2,3 % pour le terme de cinq ans, ce qui ne couvre même pas la hausse du coût de la vie, puisque le taux d'inflation a atteint 3 % en rythme annualisé en juillet dernier au Canada.

Quant aux crédits provinciaux, il n'y a pas d'aubaines non plus. Le crédit provincial a très bien performé jusqu'à la fin de l'année 2017. « Ce marché est très dépendant de l'offre et de la demande. Il y avait du rattrapage à faire et on a vu beaucoup d'intérêt du côté des acheteurs étrangers qui détiennent environ le quart de cette dette, ce qui est énorme. Présentement, les prix de la plupart des obligations provinciales sont, selon nous, à leur juste valeur », constate Mme Mechouat. Malgré tout, on pourrait posséder des obligations de la province de Québec ou de l'Ontario, puisque ça rapporte un meilleur rendement qu'une obligation gouvernementale fédérale équivalente, ajoute-t-elle.

Pour ceux qui veulent bonifier leur rendement et qui peuvent détenir une partie un peu moins liquide dans leur portefeuille obligataire, on peut envisager d'y ajouter des obligations municipales. « Elles sont relativement plus attrayantes que les obligations provinciales et il y a une offre abondante de titres qui arrivent à échéance d'ici deux à cinq ans », indique Mme Mechouat. Depuis quelques mois, les écarts de rendement par rapport aux obligations de la province de Québec ont attiré l'attention des gestionnaires. On peut obtenir près de 60 points de base de plus de rendement en achetant un crédit municipal alors qu'on en obtenait moins de 40 il y a quelques mois.

Les obligations municipales ne sont cependant pas garanties explicitement par la province de Québec. Et excepté les villes de Montréal, de Laval et de Québec, elles n'ont pas, non plus, de cote de crédit. Il faut donc choisir soigneusement ces municipalités en analysant leur bilan, leur pouvoir de taxation et leur dépendance à une industrie, dans le cas par exemple d'une région éloignée.

« Techniquement, nos municipalités n'ont pas le droit d'accuser de déficit, contrairement aux provinces », note Mme Mechouat. Selon elle, il est sensé, pour un investisseur dont la moitié du portefeuille est en revenu fixe, d'en détenir 10 % de cette part. Une bonne façon d'investir ce marché sera d'acheter un portefeuille diversifié d'obligations municipales. Le gestionnaire de portefeuille chez RBC Gestion de patrimoine, François Têtu, aime bien le fonds négocié en Bourse (FNB) Horizons Actif obligations municipales canadiennes (HMP), dont le frais de gestion est de 29 points de base.

Quant aux obligations internationales, on pourrait vouloir diversifier le portefeuille ailleurs qu'au Canada, puisque notre marché ne représente que 3 % du revenu fixe mondial. Il n'y a cependant pas de grandes aubaines actuellement. Il faudra en plus tenir compte des coûts liés à la couverture de change puisque la volatilité des devises est plus importante que la volatilité des taux obligataires. « Plusieurs investisseurs souhaiteront tirer profit de la diversification internationale en détenant des actions étrangères plutôt que du revenu fixe », dit M. Têtu.

Les actions privilégiées ont la cote

Pour ceux dont la tolérance au risque est plus élevée, les actions privilégiées sont également une catégorie d'actifs à considérer. Les actions privilégiées sont des titres hybrides souvent regardés comme faisant partie de la partie à revenu fixe du portefeuille. Elles versent des dividendes fixes ou variables. Leur traitement fiscal est avantageux grâce au crédit d'impôt pour le dividende. Ces titres ont été grandement malmenés en 2015 et en 2016, mais obtiennent la faveur de plusieurs gestionnaires actuellement.

La sélection de ces titres nécessite cependant une expertise en analyse de crédit. Une même entreprise peut émettre plusieurs types d'actions privilégiées (perpétuelle, à taux fixe révisable, à taux flottant) ayant chacune ses propres clauses. Par exemple, certaines peuvent être rachetables au gré de l'émetteur, ou encore, convertibles en actions privilégiées à taux variables.

« Une bonne façon de profiter de cette catégorie d'actif complexe sera d'acheter un panier diversifié d'actions privilégiées, notamment en se procurant un fonds commun géré activement », suggère M. Sauvé. Optimum offre ce genre de solution d'investissement à sa clientèle de gestion privée. Il existe aussi des FNB d'actions privilégiées. M. Têtu propose le FNB FNB actif d'actions privilégiées Dynamique iShares (DXP), dont les frais de gestion sont de 58 points de base. « Il est également offert en version fonds commun de placement. On accède ainsi à une gestion active où le gestionnaire peut investir tant au Canada qu'aux États-Unis », précise-t-il.

Qu’est-ce qui détermine les taux ?

Difficile de parler des taux d’intérêt sans d’abordcomprendre comment ils s’établissent chez nous.Les taux à court terme, comme celui de notre marge de crédit ou de notre hypothèque à taux variable, dépendent avant tout des actions de la banque centrale du Canada. Cette dernière fixe un taux directeur, auquel se prêtent les différentes institutions financières au pays. Grâce à une politique monétaire accommodante,la Banque du Canada peut abaisser ce taux de financement à un jour pour stimuler la croissance. C’est ce qu’ont fait massivement plusieurs banques centrales ces dernières années. À l’été 2017, notre banque centrale a souhaité freiner ce mouvement en remontant ce taux directeur. Il s’établit maintenant à 1,50 %. Rappelons que ce taux était supérieur à 4 % il y a une dizaine d’années, à l’aube de la crise financière. Les taux à moyen et à plus long terme (hypothèque à taux fixe 5 ans, rendement d’obligations d’épargne du Québec et du Canada à 10 ans…) dépendent plutôt de la demande et de l’offre de fonds. La demande provient des entreprises désireuses d’investir dans leurs machineries et équipements, tandis que l’offre de fonds est simplement l’épargne disponible. Ces taux ont également fondu après la crise financière de 2008, en raison notamment d’un excès d’épargne. Les entreprises et les ménages ont préféré garder leur argent, ce qui a pénalisé la croissance future dans les pays industrialisés comme l’Amérique du Nord et l’Europe. 

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