Le cannabis est-il un bon investissement?

Offert par Les Affaires

Publié le 24/03/2017 à 06:00

Le cannabis est-il un bon investissement?

Offert par Les Affaires

Publié le 24/03/2017 à 06:00

Par Dominique Beauchamp

Le secteur du cannabis flambe, avec une valeur de 5 milliards de dollars, mais gare aux effets secondaires.

Deux producteurs de cannabis sur neuf dans le S&P/TSX, huit analystes qui assurent leur suivi, un début de consolidation, deux partenariats à l’exportation et le lancement au Canada d’un premier fonds négocié en Bourse donnent à penser que l’industrie du cannabis gagne en maturité.

Il n’en est rien.

Comme en témoigne l’explosion de 200 à 1031 % des titres qui ont un historique d’un an, des méthodes d’évaluation sur mesure et des projections optimistes pour la taille future du marché rappellent qu’il s’agit encore d’une industrie émergente et spéculative.

La dernière venue, la Gatinoise Hydropothecary (TSX croissance, 1,96$) a grimpé de 37% à son entrée en Bourse les 21 et 22 mars ce qui lui donne une valeur de 137,7 millions de dollars, soit environ 8 fois ses revenus. Consultez notre tableau comparatif ci-dessous.

L’unique producteur autorisé au Québec, dirigé par Sébastien St-Louis, et qui produit depuis 18 mois seulement, a fusionné la coquille albertaine BFK Capital. Son produit Time of Day se vend 15 $ le gramme, car il inclut la livraison gratuite le lendemain, en soirée et le week-end, de même qu'un service à la clientèle 24 heures par jour.

Le secteur ne présente pas le risque majeur des sociétés de biotechnologie (qui dépensent des millions dans un nouveau médicament qui peut s’avérer inefficace), ni celui d’un explorateur minier (qui doit trouver de l’or, le produire à bon prix et le remplacer quand il s’épuise), mais les risques sont nombreux.

«La viabilité des six entreprises que nous suivons, n’est pas en question, mais aucune n’est rentable. Certaines d’entre elles n’ont produit que cinq mois d’états financiers», indique Martin Landry, de GMP Valeurs mobilières.

Course contre la montre

Les producteurs autorisés (par Santé Canada) déjà en Bourse cumulent une valeur de 5 milliards de dollars, qui correspond grosso modo à la taille du marché médical et récréatif du cannabis projetée par divers analystes… après 2021.

Vivien Azer, analyste de Cowen & Co. y va même d’une prévision de 8 milliards pour 2021 tandis que Russell Stanley, d’Echelon Wealth Partners pousse sa projection à 11 milliards de dollars.

En plus, une demi-douzaine de ces producteurs augmentent ou se préparent à accroître substantiellement leur production afin de maximiser l'avantage concurrentiel d’être les premiers sur le marché.

La course est telle que l’ajout prévu de capacité de production comblerait déjà les besoins de la demande prévue (480 000 kg par an) dans cinq ans, note Martin Landry, de Valeurs mobilières GMP.

Et c’est sans compter l’ajout d’ici 18 mois des 250 000 pieds carrés prévu par Hydropothecary, qui a récolté 13M$ dans un placement en décembre. La société estime pouvoir servir 30 000 patients, une fois les nouvelles serres opérationnelles.

«La capacité devrait rester inférieure à la demande jusqu’à ce que les nouvelles usines produisent à pleine capacité en 2020», prévoit tout de même M. Landry.

Ce déséquilibre devrait initialement nourrir des marges élevées pour les producteurs de cannabis les plus efficaces, croit aussi M. Landry.

Comme on l’a vu aux États-Unis, une telle ruée vers l’or peut faire chuter les prix du cannabis, même si la demande augmente à bon rythme.

Neil Muruoka, de Canaccord Genuity, modélise d’ailleurs une baisse des prix de 40 %, de 8 à 5 $ le gramme, au cours des prochaines années.

Exploitations risquées

M. Landry croit possible que les exploitants les plus expérimentés de grandes serres produisent leur marijuana à un prix d’un dollar le gramme, par rapport à un prix de vente de gros de 5 à 6 $ le gramme pour la plante séchée et de 8 $ pour la marijuana médicale.

Toutefois, les risques d’exécution sont importants. Comme en témoigne le récent rappel de produits de trois producteurs et les trois recours collectifs déposés par des patients incommodés par la présence de pesticides.

L’analyste de GMP incorpore tout de même un recul de 4 à 5 % des marges d’exploitation à mesure que les prix se contracteront à long terme.

Le doyen des producteurs, Canopy Growth Corp. (WEED, 9,99 $) a choisi d’acquérir Mettrum Health en janvier, au coût de 363 M$ pour faire passer le nombre de ses patients à 50 000.

Ce créneau estimé à 1,8 milliard d’ici 2021, devrait s’avérer plus solide en raison des prix plus élevés pour les produits dérivés, telles que les extraits de plantes et les huiles, et du remboursement par l’assurance-maladie des achats à usage médical, croit l’analyste.

Les fournisseurs tentent aussi de faire connaître leur « marque », avant que le fédéral n’impose des contraintes à la publicité.

Par exemple, le Groupe de travail pour la légalisation et la réglementation du cannabis recommande d’appliquer les règles du tabac en matière de mise en marché. Cette décision ne plait pas à

Aurora Cannabis (TSX croissance, ACB, 2,29 $) qui préférerait que ce soit traité comme l’alcool.

Pour l’instant, la marque Tweed de la doyenne Canopy qui vient d’intégrer l’indice S&P/TSX, semble avoir le plus de notoriété en partie grâce à son alliance au rappeur Snoop Dog.

Période d’attente plus difficile en vue

Les prévisions des analystes reposent sur différentes hypothèses qui pourraient changer, au moment où l’industrie entre dans une période de flottement entre le dépôt du projet de loi fédéral prévu d’ici juin, et tous les règlements qui régiront éventuellement l’industrie du cannabis récréatif.

Mason Brown, de M Partners, s’attend par exemple à ce que la valeur totale de l’industrie triple à 32 G $, d’ici huit ans.

Ainsi, plusieurs analystes misent sur des marges d’exploitation de 30 à 35% pour les producteurs de cannabis, similaires à celles des brasseurs ou des producteurs de produits de consommation.

M. Brown juge qu’un multiple de 15 fois le bénéfice d’exploitation est approprié pour une industrie réglementée et bénéficiant de barrières à l’entrée.

C’est sans compter le potentiel des exportations et de la mise au point de nouveaux produits thérapeutiques dérivés du cannabis, dit-il.

Ottawa régira l’industrie et la taxe d’accise, mais les provinces encadreront la distribution de la marijuana récréative. Les pratiques pourraient donc varier d’une province à l’autre.

Pour le cannabis médical, la chaîne de 700 pharmacies indépendantes PharmaChoix a déjà conclu une entente pour distribuer exclusivement les produits médicinaux de CanniMed Therapeutics (Tor., CMED, 11,36 $), tandis que Shoppers Drug Mart, s’est montrée intéressée à devenir un intermédiaire aussi.

Pour M. Muruoka le principal risque est que la production dépasse la demande si le processus de légalisation du cannabis récréatif se prolongeait.

« Le marché médical ne peut pas absorber la hausse prévue de plus de 400 000 kg de l’offre d’ici 2018 », dit-il.

M. Landry ne serait pas étonné que des sociétés pharmaceutiques, des producteurs de tabac ou encore des brasseurs viennent éventuellement cueillir les producteurs de cannabis en Bourse pour s’approprier une part de ce marché.

« C’est un catalyseur à ne pas négliger », dit-il.

Sautes d’humeur à prévoir

La volatilité que déclenchera le processus de légalisation du pot récréatif pourrait créer des occasions pour les investisseurs les plus aventuriers.

M. Brown prévoit le début des ventes commerciales du pot récréatif au deuxième semestre de 2018.

M. Landry vise plutôt janvier 2019, car il faut compter 18 à 24 mois après le dépôt du projet de loi pour faire avaliser et pour implanter toutes les règles d’encadrement et de distribution.

La volatilité d’un secteur peu négociable s’est déjà fait sentir. Le 21 mars, les titres de l’industrie ont flanché de 3 à 9 % pendant un recul de 0,8 % de l’indice torontois.

En un coup d'oeil

Quelques producteurs

Voici les plus récents commentaires des analystes concernant les trois principaux producteurs et un troisième jugé bien niché.

Canopy Growth , WEED, 9,99 $ : Vivien Azer, l’analyste de produits de consommation de Cowen & Co. préfère miser sur Canopy Growth, même si le chef de file est chèrement évalué.

Sa part actuelle de 30 % du marché du cannabis à usage médical et sa part potentielle de 20 % du marché récréatif justifie un multiple de 4 fois les ventes de 2019 et un cours cible de 13 $.

Avec sa taille et ses moyens, la société ne peut que creuser son avance dans l’industrie incluant la mise au point de nouveaux médicaments dérivés de la plante de marijuana et de nouveaux modes d’administration de ces médicaments, dans son laboratoire Canopy Health Innovations.

Canopy exporte déjà en Allemagne et tente de percer l’Australie et le Brésil.

Ses ventes devraient tripler en 2017, à 42 M$, et doubler en 2018, à 139 M$, ce qui lui permettra d'atteindre la rentabilité cette année-là.

Mme Azer projette un bénéfice de 0,03$ en 2018 et de 0,31$ en 2019.


Aurora Cannabis, ACB, 2,29 $ : L’entreprise albertaine vend du cannabis médical depuis à peine 14 mois, mais sa stratégie fonceuse la distingue des autres.

Sa première usine est la seule au pays à avoir été conçue spécifiquement pour la culture et la production de la marijuana médicale.

L’usine de 55 200 pieds carrés est aussi située dans une zone rurale où les coûts locaux sont faibles, en plus de bénéficier du faible taux d’imposition albertain.

Grâce à la première application mobile d’achat de cannabis en ligne au pays et à l’acquisition d’une clinique médicale, Aurora a réussi à attirer 12 000 patients, soit 8 à 9 % du marché médicinal, estime Martin Landry, de GMP Valeurs mobilières.

Après une émission de 75 M$, la société dispose de 115 M$ pour construire sa nouvelle usine de 800 000 pieds carrés près de l’aéroport d’Edmonton, qui sera dotée des technologies les plus avancées du meilleur designer spécialisé des Pays-Bas.

Avec l’usine Aurora Sky et l’achat de l’établissement en construction de 40 000 pieds carrés de la faillite de Peloton Pharmaceutique à Pointe-Claire, la société aura une capacité annuelle de 100 000 kg de cannabis lorsque toutes ses installations fonctionneront à pleine capacité, en 2018.

Cela équivaut à environ 20 % du marché du cannabis récréatif, évalue M. Landry.

Aurora ambitionne aussi de devenir le producteur au plus bas coût.

L’analyste initie le suivi avec un cours cible à 3 $, en prévision de revenus de 56 M$ et d’un premier bénéfice d’exploitation de 11 M$, en 2018.

L’entreprise a promu son chef de marque, Neil Belot, à la mise en marché internationale. Il faut donc s’attendre à des initiatives à l’étranger.

M. Landry s’attend aussi à ce qu’Aurora intègre bientôt l’indice S&P/TSX.

Son cours cible : 3 $

Cronos Group, MJN, 2,66 $ : L’ex-PharmaCan a réussi à récolter 17,3 M$ parce que les investisseurs voient d’un bon œil la transformation de la société de portefeuille en véritable exploitant, avance Vahan Ajamian, de Beacon Valeurs mobilières,

L’argent recueilli servira à l’expansion de la capacité de production chez Peace Naturals et In The Zone, deux de ses producteurs.

Whistler, dans lequel Cronos a 21,5% des actions, est le seul producteur au pays de cannabis certifié biologique, dont le prix moyen de 11,33$ le gramme est le plus élevé de 21 producteurs répertoriés par M. Ajamian.

Son offre de plantes séchées (15) et d’huiles (19) est aussi la mieux garnie de l’industrie.

Cronos détient aussi 1,9% de Hypothecary.

Cronos exporte déjà en Allemagne grâce à son site transactionnel et prévoit aussi produire à l’étranger.

Même si son action a explosé de 91% depuis le début de l’année, M. Ajanian en recommande l’achat et maintient son cours cible de 3,50 $.

 

Emblem Corp., EMC, 2,39$  : Aurora est le titre favori de Neil Maruoka, de Canaccord Genuity, mais Emblem reçoit une mention spéciale justement parce que le minuscule producteur ontarien de cannabis médical reste niché dans sa spécialité, pour l’instant.

Emblem est le seul titre suivi par M. Maruoka dont la recommandation d’achat ne dépend pas du potentiel de la légalisation attendue du cannabis récréatif.

Menée par l’ex-président de Perdu Pharma, John Stewart, sa stratégie vise à gagner des parts du marché médical grâce à des produits de haute qualité alors que ses rivaux lorgnent le plus gros marché de cannabis récréatif.

L’entreprise ontarienne recrute graduellement des patients dans le réseau de 11 cliniques GrowWise qu’elle détient à moitié.

Ses futurs médicaments et traitements à base de cannabis devraient aussi lui permettre de vendre ses produits à un prix par gramme de cannabis séché de deux à trois fois supérieur au prix de gros moyen de l’industrie.

L’approbation prochaine de Santé Canada pour la vente d’huiles et d’extraits de cannabis devrait aussi revaloriser son titre en Bourse.

Dans l’éventualité où le processus légalisation du pot récréatif se prolonge indument ou que les prix chutent parce que la production croît plus vite que la demande, Emblem serait moins frappée, espère l’analyste.

M. Muruoka projette que les revenus grimperont de 4,8 M$ en 2019 à 44 M$, en 2022. Son bénéfice d’exploitation devrait passer de 600 000 $ en 2019 à 17 M$ trois ans plus tard.

La seule production de cannabis médical vaut 3,18$ par action (en fonction de la valeur actualisée des futurs flux de trésorerie), soit 23 % de plus que le cours actuel.

L’analyste y ajoute 0,59 $ par action pour le potentiel de ventes de marijuana récréative, pour un cours cible de 3,75 $.

 

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