Quand dividendes spéciaux et gouvernance font un drôle de ménage


Édition du 03 Décembre 2016

Quand dividendes spéciaux et gouvernance font un drôle de ménage


Édition du 03 Décembre 2016

Par Aaron Lanni

[Photo : Shutterstock]

La fin de l'année financière approche chez TransDigm Group (TDG, 259,03 $ US), un équipementier aéronautique de Cleveland. Le pdg Nicholas Howley discute avec son chef des finances au siège social pour déterminer comment l'excédent de capital au bilan sera placé à court terme. Par ordre de préférence, leurs options sont d'investir dans les opérations courantes, de conserver le capital au bilan en prévision d'une acquisition future, de verser un dividende spécial, de procéder à un rachat d'actions ou encore, de rembourser la dette. Afin de prendre la meilleure décision, M. Howley et son équipe doivent prendre de nombreux facteurs en considération, tels que la probabilité de conclure une acquisition à court terme, le prix de l'action de TransDigm par rapport à leur estimation de la valeur intrinsèque, la valeur marchande de la dette comparativement à sa valeur nominale et le coût marginal d'emprunt. Après réflexion, les dirigeants annoncent un dividende spécial de 24 $ US par action le 14 octobre, un montant qui représente 8,5 % du prix de l'action. Noël est arrivé plus tôt cette année pour les actionnaires !

Un investisseur qui aurait acheté TransDigm en 2006 à 25 $ US par action lors de son entrée en Bourse aurait reçu des dividendes spéciaux cumulatifs de 91,50 $ US par action, en plus d'obtenir un rendement annuel composé de 27 % sur l'appréciation du cours boursier à ce jour.

Il est rare de voir une société gérer son capital aussi activement que le fait TransDigm. La majorité des entreprises ont une gestion de capital passive. Elles versent un dividende trimestriel stable et rachètent systématiquement des actions, quelle que soit l'évaluation du titre en Bourse.

Dirigeants : une rémunération problématique

Nicholas Howley soutient que la société qu'il dirige ne rachètera des actions que lorsqu'elles seront à escompte par rapport à la valeur qu'elles devraient afficher en Bourse. Le conseil d'administration ne versera un dividende que s'il n'y a pas d'occasion d'acquisition à court terme. La direction ne refinancera la dette que si elle peut obtenir un meilleur taux d'intérêt et une échéance plus longue. Un levier financier maximal sera utilisé durant les périodes de bas taux d'intérêt, comme c'est le cas actuellement.

Généralement, un endettement d'environ 6 fois le bénéfice d'exploitation pour un fournisseur de pièces d'avions est exagéré. Le pdg de TransDigm prétend le contraire, puisque plus de 75 % des bénéfices de TransDigm sont générés par des pièces de rechange destinées à un marché stable et passablement insensible aux cycles de production d'avions neufs. De plus, 80 % des ventes proviennent de pièces fabriquées par TransDigm à titre de fournisseur unique de ses clients. Cette position de fournisseur exclusif lui accorde un plus grand pouvoir afin d'imposer des augmentations de prix.

La rémunération des dirigeants semble toutefois problématique. C'est qu'il peut y avoir conflit d'intérêts entre les dirigeants et les actionnaires. Les dividendes spéciaux sont versés non seulement sur les actions émises, mais également sur les options d'achat octroyées, mais pas encore exercées par les dirigeants. Par exemple, lors du versement d'un dividende spécial en 2014 (de 25 $ US par action), Nicholas Howley a obtenu un paiement de 27,8 millions de dollars américains sur des actions qu'il ne détenait même pas ! En réalité, il ne possédait que 26 700 actions, ce qui lui aurait valu un dividende de 668 000 $ US. Tout un écart ! Il nous semble évident que les dividendes ne devraient être versés que sur les actions réellement détenues et non sur les options. On peut aussi se demander si cela n'incite pas les dirigeants à endetter davantage TransDigm, simplement pour gonfler leur rémunération annuelle.

Le niveau d'endettement de cette société de Cleveland nous rend d'ailleurs très frileux. Les dirigeants allégueront que leur moyen de contrôler ce risque est de toujours repousser les échéances de dettes à plus tard pour avoir une bonne marge de manoeuvre. N'empêche que, si les bénéfices diminuaient, le ratio de couverture d'intérêts s'étiolerait rapidement. De plus, si M. Howley et son équipe décidaient qu'il est temps de réduire l'endettement de moitié, la croissance de l'entreprise subirait un ralentissement prononcé. Par ricochet, l'évaluation du titre serait touchée, car les profits ne seraient plus consacrés aux acquisitions, mais plutôt au remboursement de la dette.

Bien que nous apprécions l'aspect actif de la gestion du capital de TransDigm, nous ne sommes pas à l'aise d'investir dans cette société, car nous considérons qu'un recours aussi important à l'endettement fragilise l'entreprise à long terme.

EXPERT INVITÉ

Aaron Lanni est analyste financier chez Gestion de portefeuille stratégique Medici, une firme de Saint-Bruno.

À la une

Monique Leroux: notre productivité reflète notre manque d’ambition

Édition du 10 Avril 2024 | François Normand

TÊTE-À-TÊTE. Entrevue avec Monique Leroux, ex-patronne de Desjardins et ex-présidente du CA d'Investissement Québec.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Gain en capital: la fiscalité va nuire à l’économie, selon le patron de la Nationale

Le banquier craint que la mesure ne décourage l’investissement au Canada.