La décision la plus difficile en investissement


Édition du 10 Mars 2018

La décision la plus difficile en investissement


Édition du 10 Mars 2018

Par Philippe Leblanc

Tant et aussi longtemps que notre scénario d’achat initial tient la route, il n’y a pas de raison de vendre. [Photo : Pixabay]

Un lecteur m'a posé cette question très pertinente récemment :

J'ai de la facilité à passer à l'action pour acheter des titres (je dispose de liquidités), mais quand vient le temps d'empocher des profits, je ne sais pas quand vendre mes titres ni combien en vendre. Ce faisant, je manque des occasions.

Que dois-je faire pour me décider ? S. P.

De toutes les décisions d'investissement, celle de vendre est peut-être la plus difficile. Du moins l'est-elle pour un investisseur à long terme, du type « buy and hold ». Il est relativement facile d'acheter un nouveau titre, mais quand devrait-on vendre un titre de son portefeuille ?

Bien sûr, à chacun sa méthode. Je ne peux que parler de notre propre méthode, qui nous a bien servis au fil des ans, mais qui n'est pas parfaite. Tout comme on ne peut avoir raison à tout coup lorsqu'on achète un titre, les décisions de vente ne peuvent pas non plus être parfaites. La Bourse est un jeu de probabilités et ce qui importe est de prendre davantage de bonnes décisions que de mauvaises, à l'achat comme à la vente.

En premier lieu, je soulignerais que le temps de détention idéal pour un titre de qualité est à très long terme. Les placements qui nous ont le mieux récompensés au fil des ans sont ceux que nous détenons depuis de nombreuses années. Quand on considère que de tels placements éliminent les frais de transaction et repoussent les impôts à payer sur les gains de capital loin dans le temps, ce sont définitivement ceux que chaque investisseur à long terme rêve de posséder pendant toute sa vie d'investisseur.

Éliminer l'aspect émotif de la décision

À partir du moment où un investisseur possède un titre, un sentiment s'installe dans sa tête. Les psychologues appellent ce sentiment l'« endowment effect ». Je l'appellerais le biais psychologique du propriétaire ou le sentiment d'attachement émotif. On attribue tout simplement plus de valeur à quelque chose que l'on possède qu'à une autre que l'on ne possède pas. Combien de fois entend-on parler d'un investisseur qui n'a pas pu vendre un titre parce qu'il était « en amour » avec lui ?

Un autre problème fréquent est la peur de voir un titre rebondir après l'avoir vendu. Combien d'investisseurs ne vendent pas pour cette raison ?

La première chose à faire est donc d'essayer de prendre des mesures pour éliminer ou, à tout le moins, minimiser les biais psychologiques de nos décisions de vendre. Voici comment nous nous y prenons.

Un scénario d'achat initial clair

D'abord, pour chaque titre que nous achetons dans nos portefeuilles, nous écrivons ce que nous appelons notre « scénario d'achat initial ». Il s'agit des raisons fondamentales pour lesquelles nous croyons que le titre est un achat. On ne parle pas d'une dissertation de 10 pages, mais d'un scénario qui tient essentiellement sur quelques lignes.

En voici un exemple concret que nous avons écrit en janvier 2011 sur le titre de Visa, que nous détenons d'ailleurs en portefeuille depuis ce temps : « Leader mondial d'un secteur en croissance : traitement de transactions électroniques par débit et par crédit. Barrières à l'entrée élevées : réseau mondial, marque de commerce et relations avec banques, détaillants et détenteurs de cartes. Modèle d'affaires attrayant : revenus récurrents et rentabilité élevée, nécessite peu d'investissements en immobilisations. Rachète ses actions et devrait augmenter dividende. Croissance vers l'électronique et à l'international (56 % des transactions hors É.-U. en 2010). Risque à long terme = réglementation. Le titre mérite une prime par rapport au marché dans son ensemble. »

Tant et aussi longtemps que notre scénario d'achat initial tient la route, il n'y a pas de raison de vendre. Sept ans plus tard, Visa est toujours aussi dominante, la société est encore en croissance, très rentable, en bonne santé financière et nous croyons toujours que ses perspectives demeurent favorables. À noter que la valeur du titre a été multipliée par près de sept depuis notre investissement initial.

En revanche, à partir du moment où l'un des éléments du scénario d'achat initial ne correspond plus à la réalité, le titre devrait être vendu.

Établir une évaluation objective de chacun de ses titres

L'autre élément critique est le cours d'un titre que nous détenons par rapport à l'évaluation que nous en faisons. Notez que je ne parle pas ici du prix que nous avons payé initialement pour le titre (le coût). Ce dernier ne devrait pas avoir d'incidence sur notre décision de vendre ou de conserver un titre. Ce qui importe, c'est l'évaluation que nous en faisons aujourd'hui. Voilà un autre biais psychologique qui empêche nombre d'investisseurs de vendre un titre ; les psychologues parlent dans ce cas d'un biais d'ancrage.

Nous établissons une évaluation intrinsèque de chacun des titres que nous détenons en portefeuille. Ces évaluations doivent être objectives et on doit les mettre à jour régulièrement en fonction de nouvelles données fondamentales. Nous les ajustons chaque trimestre, après la publication des résultats trimestriels d'une société.

Si le cours d'un titre surpasse sensiblement l'évaluation que nous en faisons (par exemple, de 15 % ou 20 %), nous prenons la décision de vendre une partie de nos actions, voire leur totalité. Nous avons tendance à être plus patients envers les sociétés de qualité qui continuent de correspondre à notre scénario d'achat initial.

La sélection naturelle

Il y a une autre considération importante : la composition de son portefeuille. Nous désirons d'abord avoir en tout temps une position assez importante en encaisse pour nous permettre d'acheter un nouveau titre que nous pourrions considérer comme une occasion attrayante. Généralement, nous ne voulons pas être obligés de vendre un titre pour en acheter un autre. Comme on l'a vu dans la récente correction boursière, il arrive que tous les titres chutent en même temps, ce qui rend une acquisition difficile si on n'a pas d'encaisse sous la main.

Une autre considération est ce que j'appelle la sélection naturelle. Avec le temps, notre désir est de rehausser constamment la qualité des titres de notre portefeuille tout en ajoutant à sa diversification. Lorsque nous avons une occasion d'achat, notre premier réflexe est de nous demander si ce titre est plus attrayant à long terme qu'un des titres existants de notre portefeuille. Si c'est le cas, on devrait vendre l'élément le plus faible du portefeuille. Sinon, on ne fait rien.

Les impôts

Notre désir est de minimiser les impôts résultant des gains de capital réalisés. Une philosophie fondée sur le long terme permet de retarder longtemps les impôts, mais pas de les éviter. J'estime que l'aspect fiscal ne devrait pas influencer outre mesure la décision de vendre ou de ne pas vendre. Peut-être devrait-on attendre le début de l'année suivante avant de vendre un titre, mais on ne devrait pas le garder seulement pour ne pas payer d'impôt.

Voilà donc les grandes lignes qui sous-tendent notre méthode en ce qui a trait aux décisions de vendre un titre. J'espère que ces considérations auront répondu aux interrogations de notre lecteur et de nombreux investisseurs, car vendre demeurera probablement la décision la plus difficile en investissement. La clé, selon moi, est de la rendre la plus rationnelle et la moins émotive possible.

EXPERT INVITÉ
Philippe Le Blanc
est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. Plusieurs comptes sous la gestion de COTE 100 possèdent des actions de Berkshire Hathaway.

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