Prendre un autre chemin : les stratégies non corrélées


Édition du 24 Novembre 2018

Prendre un autre chemin : les stratégies non corrélées


Édition du 24 Novembre 2018

Par Stéphane Rolland

Comment ne pas se faire emporter par la cohue sans rester immobile chez soi ? Les stratégies non corrélées se présentent comme une façon de faire bande à part à un moment où obligations et actions pourraient connaître des moments difficiles. Nous démystifions ces stratégies qui tentent de générer un rendement positif, indépendamment du comportement de la Bourse.

Lorsqu'il scrute les marchés financiers, Marc Amirault ne porte pas attention aux mêmes éléments qu'un gestionnaire de portefeuille traditionnel. Au quotidien, le président de Gestion Cristallin et les membres de son équipe surveillent de près les écarts de prix entre différents produits financiers. Leur but : afficher un rendement positif grâce à ces écarts de prix, peu importe la trajectoire des marchés boursiers.

M. Amirault a fondé Gestion Cristallin, une firme montréalaise de placements alternatifs spécialisée dans les stratégies d'arbitrage, en 1998. Assis à un bureau où sont installés six écrans affichant des cotes de marché et des documents Excel, il nous explique comment il tente de profiter des divergences dans le marché. Le gestionnaire donne en exemple un pari récent. En septembre, la société chinoise Zijin Mining a offert 6 $, payés comptant, pour mettre la main sur la minière canadienne Nevsun Ressources (NSU., $). Or, l'action s'échangeait à 5,80 $ au moment de l'entrevue, le 31 octobre. L'escompte de 0,20 $ s'explique par le blocage par Ottawa de l'offre d'achat d'une entreprise chinoise sur l'entreprise canadienne de construction Aecon. L'intervention gouvernementale a rendu les investisseurs plus craintifs quand une société chinoise promet d'acheter une entreprise canadienne, explique le gestionnaire.

Ainsi, un investisseur qui aurait acheté le titre à 5,80 $ fera un gain en capital de 0,20 $ par action, si la transaction se finalise aux conditions prévues, ce qui n'était pas confirmé au moment d'écrire ces lignes. Pour maximiser le profit potentiel, Gestion Cristallin a déposé 2 $ par action et a emprunté 3,80 $ par titre pour accroître son gain potentiel grâce à l'effet levier. «Ça nous permettrait d'obtenir un rendement annualisé de 80 % sur le capital», calcule-t-il.

Les stratégies d'arbitrage, comme celle décrite ci-haut, font partie des différentes stratégies non corrélées au marché, comme le «marché neutre» ou les investissements en compte/à découvert (plus souvent présentés avec la dénomination anglaise «Long/Short» et qui consistent à miser sur une hausse de l'un et une baisse de l'autre). Si ces stratégies sont généralement destinées aux investisseurs institutionnels et aux clients fortunés - c'est le cas de la clientèle de Gestion Cristallin -, les produits accessibles aux investisseurs autonomes sont appelés à connaître un essor, anticipe Daniel Straus, du Groupe de recherche et stratégie sur les FNB de Financière Banque Nationale. «Les commissions des valeurs mobilières canadiennes ont assoupli la réglementation entourant les fonds communs, ce qui permettra à certains fonds canadiens de recourir à des stratégies différentes, comme les investissements en compte/à découvert, explique l'analyste. On s'attend donc à ce qu'il y ait des fournisseurs de fonds qui profitent de l'occasion pour offrir de nouveaux produits.»

Le nouveau Règlement 81-102 entrera en vigueur le 3 janvier. Il assouplira le cadre réglementaire des fonds de placement alternatifs. Les gestionnaires auront ainsi plus de latitude quant aux recours à l'effet de levier, à la concentration maximale permise, à la pondération limite d'un fonds pouvant être vendu à découvert ainsi qu'à l'utilisation de produits dérivés.

Il existe déjà des produits destinés aux investisseurs autonomes. Au printemps dernier, Placements Mackenzie est devenue la première société de gestion de placements du Canada à lancer un fonds commun alternatif à rendement absolu (qui vise à obtenir un rendement positif peu importe la conjoncture). Du côté des fonds négociés en Bourse (FNB), il y a déjà eu des «innovations», souligne M. Straus. Certains fournisseurs comme Horizons ou Purpose Investments vendent des fonds alternatifs qui emploient des stratégies non corrélées au marché.

Un moment propice

L’assouplissement réglementaire arrive à point nommé pour l’industrie. Les soubresauts des marchés en octobre fournissent un bel argument de vente au moment où tant les actions que les obligations semblent sous pression. « ­Il n’y a plus d’endroit où les investisseurs peuvent se cacher, commente ­Luca ­Paolini, stratège en chef chez ­Pictet ­Asset ­Management, dans une note citée par le ­Wall ­Street ­Journal. C’est l’une des pires années depuis longtemps pour la diversification. »

Du côté des actions, des questions se manifestent sur les évaluations, sur un possible ralentissement économique et sur l’effet des tensions commerciales. Pour les obligations, d’éventuelles hausses des taux d’intérêt auraient pour effet de réduire la valeur des titres de revenus fixes déjà émis.

Si bien qu’on craint que les revenus fixes ne jouent pas leur rôle et perdent du terrain en même temps que les actions. Les rendements d’octobre dernier alimentent la réflexion. Le S&P 500, à ­New ­York, a perdu 6,9 %. Le S&P/TSX de ­Toronto a effacé 6,1 %. Toujours en octobre, les obligations ont, elles aussi, perdu du terrain. Le ­FNB iShares ­Core ­Canadien ­Universe ­Bond ­Index (XBB) a perdu 0,9 %.

Les risques perdurent, croit ­François ­Landry, chef des placements de ­Financière des professionnels. « ­Les risques de récession sont plus élevés en ce moment. Tout cela à une période où, en raison des mouvements populistes, on a moins de chance de trouver des solutions politiques comme on l’a fait en 2008. Comment ­réussira-t-on à coordonner les efforts de stimulations économiques ? »

C’est pour diversifier davantage les portefeuilles de ses clients médecins et dentistes que ­Financière des professionnels a lancé un fond de stratégies « neutre au marché », qui représente environ 5 % du portefeuille de la plupart de ses clients. Une partie du fonds est gérée par des collaborateurs et une autre est gérée par l’équipe interne. L’objectif du fonds est de fournir un rendement de 4 % à 5 % supérieur aux ­bons du ­Trésor avec moins de volatilité. « ­Quand ça va mal, habituellement, toutes les catégories d’actifs se ressemblent, affirme M. Landry. Quand tu as besoin de la diversification, elle ne paie pas autant parce que tout est corrélé. Ça prend donc quelque chose qui n’est pas corrélé au marché. »

L’idée derrière le « marché neutre » est de détenir en compte les titres sur lesquels vous êtes optimistes et de vendre à découvert les titres sur lesquels vous êtes pessimistes, en portion égale. Le rendement dépendra de l’écart entre la portion couverte et celle vendue à découvert, explique le chef des placements. « ­Ce n’est pas important si les deux titres montent ou descendent. Ce qui compte, c’est que la partie investie ait un meilleur rendement (ou moins pire) que celle vendue à découvert. »

Pour limiter les risques, la ­Financière décide d’y aller par paire avec des ­FNB reproduisant des indices dans la portion du fonds qu’elle gère. « ­Le plus grand risque du marché neutre est que votre titre vendu à découvert fasse l’objet d’une offre d’achat. C’est pour cette raison qu’on utilise des indices. »

Il existe d’autres stratégies d’investissement en compte/à découvert qui ne sont pas « neutre au marché ». La firme ­Rivemont, à ­Gatineau, gère un fonds à rendement absolu où la portion en compte et celle vendue à découvert varie, selon le contexte de marché. L’objectif du fonds est de générer un rendement positif dans n’importe quel contexte, mais c’est dans les périodes baissières qu’il fait généralement ses meilleurs gains, explique ­Martin ­Lalonde, président et gestionnaire de portefeuille de ­Rivemont.

Pour ses positions vendues à découvert, M. Lalonde aime faire des paris contre des secteurs qui vont moins bien, dit l’expert qui, avant de fonder sa firme en 2010, raconte avoir remporté un certain succès avec ses investissements personnels en pariant contre les technos en 2000 et pendant la chute des marchés en 2008. « ­Le meilleur contexte pour nous, c’est quand un secteur entraîne la ­Bourse à la baisse. En ce moment, c’est sûr qu’il y a une corrélation plus importante entre les secteurs et ça rend notre tâche plus difficile, mais on a bon espoir qu’il y aura d’autres secteurs qui vont bouger plus rapidement que le marché, que ce soit à la hausse ou à la baisse. »

Quel secteur ­trouve-t-il le plus fragile ? lui ­avons-nous demandé à la ­mi-octobre. « ­Je dirais que c’est le secteur des ­semi-conducteurs aux ­États-Unis. Il y a des entreprises qui ont extrêmement monté comme ­Nvidia (NVD., 202,39 $ US). »

Corrélation non désirée

Parfois, l’indésirable corrélation se manifeste malheureusement au moment où on veut moins la voir. « C’est souvent dans les moments où tout va mal que les actifs commencent à se corréler entre eux, explique ­Jean-Philippe ­Tarte, maître d’enseignement à ­HEC ­Montréal, qui demeure sceptique quant aux succès à long terme des stratégies non corrélées. C’est vrai pour les actions et les obligations, mais c’est aussi vrai pour de nombreux fonds de couverture, qui ont employé ces stratégies. Ça peut arriver au moment où vous auriez le plus besoin de la diversification. »

C’est ce qui est arrivé au ­Fonds d’arbitrage ­Améthyste de ­Gestion ­Cristallin, en 2008, durant la crise financière. Le fonds, qui avait pourtant résisté à la bulle techno, a effacé 28,8 % de sa valeur. « C’était une crise de crédit, raconte M. Amirault. Plus personne ne voulait autre chose que des bons du ­Trésor. Pour nos stratégies d’arbitrage avec des obligations ou des débentures convertibles, c’était un moment difficile, mais les choses se sont rétablies en 2009. De plus, il y a eu un nombre anormalement élevé de ­fusions-acquisitions qui ont été abandonnées. On s’est fait frapper aussi avec nos stratégies d’arbitrage sur les titres faisant l’objet d’une offre d’achat. »

Sur une période de 20 ans, le fonds a tout de même rempli son rôle de diversification et de stabilisation d’un portefeuille, assure M. Amirault. Le gestionnaire souligne que l’­écart-type de son fonds, une notion mathématique qui sert à mesurer la dispersion des rendements au fil du temps par rapport à la moyenne, n’était que de 7,7 % comparativement à 14,5 % pour le S&P/TSX entre juillet 1998 et juillet 2018. Malgré ces moins grands écarts, le fonds a généré un rendement annuel de 8,28 % après frais, comparativement à 6,62 % pour les actions canadiennes.

L’importance du gestionnaire

Dire qu’on a une stratégie non corrélée n’est pas suffisant. Tout dépendra de l’habileté des gestionnaires de portefeuille à faire les bons choix, prévient M. Landry. « ­Pour avoir de bons rendements dans une stratégie neutre au marché, il faut que ton gestionnaire soit un bon “stock picker” et qu’il ait une bonne moyenne au bâton. »

Le hic est qu’il est difficile pour un investisseur autonome de déterminer s’il a un bon gestionnaire, pense M. Tarte. « Ça revient à la question de savoir comment un investisseur autonome peut savoir si son gestionnaire va réussir à générer de l’alpha, commente celui qui enseigne la gestion de portefeuille. C’est d’autant plus difficile que les études tendent à démontrer que les succès passés ne sont pas garants de l’avenir pour ce type de stratégie. » ­Pour cette raison, il suggère aux investisseurs autonomes d’éviter les fonds alternatifs non corrélés. « À long terme, le rapport ­risque-rendement est mauvais », ­tranche-t-il.

Il déplore le fait que ces stratégies sont trop compliquées pour l’épargnant moyen. « ­Quand le client ne comprend pas, ça semble être un produit très intelligent, mais il faut savoir que beaucoup d’investisseurs institutionnels se sont brûlé les doigts avec cette stratégie », ­prévient-il.

Du côté des gestionnaires, on juge qu’un professionnel aguerri peut créer de la valeur pour ses clients grâce à une stratégie non corrélée. Les trois gestionnaires à qui nous avons parlé ont discuté du bienfait que la diversification supplémentaire apporte au client. Ils ont aussi expliqué la façon dont ils gèrent les risques de leur portefeuille, que ce soit en limitant les pertes tolérées pour ne pas rester trop longtemps avec un pari perdant ou en diversifiant leurs positions pour que les erreurs n’effacent pas les bons coups.

Par exemple, à la ­Financière des professionnels, on évite de faire un pari sur une entreprise lorsqu’on approche le moment où elle dévoilera ses résultats, car les surprises peuvent entraîner de plus grands mouvements de marché qu’à l’habitude. « ­Après avoir pris connaissance d’une grosse nouvelle, tu peux quand même capter le momentum » par la suite, explique M. Landry.

Mais ­vaut-il la peine d’ajouter un autre degré de complexité à son portefeuille dans l’espoir d’ajouter une autre couche de diversification aux actifs traditionnels ? M. Amirault sourit quand on lui pose la question. Il sort un document présentant les rendements de son fonds (cité plus haut), qui montre qu’il a généré un rendement supérieur aux actions canadiennes avec moins de volatilité. « ­Si vous pensez que ce n’est pas important, la diversification et la réduction du risque, alors “non”, mais, ça dort mieux (quand on réduit le risque d’un portefeuille). »

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