Et si, cette fois-ci, c'était différent ?


Édition du 08 Décembre 2018

Et si, cette fois-ci, c'était différent ?


Édition du 08 Décembre 2018

Par Michel Villa

De manière générale, après l'éclatement d'une bulle spéculative, nous avons l'impression qu'elle était prévisible. Avec l'information en main, il nous paraît alors évident que ça allait se produire. C'est ce qu'on appelle le «biais rétrospectif».

À ce propos, l'économiste Robert Shiller a étudié la bulle économique qui est survenue au Japon à la fin des années 1980. Le 29 décembre 1989, le Nikkei 225, principal indice de référence japonais, a clôturé à 38 916 points, son plus haut niveau en une décennie. En cinq ans, il avait pratiquement quadruplé de valeur ! Près du sommet historique, 14 % des Japonais sondés prévoyaient une débâcle boursière, mais, après le krach, 32 % d'entre eux ont répondu qu'ils s'y attendaient. Pourquoi sommes-nous incapables de prévoir un tel scénario ?

L'une des raisons est que certains membres de la communauté financière appuient la poussée des cours en utilisant des arguments convaincants et en affirmant que «cette fois-ci, c'est différent». Ils nous rappellent l'aspect unique de la situation, de la thématique ou de l'investissement, laissant présager un potentiel de croissance très prometteur. À titre d'exemple, dans les années 1920, plusieurs avancées technologies révolutionnaires comme l'automobile, l'avion, l'électricité et la radio, combinées au temps de paix après la Première Guerre mondiale, servaient à justifier des évaluations boursières élevées. Jusqu'au fameux krach boursier de 1929.

En juillet 2018, Tilray (TLRY.US), une entreprise canadienne qui produit et transforme du cannabis à usage médical, a effectué son entrée en Bourse à un prix de 17 $ l'action. Le 19 septembre, son cours boursier a établi un nouveau record en se négociant à 300 $. Un rendement de +1665 % ! Bien que cette poussée haussière s'apparentait à une bulle spéculative, aux yeux de plusieurs, cette performance semblait justifiée par des nouvelles fort encourageantes, dont les suivantes :

D'une part, Tilray avait obtenu le feu vert de la Drug Enforcement Administration (DEA) des États-Unis pour exporter du cannabis sous forme de gélules et les livrer à un chercheur de l'Université de Californie. Ce dernier doit utiliser ces capsules dans le cadre d'un essai clinique pour combattre le tremblement essentiel, un trouble neurologique qui entraîne des tremblements incontrôlables. D'autre part, quelques organisations de renom avaient manifesté leur intérêt envers le secteur, ce qui stimulait l'engouement pour ses acteurs. Une rumeur voulait par exemple que le géant Coca-Cola soit en pourparlers avec la société Aurora Cannabis (ACB.TO) concernant le développement de boissons infusées au cannabidiol (CBD), l'élément non psychoactif du cannabis. Dans la même lignée, Constellation Brands, le groupe de vins et spiritueux américain propriétaire de la bière Corona, annonçait un investissement de cinq milliards de dollars dans l'entreprise Canopy Growth (WEED.TO).

Bien que de nombreuses personnes croient toujours à son potentiel, l'action de Tilray cote aujourd'hui à 100 $ US.

L'effet d'entraînement est un phénomène social caractérisé par l'imitation du comportement d'autrui afin d'assouvir son besoin d'être approuvé par les autres. Dans le cas de Tilray, en raison du bruit médiatique, de sa popularité auprès des chroniqueurs boursiers et de l'engouement pour les titres du cannabis, plusieurs se sont sentis laissés pour compte en n'ayant pas investi. Ils ont alors décidé de suivre le mouvement, en dépit de leur philosophie d'investissement.

Afin de minimiser l'impact de l'effet d'entraînement, voici trois facteurs dont vous devriez toujours tenir compte avant chaque décision d'investissement.

L'évaluation boursière. À un certain moment, la capitalisation boursière de Tilray était près de 28 G $ US, dépassant ainsi celle d'American Airlines, de CBS et de Molson Coors. Sachant que la direction prévoyait à ce moment des revenus d'exploitation de 41 millions de dollars cette année et de 153 M $ l'an prochain, son ratio cours/ventes était insensé. Pour 2018, à 300 $ l'action, il était de 683 ! Pour vous donner une idée, il est rare de voir des actions du secteur de la technologie se négocier à ratio supérieur à 30.

Une trajectoire parabolique. Habituellement, une période euphorique se termine par une accélération rapide des cours. En l'espace de trois séances de négociation, l'action de Tilray est passée de 109 $ à 300 $, un rendement de 175 % !

L'arrêt des négociations à un sommet historique. Le 16 novembre 2016, l'action de Canopy Growth a atteint 17,86 $, un nouveau record (à l'époque, 44 $ aujourd'hui). Néanmoins, elle a terminé la journée à 11,40 $, après que la Bourse de Toronto a suspendu les opérations sur le titre à trois reprises. Un arrêt automatique est prévu lorsqu'un titre grimpe de plus de 10 % pendant une période de cinq minutes consécutives. Une frénésie marquée par une volatilité excessive à la fin d'une trajectoire parabolique porte souvent le coup de grâce aux perspectives de rendement à court terme. C'est seulement un an plus tard que l'action de Canopy Growth a établi un nouveau record.

Il est donc essentiel de porter attention non seulement au potentiel de rendement d'un placement, mais également à son niveau de risque correspondant. Il faut bien garder les deux pieds sur terre, car même s'il s'agit de cannabis, ce n'est pas différent...

EXPERT-INVITÉ
Michel Villa est détenteur de la charte CFA, opérateur de marché, formateur et conférencier sur la Bourse. Il publie sur son site Web michelvilla.com.

À la une

Résultats des entreprises américaines au 1T: toujours pas d'accroc?

EXPERT INVITÉ. On a remarqué nettement plus de surprises positives que négatives.

Bourse: d'excellents rendements grâce aux «5 magnifiques»

BALADO. Microsoft, Nvidia, Amazon, Alphabet et Meta Platforms ont généré 40% des gains du S&P 500 au premier trimestre.

La moitié des Canadiens soutiennent l’interdiction de TikTok, selon un sondage

Le Canada a ordonné son propre examen de la sécurité nationale au sujet du réseau social TikTok.